Conférence organisée au Lycée de l'Assomption, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10 Avec le P. Collas
Thème de l'année: LA PRIERE. 4 février 2001 L'Oraison
Le pape demande depuis pas mal de temps quon se lance dans une « nouvelle évangélisation ». Cette évangélisation nouvelle semble être comprise essentiellement comme une modification du langage. Cette modification ne suffira pas. Il faut aller jusquà revoir les « notions » mêmes que les chrétiens portent avec eux dans leur langage, car elles véhiculent sur Dieu des idées que notre société entend mal du fait de lévolution de ses cultures (intelligence du réel, connaissance plus profonde du psychisme, recherche scientifique). Non seulement le message ne porte plus, mais encore il risque de détourner de Dieu. En revanche le message de lEvangile a des chances dêtre mieux entendu : il est celui de la tendresse. La nouvelle évangélisation doit apporter à tous les humains, ce visage de Dieu que chacun porte, en fait, au fond de soi. Trois « lunettes » permettent de pressentir ce visage de Dieu révélé par son Fils. La première, celle du Premier Testament, est très fortement marquée par la culture des régions orientales où elle est née. Ce qui est tout à fait normal. Et elle est surtout (mais pas seulement) limage du Chef de guerre puissant. La seconde, celle du Second Testament, apporte le message de Jésus. Elle se dégage nettement du climat du précédent Testament, mais en reste encore marquée : les Apôtres et les Evangélistes ont compris et exprimé la pensée du Christ selon les « catégories » de leur époque (Premier Testament), qui étaient aussi celles des Communautés dans lesquelles les Evangiles « mûrissaient ». Lessentiel de la Bonne Nouvelle semble bien être dans le fait que la notion du Père lemporte sur celle du chef, et la tendresse sur la puissance. La troisième « lunette » est la prière, et plus, précisément, loraison. Loraison quotidienne dont nous allons parler, dans la ligne de la spiritualité du Carmel réformé par sainte Thérèse dAvila, peut fonder la structure de notre foi : elle permet à lhomme dexpérimenter que Dieu est au-dedans de lui et quil vit de Dieu. « Si quelquun maime, il gardera ma parole et mon Père laimera, et nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure. » (Jn. XIV, 23). Lexpression « Si quelquun maime » peut paraître restrictive. En fait, personne ne peut vivre sans aimer Dieu. Cet amour est généralement inconscient, parfois mal expliqué et donc refusé. Mais en fait personne nest capable de ne pas aimer Dieu tel quil est. Vivre, cest se fier à celui qui a lancé la vie. Et on ne se fie quà ce quon aime. Le refus de Dieu, que lon objecte, ne tient pas : non pas que Dieu ne respecte pas la liberté de celui qui refuse, mais celui qui refuse ne refuse que parce quil connaît à lenvers. Il a dans son inconscient, une image juste de Dieu, puisquil est « à son image » (Gen. I, 26). Et lorsquon lui en propose une autre qui ne correspond pas à son « inconscient », il la refuse. Ce refus est un magnifique témoignage à la «Vérité ». Or, le Dieu que lhomme rencontre dans sa prière, est Père. Et, parce quil est Père, il donne au vivant la force de vivre. De se construire. En fait chacun vit donc parce quil est appelé par Dieu, et quil reçoit de lui lénergie fondamentale qui lui permet de se construire et qui est sa tendresse. Cest la seule énergie qui lui soit nécessaire parce quil est créé à son image et que, par conséquent, il fonctionne comme lui. Et lui vit de tendresse. Que vient faire loraison dans ce raisonnement ? Elle est le sommet de la prière parce quelle nous aide à nous tenir au niveau où Dieu nous aime. Pour en parler, prenons une image de Teilhard de Chardin. Il ne la pas employée pour parler de loraison, mais elle y convient parfaitement. Pour connaître qui je suis, je décide de descendre au fond de moi, comme on descend jusquà la racine pour comprendre comment un arbre vit. Lessentiel nest pas le niveau de conscience le plus élevé, le « poste de pilotage » en quelque sorte. Le plus essentiel est ailleurs. Pour my rendre, je pars donc du niveau conscient où je me situe en permanence pour me diriger. Je descends au niveau inférieur, que lon peut nommer le « sub-conscient », où déjà, je me sens moins à laise. Je descends encore au niveau où je vais moins souvent encore, l « inconscient » : là, je ne me sens plus du tout, bien que je devine me trouver toujours chez moi. Je continue à descendre et voici que je me trouve en Dieu, sans être capable de dire quand