Conférence organisée au Lycée de l'Assomption, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
06 03 04 22 88   

Thème de l'année: LA PRIERE.

4 février 2001

L'Oraison

 

Le pape demande depuis pas mal de temps qu’on se lance dans une « nouvelle évangélisation ». Cette évangélisation nouvelle semble être comprise essentiellement comme une modification du langage. Cette modification ne suffira pas. Il faut aller jusqu’à revoir les « notions » mêmes que les chrétiens portent avec eux dans leur langage, car elles véhiculent sur Dieu des idées que notre société entend mal du fait de l’évolution de ses cultures (intelligence du réel, connaissance plus profonde du psychisme, recherche scientifique). Non seulement le message ne porte plus, mais encore il risque de détourner de Dieu. En revanche le message de l’Evangile a des chances d’être mieux entendu : il est celui de la tendresse. La nouvelle évangélisation doit apporter à tous les humains, ce visage de Dieu que chacun porte, en fait, au fond de soi.

Trois « lunettes » permettent de pressentir ce visage de Dieu révélé par son Fils.

La première, celle du Premier Testament, est très fortement marquée par la culture des régions orientales où elle est née. Ce qui est tout à fait normal. Et elle est surtout (mais pas seulement) l’image du Chef de guerre puissant.

La seconde, celle du Second Testament, apporte le message de Jésus. Elle se dégage nettement du climat du précédent Testament, mais en reste encore marquée : les Apôtres et les Evangélistes ont compris et exprimé la pensée du Christ selon les « catégories » de leur époque (Premier Testament), qui étaient aussi celles des Communautés dans lesquelles les Evangiles « mûrissaient ». L’essentiel de la Bonne Nouvelle semble bien être dans le fait que la notion du Père l’emporte sur celle du chef, et la tendresse sur la puissance.

La troisième « lunette » est la prière, et plus, précisément, l’oraison. L’oraison quotidienne dont nous allons parler, dans la ligne de la spiritualité du Carmel réformé par sainte Thérèse d’Avila, peut fonder la structure de notre foi : elle permet à l’homme d’expérimenter que Dieu est au-dedans de lui et qu’il vit de Dieu. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera, et nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure. » (Jn. XIV, 23).

L’expression « Si quelqu’un m’aime … » peut paraître restrictive. En fait, personne ne peut vivre sans aimer Dieu. Cet amour est généralement inconscient, parfois mal expliqué et donc refusé. Mais en fait personne n’est capable de ne pas aimer Dieu tel qu’il est. Vivre, c’est se fier à celui qui a lancé la vie. Et on ne se fie qu’à ce qu’on aime. Le refus de Dieu, que l’on objecte, ne tient pas : non pas que Dieu ne respecte pas la liberté de celui qui refuse, mais celui qui refuse ne refuse que parce qu’il connaît à l’envers. Il a dans son inconscient, une image juste de Dieu, puisqu’il est « à son image » (Gen. I, 26). Et lorsqu’on lui en propose une autre qui ne correspond pas à son « inconscient », il la refuse. Ce refus est un magnifique témoignage à la «Vérité ».

Or, le Dieu que l’homme rencontre dans sa prière, est Père. Et, parce qu’il est Père, il donne au vivant la force de vivre. De se construire.

En fait chacun vit donc parce qu’il est appelé par Dieu, et qu’il reçoit de lui l’énergie fondamentale qui lui permet de se construire et qui est sa tendresse.

C’est la seule énergie qui lui soit nécessaire parce qu’il est créé à son image et que, par conséquent, il fonctionne comme lui. Et lui vit de tendresse.

Que vient faire l’oraison dans ce raisonnement ?

Elle est le sommet de la prière parce qu’elle nous aide à nous tenir au niveau où Dieu nous aime.

Pour en parler, prenons une image de Teilhard de Chardin. Il ne l’a pas employée pour parler de l’oraison, mais elle y convient parfaitement.

Pour connaître qui je suis, je décide de descendre au fond de moi, comme on descend jusqu’à la racine pour comprendre comment un arbre vit. L’essentiel n’est pas le niveau de conscience le plus élevé, le « poste de pilotage » en quelque sorte. Le plus essentiel est ailleurs. Pour m’y rendre, je pars donc du niveau conscient où je me situe en permanence pour me diriger. Je descends au niveau inférieur, que l’on peut nommer le « sub-conscient », où déjà, je me sens moins à l’aise. Je descends encore au niveau où je vais moins souvent encore, l’ « inconscient » : là, je ne me sens plus du tout, bien que je devine me trouver toujours chez moi. Je continue à descendre et voici que je me trouve en Dieu, sans être capable de dire quand je suis « sorti » de moi pour « entrer » en lui, tant le lien entre lui et moi est profond et donc indiscernable. Je ne suis pas lui. Lui et moi nous sommes totalement « autres », mais je lui suis lié par une communion tout à fait unique qui fait que je pousse de lui.

