Conférence organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10 Avec le P. Collas
Thème de l'année: DIEU ET LE MAL 21 Octobre 2001 Le scandale du mal
Le problème du mal est un sujet dont il est difficile de parler. Personne, en effet, nest hors des griffes de la souffrance quil apporte toujours avec lui. Un jour ou lautre nous sommes à vif et il est difficile de toucher une plaie en sachant que la main qui la touche, ne peut pas la guérir. 1. La raison peut apporter un apaisement. Le scandale du mal est le plus fondamental qui soit, puisquil pousse à ne pas croire en Dieu. Comment admettre, en effet, quun Dieu bon et juste ait pu lancer dans une vie aussi injustement douloureuse des êtres qui nont pas demandé à vivre ? Et dire que Dieu nest pas juste revient à dire quil nexiste pas. Pourtant, la raison peut projeter sur ces souffrances un faisceau de lumière qui ne les détruit pas, mais qui peut tout de même les éclairer quelque peu. La raison peut apporter à lintelligence un certain apaisement, en essayant de lui expliquer ce que lhomme, au cours du temps, a pu comprendre sur ce sujet. Elle peut, en particulier, lui rendre ce mal un peu moins intolérable en lui montrant quil na pas le caractère scandaleux que, pourtant, on saccorde généralement à lui reconnaître. Bien sûr, après la réflexion, la souffrance persiste. Mais en comprendre les raisons fondamentales peut apporter un peu de paix. 2. Notre espérance. Avant daborder lessai dexplication proposé par le Père Teilhard de Chardin, qui sera le thème de la rencontre de janvier, et comme soubassement à notre réflexion, accordons-nous sur un fait qui simpose, vous allez le voir. Cest que, malgré la souffrance et la mort, cest la vie qui a le dernier mot. Malgré les haines, le monde tient car il est habité par lamour. Or nous savons par expérience que lamour a toujours le dernier mot. Nous espérons, par conséquent, quau terme de notre vie comme de lhistoire, cest encore lamour qui lemportera. De plus, presque instinctivement, nous croyons que le matériau ciselé aujourdhui par notre vie sous le poids du mal, ne mourra pas, et que notre amour, avec celui de Dieu, le purifie déjà de toutes les impuretés dont nous souffrons tant. Nous sommes donc là, appuyés sur cette expérience que lamour lemporte déjà et toujours sur le mal, pour essayer de comprendre ce que peut bien être ce mal. Et pour porter ensuite à ceux qui ne savent pas, ce que nous avons compris. Avant daller plus loin, redisons que notre théologie est basée sur cette certitude expérimentale que le bien est premier et permanent. Cest le positif de lhistoire qui fait quelle continue. Comment défendre Dieu. Il reste que le mal est une atroce réalité. Pour moi, elle lest doublement : en tant quhomme et en tant que prêtre. En effet dune part je vois ceux que jaime marqués par la douleur ; mais dautre part je dois défendre le Dieu soupçonné de cette horreur. Notez bien, dailleurs que le prêtre nest pas seul à devoir « défendre lhonneur de Dieu ». Mais ce qui mest le plus dur, plus encore que de devoir défendre Dieu, cest de voir des frères souffrir. Comme pour vous, cela est parfois intenable. Défendre Dieu nest pas facile, même pour le prêtre qui lui a donné sa vie. Comme vous, cet homme sait que Dieu est tendresse et que sa sensibilité de Dieu étant sans limites, il souffre encore plus que nous de nos souffrances. Il souffre donc de notre mal. Et pourtant, le prêtre, comme vous dailleurs, entend des frères reprocher à Dieu davoir lancé un monde pareil. Je vous avoue quil marrive à moi aussi dinvectiver le Père, et de sentir la révolte monter, alors que, pourtant, je sais bien la grandeur du vivant et quil est plus fort que le mal et que Dieu laime. « Mais pourquoi avoir fait cela ? Tu nous entraînes dans une aventure qui est grande, mais si difficile ! Mon Dieu, mon Dieu pourquoi le mal ? » 3. Un essai biblique pour comprendre le mal. Cest pourquoi, avant de parler de lhypothèse de Teilhard de Chardin, qui, je vous le dis fraternellement, ma sauvé de désespérer, il nous aura fallu aujourdhui prendre le temps de parler du mal. Cest pour le faire, que nous vous avons proposé ce texte extrait du livre de Job. Le livre de Job est le livre de la bible qui a le plus profondément abordé le problème du mal et qui, pétri de beautés et dhorreurs, a eu laudace dessayer dy apporter une réponse. Mais je dois vous avouer que Job me scandalise et que je ne peux pas aimer son dieu. Il faut savoir, à sa décharge, que cette histoire, lauteur la cueillie dans le florilège des peuples païens qui lentouraient, et que donc, le dieu quelle dessine est loin encore du Dieu dont Jésus nous parlera. Voici lhistoire : un