je suis « sorti » de moi pour « entrer » en lui, tant le lien entre lui et moi est profond et donc indiscernable. Je ne suis pas lui. Lui et moi nous sommes totalement « autres », mais je lui suis lié par une communion tout à fait unique qui fait que je pousse de lui. Comment expliquer que je ne sache pas quand « je sors et quand jentre » ? Peut-être en disant ceci : le lien entre lui et le vivant , cest lamour et comme lamour se trouve des « deux côtés », je ne sais pas dire comment je « suis » en Dieu ni quand je « passe » en moi. Pourtant, il ny a pas de fusion, entre lui et moi, mais une communion dont aucune autre communion ne peut avoir lintensité. Cest pourquoi aucune image ne peut dire exactement ce quest cette intimité « plus intime à moi-même que moi » (saint Augustin). Lintimité la plus inouïe qui soit. Donc, faire oraison, cest se rendre à ce niveau et sy reposer, le temps dexpérimenter de quel « sol » je pousse. (Une parenthèse : on dira peut-être que toute prière joue ce rôle. Ce nest pas faux, bien sûr, mais on précisera lors de la prochaine rencontre de Beaulieu la différence entre, par exemple, la prière de demande et loraison.) Comment se fait-il que lhomme puisse ainsi « se tenir sur Dieu » sans disjoncter ? Cest que lhomme « est capable de Dieu », alors que, par exemple, il nest pas « capable » de lélectricité. Il ne résiste pas à une décharge électrique, alors quil vit en permanence au contact de Dieu. Il « supporte » Dieu parfaitement. La décharge électrique tue ; la tendresse de Dieu qui est pourtant infiniment plus violente, donne la vie. Lhomme est à limage de Dieu, donc « capable » de lui. Faire oraison, cest expérimenter cela. En tout cas, loraison nest possible, comme la vie, dailleurs, que parce que lhomme est « capable » de Dieu. Dieu est le seul être que nous puissions supporter sans en être écrasés car nous sommes de même nature que lui. Essayer de prendre conscience de cette intimité cest prendre le moyen dêtre totalement à laise dans la vie. Cest loraison. Or nous sommes dans une période de lhistoire où nous avons de plus en plus daudace dans nos recherches, nos inventions et nos découvertes, et dans laquelle, par le fait-même, nous connaissons de plus en plus langoisse de laccélération. Faire oraison cest « descendre » au niveau le plus essentiel et le plus fondamental : parvenu là, je fais lexpérience que « ça tient », que ce « sous-sol » absolu sur lequel tout repose, la vie de lhumanité, son histoire et le cosmos, que ce sous-sol, donc, tient, quelle que puisse être la pression.. Ce sous-sol est la tendresse du Père. A ce titre, descendre à ce niveau pour y constater quil est fiable et donc fiable aussi la vie quil « supporte », est un service dhumanité. Tous ceux qui prient, même sans savoir, sont des « foreurs ». Ainsi, dans toutes les religions du monde, chaque fois quun homme va tout au fond de lui-même, cest Dieu quil y trouve, quelque nom quil puisse lui donner. Or, dans linconscient de lhumanité, il y a sans doute autant de chercheurs de Dieu que de vivants, même parmi ceux qui « ne croient pas ». Tout homme est volontaire pour descendre à la racine voir si le sol tient. Le sol qui porte tout. Et tous trouvent la tendresse (sans le savoir). Cest pour cela que lhistoire ne sarrête pas. Faire oraison cest apprendre tous les jours que Dieu est tendresse, et que nous sommes à son image. Ce que Dieu fait, quand un homme descend vers cette profondeur ? Comme le père du fils prodigue, il est heureux de le serrer plus fort dans ses bras et « le couvre de baisers. » (Lc. XV, 20.) Lessentiel de la Bonne Nouvelle est que lhomme est aimé et quil ne peut douter de la tendresse du Père. Et sil est aimé, tout lui est possible. Pourtant, si je le découvre, je ne le « sens » pas, parce que je me situe à trop de profondeur pour que ma « sensibilité » puisse y réagir. Et parce que lhomme est un être de relation, dans loraison, il intensifie son lien et le lien du monde, avec lAutre dont il dépend. Et qui dépend de lui. (Ce dernier point nest dit ici que pour annoncer lautre thème de la prochaine rencontre de Beaulieu.) Faire oraison, cest faire chaque jour cette découverte et chaque jour ré-ancrer lhistoire en Dieu. «Dieu a tant aimé le monde quil a donné son Fils » (Jn. III, 16). La nouvelle évangélisation consiste, peut-être, pour aujourdhui, à annoncer que le Fils est venu avant tout pour nous révéler que Dieu est Père, tendresse, et source inépuisablement fiable de toute invention.
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