Conférence organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
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Thème de l'année: LA PRIERE.

22 avril 2001

La prière de demande.

 

1. Prière de demande ou cri de détresse ?

En fait, c’est un confident que je cherche en Dieu, dans la prière de demande. Je crois lui demander ce dont j’ai besoin, alors qu’il connaît aussi bien que moi ce dont je lui parle. Mais, psychologiquement, j’ai besoin que l’on m’entende. Oui, j’attends un confident. Or, « à qui voulez-vous que mieux qu’à Dieu je dise ce dont je souffre ? »

Parmi mes frères, et à plus forte raison dans ma solitude, ai-je quelqu’un qui puisse avoir mieux le temps de m’entendre, que le Père ? J’ai toujours là le confident totalement disponible à qui je peux confier et redire mes tourments, avec la certitude d’être entendu. A la limite, peut-être, je ne me soucie même pas d’être exaucé. Etre entendu, me suffit. Or Dieu seul peut toujours m’entendre. Devant les pires souffrances, il est le seul visage dont je suis absolument certain qu’il sera rassurant , un peu comme l’est le visage du père pour les yeux de son enfant. Le seul cœur auquel je puisse tout dire, cri d’amour, de souffrance ou de peur. Le seul aussi qui entende ce que je n’arrive pas à m’exprimer à moi-même.

Ce type de prière fait pressentir une nuance particulièrement douce du cœur de Dieu. Et parce qu’elle lui dit l’ultime limite de ma confiance, celle à laquelle personne d’autre que lui n’a droit, elle est peut-être celle qui le touche le plus profondément. Celle que, personnellement, j’ai eu, hélas, le plus de mal à comprendre.

2. « Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens … »( Mt. 6, 7)

La prière de demande n’est pas pour autant un rabâchage. A ce titre, nos prières pourraient, parfois, se tromper d’adresse. Ce n’est ni à un sourd ni un aveugle, que je m’adresse. Dieu sait ce qu’il me faut. Et moi, si je regarde bien, j’ai besoin de me confier, non d’extorquer. Je ne travaille pas à persuader Dieu de me secourir. Je vise à être écouté. Et puis, Dieu ne s’achète pas.

Or, sa bienveillance est attirée par ma confiance et par la confidence que je lui fais. Je ne le manipule pas. Je me confie. C’est que, sans doute, le courant ne passe pas à n’importe quel prix. Il faut un milieu conducteur. Ainsi, la pression ne peut pas être « conductrice ». Mon souci ne me fait pas me précipiter sur Dieu pour le contraindre, mais pour me serrer dans ses bras. Un cri d’abandon est plus facilement saisi par Dieu qu’une mise en demeure. Ainsi, la relation à Dieu dépend-elle de cette condition : pour que le courant passe, il doit être appelé par l’amour. L’amour appelle l’amour. S’il y a volonté, même inconsciente d’un marchandage, il peut y avoir aussi affaiblissement du courant.

La première chose, sans doute, qu’il voudrait voir, quand je demande, c’est que je ne suis là que parce que je l’aime, et qu’ayant mal, je ne sais où ailleurs aller que dans ses bras. Quand il entend quelqu’un lui dire : « Seigneur, je voudrais t’aimer », il doit savoir prendre le temps de se précipiter vers celui-là qui lui tend ses bras. Surtout que si je le lui dis, c’est parce que je le veux, non parce que je le sens.

Autre chose, sans doute encore, qui facilite son écoute, c’est l’humilité de celui qui le prie. Seulement, l’humilité n’est pas l’humiliation : elle est le regard réaliste que nous portons sur nous. En effet, si nous n’attendons pas, quand nous prions, que Dieu agisse à notre place, cela veut dire que nous sommes prêt à faire ce qui nous revient dans l’affaire dont nous lui parlons. Or, être prêt à faire ce qui nous revient suppose que l’on porte sur soi un regard réaliste qui sache donc voir clairement et sans fausse humilité, les capacités qui nous appartiennent.