homme riche, apprend la destruction simultanée de tous ses biens et, le même jour, la mort de ses enfants. Job commence par dire : « Dieu a donné Dieu a repris, béni soit Dieu. » Mais sa position ne tient pas longtemps. La souffrance prend le dessus de sa fidélité et Job se révolte. Il faut dire quà cette époque (est-elle totalement révolue ?) on ne comprend la souffrance que comme la punition du péché. Or, Job est un homme juste : doù viennent alors ces punitions ? Les amis qui viennent le voir lui tiennent le discours en vigueur à lépoque : ce qui lui arrive vient de son péché. Mais Job qui a conscience davoir voulu ne faire que la volonté de Dieu, questionne Dieu et, dune certaine façon le somme de sexpliquer. Aujourdhui, on ne peut sempêcher dadmirer son courage : lhumain se révolte contre ce quil sent comme une injustice. Mais Dieu, lui nadmire pas Job. Sa réponse est une fin de non-recevoir. En gros, le créateur reproche à cet homme de vouloir ségaler à lui en osant le questionner. Sans le dire, Dieu méprise Job : ce dieu est un dieu païen. Et finalement, sous la redoutable admonestation, Job retombe dans lattitude de soumission humble et aveugle, seule comprise à son époque. « Voilà comment jaime lhomme » dit dieu. Or lhomme quil apprécie est un homme qui vient de saplatir devant lui. En somme, lhomme a le droit de souffrir mais pas de comprendre. On a bien senti que cette réponse de Dieu était intolérable. Et on a tenté de lui trouver deux explications. La première consiste à dire : « Vous avez vu comment commence le livre, ce nest pas Dieu qui parle, mais le diable; donc cest le diable qui est lauteur des maux de Job, et donc du mal du monde. Dieu fait le bien, le diable fait le mal. Cette position a été très tôt refusée par lEglise. A juste titre. Le Diable nest pas léquivalent ni le contrepoids de Dieu. La seconde : en final, Job dit à Dieu : « Je ne te connaissais que par ouïe dire, mais maintenant je tai vu. » Il a vu Dieu et donc il a compris, non pas doù venait le mal, mais quil fallait faire confiance et se taire. « Je ne comprend pas mais jadore. » disait Bossuet. Mais moi, aujourdhui, je ne peux pas mécraser devant une « beauté », fût-ce celle de Dieu, qui piétinerait mon intelligence et ma raison. Que serait cette grandeur qui ne serait grande quà condition de réduire lhomme à nêtre rien devant elle ? Nous sommes loin, terriblement, de la Genèse qui nous avait dit, pourtant, que Dieu avait fait lhomme à son image. 4. La recherche continue et elle nous revient. Depuis lapparition du livre de Job, nous avons beaucoup découvert sur lhomme, et nous avons en mains des éléments de réponses que navaient pas les rédacteur du livre de Job. Or, notre monde souffre, dautant plus que nous sommes de plus en plus nombreux à souffrir. Mais nous sommes aussi de plus en plus nombreux à chercher et nous, derniers venus, nous noublions pas que le Christ a promis denvoyer son Esprit pour que nous puissions parvenir à « la Vérité tout entière. » Nous avons donc la charge de travailler avec tous les hommes de bonne volonté pour creuser une réponse plus affinée à ce problème. Nous avons, en effet, un gros avantage, qui est aussi une tâche immense : nous sommes les héritiers des siècles précédents. La lutte et le courage de nos « pères » nous ont ouvert des voies quil nous faut emprunter. Seulement, nous lancer dans ces voies suppose que nous nous sentions libres. La vérité est libre. Or nous risquons de nous arrêter aux définitions dogmatiques dont lEglise a pensé devoir protéger les domaines de la recherche. Nous devons avoir le courage davancer, sachant que la Vérité ne se découvre quà force daller vers son fond. Sachant aussi quelle est sans fond, nous ne pouvons pas nous reposer, même sur une certitude définie jadis. Une réponse donnée (certains disent « vitrifiée ») il y a 9 siècles, nous aura servis dans notre progression, mais nest plus apte à entendre ni a répondre aux questions du XXIème siècle. Or ces questions attendent des réponses, déterrées par les siècles précédents, mais affinées par notre aujourdhui. Elles attendent aujourdhui des réponses daujourdhui. Devant lacuité parfois désespérante de nos questions humaines, on se prend à constater que ce nest pas de charité que lEglise risque de manquer, mais de recherche et de pensée. Pour notre part, essayons, sinon de pallier à ce manque, du moins de participer hardiment à cette recherche.. Le problème du mal est sans doute lune des plus lourdes questions sur lesquelles nous navons pas de réponse équivalente à lattente quelle soulève. Nous devons labourer encore ce terrain. Jai trouvé, et je ne suis pas le seul, un penseur, Teilhard de Chardin, qui, dans