Comment expliquer que je ne sache pas quand « je sors et quand j’entre » ? Peut-être en disant ceci : le lien entre lui et le vivant , c’est l’amour et comme l’amour se trouve des « deux côtés », je ne sais pas dire comment je « suis » en Dieu ni quand je « passe » en moi. Pourtant, il n’y a pas de fusion, entre lui et moi, mais une communion dont aucune autre communion ne peut avoir l’intensité. C’est pourquoi aucune image ne peut dire exactement ce qu’est cette intimité « plus intime à moi-même que moi » (saint Augustin). L’intimité la plus inouïe qui soit.

Donc, faire oraison, c’est se rendre à ce niveau et s’y reposer, le temps d’expérimenter de quel « sol » je pousse.

(Une parenthèse : on dira peut-être que toute prière joue ce rôle. Ce n’est pas faux, bien sûr, mais on précisera lors de la prochaine rencontre de Beaulieu la différence entre, par exemple, la prière de demande et l’oraison.)

Comment se fait-il que l’homme puisse ainsi « se tenir sur Dieu » sans disjoncter ? C’est que l’homme « est capable de Dieu », alors que, par exemple, il n’est pas « capable » de l’électricité. Il ne résiste pas à une décharge électrique, alors qu’il vit en permanence au contact de Dieu. Il « supporte » Dieu parfaitement. La décharge électrique tue ; la tendresse de Dieu qui est pourtant infiniment plus violente, donne la vie. L’homme est à l’image de Dieu, donc « capable » de lui. Faire oraison, c’est expérimenter cela. En tout cas, l’oraison n’est possible, comme la vie, d’ailleurs, que parce que l’homme est « capable » de Dieu. Dieu est le seul être que nous puissions supporter sans en être écrasés car nous sommes de même nature que lui. Essayer de prendre conscience de cette intimité c’est prendre le moyen d’être totalement à l’aise dans la vie. C’est l’oraison.

Or nous sommes dans une période de l’histoire où nous avons de plus en plus d’audace dans nos recherches, nos inventions et nos découvertes, et dans laquelle, par le fait-même, nous connaissons de plus en plus l’angoisse de l’accélération. Faire oraison c’est « descendre » au niveau le plus essentiel et le plus fondamental : parvenu là, je fais l’expérience que « ça tient », que ce « sous-sol » absolu sur lequel tout repose, la vie de l’humanité, son histoire et le cosmos, que ce sous-sol, donc, tient, quelle que puisse être la pression.. Ce sous-sol est la tendresse du Père.

A ce titre, descendre à ce niveau pour y constater qu’il est fiable et donc fiable aussi la vie qu’il « supporte », est un service d’humanité. Tous ceux qui prient, même sans savoir, sont des « foreurs ». Ainsi, dans toutes les religions du monde, chaque fois qu’un homme va tout au fond de lui-même, c’est Dieu qu’il y trouve, quelque nom qu’il puisse lui donner. Or, dans l’inconscient de l’humanité, il y a sans doute autant de chercheurs de Dieu que de vivants, même parmi ceux qui « ne croient pas ». Tout homme est volontaire pour descendre à la racine voir si le sol tient. Le sol qui porte tout. Et tous trouvent la tendresse (sans le savoir). C’est pour cela que l’histoire ne s’arrête pas. Faire oraison c’est apprendre tous les jours que Dieu est tendresse, et que nous sommes à son image.

Ce que Dieu fait, quand un homme descend vers cette profondeur ? Comme le père du fils prodigue, il est heureux de le serrer plus fort dans ses bras et « le couvre de baisers. » (Lc. XV, 20.)

L’essentiel de la Bonne Nouvelle est que l’homme est aimé et qu’il ne peut douter de la tendresse du Père. Et s’il est aimé, tout lui est possible.

Pourtant, si je le découvre, je ne le « sens » pas, parce que je me situe à trop de profondeur pour que ma « sensibilité » puisse y réagir.

Et parce que l’homme est un être de relation, dans l’oraison, il intensifie son lien et le lien du monde, avec l’Autre dont il dépend. Et qui dépend de lui. (Ce dernier point n’est dit ici que pour annoncer l’autre thème de la prochaine rencontre de Beaulieu.) Faire oraison, c’est faire chaque jour cette découverte et chaque jour ré-ancrer l’histoire en Dieu.

«Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils » (Jn. III, 16). La nouvelle évangélisation consiste, peut-être, pour aujourd’hui, à annoncer que le Fils est venu avant tout pour nous révéler que Dieu est Père, tendresse, et source inépuisablement fiable de toute invention.

        Vous avez des commentaires à faire ou des questions ? Vous pouvez aller à la rubrique « Ecrire » du menu principal.

 

Retour