Dans ce sens, peut-être, la parabole du « pharisien et du publicain » pourrait-elle s’entendre ainsi ? Le pharisien commence par rendre grâce à Dieu de ce qu’il est : premier réalisme : sans Dieu, je ne serais pas ce que je suis. Ensuite il dit ce qu’il fait : il paie la dîme, jeûne … Il reconnaît qu’il est capable de faire ces choses et dit qu’il les fait. Il lit sa vie avec réalisme. Il ne se réfugie pas dans la protestation d’une éventuelle incapacité. Il reconnaît ce qu’il fait.

Le reproche qu’on pourrait lui adresser - peut-être d’ailleurs est-ce ce à quoi pense Jésus - c’est qu’il se compare : « je ne suis pas comme les autres … » Ce que je vaux ne s’apprécie que par rapport à ce que je suis et non par rapport à ce que sont les autres.

Le publicain, lui, ne discerne aucune valeur en lui : il n’est que pécheur. Le risque, alors, n’est-il pas de se réfugier dans cette incapacité à rien faire d’autre que le péché, pour attendre de Dieu qu’il prenne nos rênes à notre place ? Position qui paralyserait Dieu : la prière ne lui demande pas de se mettre à notre place, mais elle nous situe courageusement en face de lui pour agir nous-même selon ce que nous sommes ? Encore faut-il savoir ce que nous sommes et ne pas commencer par dire que nous ne sommes rien. On a envie de dire au publicain : « Relève-toi, remue-toi ». Même si je suis pécheur, je veux t’aimer et coopérer avec toi.

3. Alors, l’oraison ?

Y-a-t-il opposition entre l’oraison et la prière de demande ?

Faire oraison, vous vous rappelez le dernier Beaulieu, c’est descendre tout au fond de soi-même, en traversant toutes les couches de notre être :

D’abord le niveau du conscient : j’ai conscience que je suis.

Puis le niveau du subconscient : où ma conscience a du mal à pénétrer, et où donc, je sens moins ce que je suis.

Puis le niveau de l’inconscient, où la conscience elle-même ne sait pas descendre ; le plus profond de moi-même, où Dieu se tient, « plus intime à moi-même que moi. » (selon Saint Augustin). Je suis à la fois chez moi et chez Dieu. La communion est portée à son degré le plus fort. Tellement intense que je ne puis le sentir. Comme mes yeux se ferment quand je vois le soleil. Il fait tellement de lumière que pour mes yeux, il fait nuit.

Faire oraison, c’est essayer de se tenir immobile à ce niveau, dans les bras de Dieu.

Mais pourquoi ?

Par pour demander, ni pour crier. Cela on l’a fait par ailleurs, peut-être, et avant. Maintenant, c’est le silence. Que peut-on faire dans les bras de son Père sinon le laisser nous embrasser et l’embrasser nous-même ? Si on descend à ce niveau, c’est parce qu’on sait, même quand ce n’est pas clairement conscient, que l’on ne vit que de tendresse, et c’est là qu’on est venu pour en faire le plein.

La vie est une lutte. Elle exige une dépense continue d’énergie. Je dois me construire et aider mes frères à en faire autant, comme eux-mêmes le font pour moi. Je viens donc en Dieu chercher son énergie. Mais si je viens chercher l’énergie, c’est que je me sais par ailleurs équipé pour agir. Dans l’oraison, chacun est à sa place :

Dieu, et c’est de nous fournir l’énergie.

Nous, et c’est de nous construire.

Dans la prière de demande, Dieu ne pourra jamais faire à notre place ce que nous devons faire ; ce que nous sommes le seul à pouvoir faire. Chacun peut seulement recevoir de lui un surcroît d’énergie pour mener à bien ce dont il a la charge. Cette énergie est l’amour dont la tendresse est la forme la plus élevée. Le baiser dont nous avons essentiellement besoin, c’est celui de Dieu. Le seul travail de Dieu est de nous le donner : sa tendresse est la seule chose qui puisse nous faire homme.

L’oraison est donc le geste que font les vivants qui ont compris que l’amour est l’énergie essentielle dont nous avons un besoin vital. Et celui qui fait oraison tous les jours aide la tendresse à se répandre dans le monde des hommes.

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