les années 1940-1950 a proposé une hypothèse pour tenter de voir sous un jour nouveau, ce problème du mal. Partant de la notion dEvolution, il concilie laffirmation de St Jean : « Dieu est amour » et la révolte de Dostoïevski : « Si les souffrances des enfants ont servi dappoint à la somme de souffrances nécessaires pour lachat de la vérité, jaffirme davance que toute la vérité ne vaut pas ce prix. ( ) Le prix de lharmonie est trop élevé ; nous navons pas les moyens de payer lentrée si cher. Cest pourquoi je mempresse de rendre mon billet. Si je suis un homme honnête, je dois le rendre le plus vite possible ( ) Ce nest pas Dieu que je naccepte pas, Aliocha, je ne fais que lui rendre, très respectueusement, le billet. » (La légende du Grand Inquisiteur.) Nous ne pouvons pas rendre le billet : les hommes attendent que les bonnes volontés creusent et dévoilent que la souffrance nest pas un prix quil faudrait verser pour réparer le mal que nous aurions fait. Encore moins sil fallait pour cela la souffrance dun seul enfant. La Vérité ne se paye pas, elle se découvre. Notre révolte à nous, aujourdhui, cest de nous enfoncer dans le mystère jusquà deviner un brin de lumière qui nous empêche de désespérer. Teilhard a permis à beaucoup de ne pas perdre la foi. Nous creuserons sa proposition. Nous ne voulons pas désespérer davantage. Et puisque Jésus nous a dit que « Dieu a tant aimé le monde quil a envoyé son Unique » nous parions sur lamour, seul pari tenable. Jésus a crié Dieu, pour dire quil nétait que Père, papa (Abba). Il faut sauvegarder cette espérance. Et casser, si nous le pouvons, le scandale du mal qui la contredit. Si lhomme ne peut plus dire que Dieu est tendresse, alors, lhistoire est à la veille de sombrer. Teilhard a permis à beaucoup de dire, au cur de ce monde grand mais douloureux, que Dieu est tendresse, et que lhomme est à son image. Mais réfléchir à sa pensée ne suffit pas. Il ne suffit pas de comprendre le mal, il faut aussi lutter contre lui. Et parce que nos mains, bien que laborieuses, ne sont pas toujours bien nettes, nous nous engageons, tout en cherchant, à détruire au moins la part du mal qui peut venir de nous. Cest à ce prix seulement, que nous serons assez libres pour chercher. Réponse aux questions : Vous avez parlé du mal que nous subissons, mais celui que lon fait ? Il sagit dans votre question, finalement, du mal dont nous sommes la cause. Sur ce sujet, limportant est de déterminer au plus juste notre responsabilité. Thomas dAquin disait que lhomme ne peut pas faire le mal tel quel, et que sil le voyait dans toute son horreur, il ne pourrait pas en prendre la décision. Parce que lhomme est à limage de Dieu, le mal tout seul et tel quel ne peut pas déclencher lacte de sa volonté. Sil le fait tout de même, cest que lhomme ne le voit pas tel quil est. Le mal est camouflé sous lapparence dun bien. Cest parce quelle est trompée, en partie, que la volonté peut se lancer. Sa responsabilité est donc proportionnée au degré de connaissance quelle a de lacte qui lui est proposé. Les tribunaux ne font pas autre chose que de chercher aussi justement que possible, la part de cette responsabilité. Comment justifier les camps de la mort ? On ne justifie pas les camps de la mort. Au terme de son histoire, Hitler nétait pas en pleine possession de lui-même. Mais en fait, sil sest lancé dans lhorrible aventure, ce nétait pas, essentiellement cest difficile à dire parce quil aurait eu le goût de la mort, mais parce quil avait lidée dune nation pure qui changerait le monde. La satisfaction intellectuelle de mener à bien un grand oeuvre pour lunivers. Cela nenlève rien à lhorreur de ce quil a commandé, mais cela pose la question de sa responsabilité. Et ce nest pas à nous de répondre Le diable existe-t-il ? La bible le dit. Ce que nous devons nous admettre, à ce sujet, cest quil ne faut pas nous décharger sur le démon, du mal dont nous sommes responsables. Dieu damour et Dieu de Job : le père Varillon disait il ne faut pas confondre Dieu et Jupiter, ce que lAncien Testament fait un peu. Je suis entièrement daccord. Pourquoi les calamités viendraient-elles de Dieu ? Parce que lhumanité vient de Dieu, son histoire en vient aussi, disent certains. Et puisque cest Dieu qui a tout lancé, il est responsable de tout et du mal. On ne peut pas tout mettre sur le dos de Dieu sans risquer de nous déresponsabiliser tout à fait, ou alors le créateur est insensé. La réponse, en fait, à ce point précis de la responsabilité de Dieu, nous laborderons dans la prochaine rencontre du 21 janvier prochain.  Vous avez des commentaires à faire ou des questions ? Vous pouvez aller à la rubrique « Ecrire » du menu principal. |