Conférence organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10 Avec le P. Collas
Thème de l'année: DIEU ET LE MAL 20 janvier 2002 Essai de solution proposée par Teilhard de Chardin.
Le Mal tient beaucoup de place dans nos vies, mais on ne peut pas en rester à lanalyse des faits; il faut essayer de comprendre pourquoi le mal existe. Aujourdhui nous allons aborder la solution proposée par Teilhard de Chardin, pour autant quil puisse y avoir vraiment une « solution ». Le problème du mal a été abordé par beaucoup de philosophes, tout au long de notre histoire, mais aucune approche de problème ne sest révélée satisfaisante. Par exemple, nous ne pouvons pas adopter lattitude de Bossuet (représentative de la position classique de lEglise) « Je ne comprends pas mais jadore. » Adorer, nous « écraser »devant celui qui nous fait souffrir, est une attitude indigne et de Dieu et de lhomme. Aujourdhui, on ne peut sécraser sans comprendre. Tout faire pour comprendre est la seule attitude admise, désormais. Et Dieu, qui nous a faits à son image, ne peut pas mal voir que nous voulions comprendre et ne pas désespérer. Donc, nous adoptons lattitude de Teilhard, et de bien dautres aujourdhui. Essayer de comprendre pour pouvoir aimer. Sans révolte. La réponse de Teilhard de Chardin, (jésuite, scientifique spécialisé en paléontologie, mort en 1955) malgré la difficulté (relative) de sa pensée, et malgré lincompréhension dans laquelle lEglise la longtemps tenu, nous permet aujourdhui davancer dans ce « gouffre » et, peut-être, de ne pas désespérer. Sa pensée, à lépoque, était révolutionnaire; mais lorsquelle sest répandue, après sa mort, elle était déjà dépassée par les avancées de la science contemporaine. Son travail de paléontologue et de chercheur, la amené à rencontrer les grands esprits de son temps. A leur contact, il a donc rencontré la théorie de lévolution. Et il est le premier « théologien » à trouver dans cette théorie, un élément de solution à de lourds problèmes humains et chrétiens, entre autres, le problème du Mal. Il a ainsi « christianisé », avant lheure, la théorie de lévolution en précisant que lon peut y trouver lorigine du « mal ». Dune manière classique, lorsque lEglise de son temps (début du XXème siècle), se trouve confrontée, par exemple, à la naissance dun enfant anormal, à la mort inutile ou inexplicable dun jeune, à des maladies ou à des épidémies, aux drames provoqués par exemple, par des secousses sismiques ou des éruptions volcaniques, mais surtout quand il sagit de la mort du Christ, elle dit: « tout cela est causé par le péché originel. » Cela est un désordre provoqué par la révolte du premier homme, qui vient de sortir achevé « des mains de Dieu ». Aujourdhui, nous portons les conséquences de cette révolte. A quoi Teilhard répond: le péché originel nest pas, ne peut pas être la cause du mal; mais il en est la conséquence. Si lhomme sest révolté, cest quil en était capable. Et donc, le mal existait déjà. Comment expliquer en effet, que lhomme, sortant « parfait » cest-à-dire achevé, des mains de Dieu, puisse manquer dintelligence, au point dêtre en état de se révolter contre Dieu? Voici, à très grands traits, comment Teilhard sexplique: si la source du MAL ne se trouve pas dans le péché originel, où se trouve-t-elle? Dieu nous a créés: là est le point fondamental de notre foi. La raison normalement se révulse devant laffirmation que lintelligence de lhomme puisse venir du hasard, ou de la nécessité. Elle sait bien quil faut à ce que nous sommes, une cause au moins équivalente. On ne donne que ce que lon a. Le hasard na pas dintelligence. Nous, nous en avons. Or, dit Teilhard de Chardin, la source existe, elle est intelligente. Mais alors, comment un être créé parfait, et dont lintelligence est à « limage de Dieu », peut-il, à la première épreuve, disjoncter et choisir la solution qui lui assure le malheur le plus absolu, alors quil ne le veut absolument pas? Doù vient que cette intelligence ait ainsi pu se tromper? Teilhard lexplique par le fait que lacte créateur procède au travers de lévolution. Dieu, dit-il, na pas « fabriqué » lhomme; créer, cest bien autre chose que fabriquer. Ainsi, Dieu est la source de tous les « phénomènes » que lon observe dans lévolution, mais ce nest pas lui qui a fait ces phénomènes. Simplement (Si lon peut dire) il les fait capables de se faire. Pendant des siècles on a considéré Dieu comme celui qui fait, qui fabrique lui-même, à la place de lautre. Or, dit Teilhard, lhomme na pas été fait par Dieu, mais il a été créé par Dieu capable de se faire lui même. Dieu, en effet, est entouré de « rien », du néant, disait-on jadis, dun rien qui a pourtant la capacité dexister, dit-on aujourdhui. Or, lorsque Dieu dit: « Que la lumière soit », il dit au rien: " Je veux que naisse autour de moi la vie ». Dieu ne fait pas, Dieu dit et cela se fait; les choses et les êtres sont créés. « LEsprit planait sur les eaux » dit la Bible, mais planer cest un peu comme « couver »: dans la chaleur de la couvaison divine, le rien qui était simplement capable dexister, se met à devenir existant. Sous la couvaison de lintelligence de Dieu, ce qui nétait encore que disponibilité à exister devient capable dune première éclosion. Ainsi, la réalité se fait elle-même parce que Dieu la veut et laime. Cest tout. Il suffit que cette disponibilité à être soit aimée et couvée par la chaleur de lamour, et que Dieu lui fixe un but, pour que la vie vienne. Seulement, cet acte vertigineux, que nous sommes incapables dexpliquer, sest fait au rythme terriblement lent de ce qui nétait que capacité à exister, et qui navait donc pas dexistence. Teilhard insiste longuement sur la difficulté que ce qui nexiste pas, puisse se mettre à exister. Même si cela est couvé par la force de Dieu, cela demeure tout de même terriblement infirme, et ne peut donc coopérer avec lamour quavec beaucoup de lenteur. Doù ces quinze (ou plus) milliards dannées nécessaires pour préparer lhomme. La théorie du « Big Bang » peut ainsi se situer dans cette perspective. A lorigine mesurable de ce qui existe aujourdhui, se trouve une condensation incommensurablement dense déléments que la science, aujourdhui, ne peut toujours pas nommer ni décrire. Sous une forme tellement dense quil y a explosion, libération. Les éléments libérés se dispersent dans le vide, et en même temps tentent de se rapprocher. La vie sortira peu à peu de ces rapprochements. Ces rapprochements finiront par produire des atomes, puis des cellules, puis des organismes, puis du vivant rudimentaire dont nos amibes daujourdhui nous donnent sans doute une idée. Les rapprochements se poursuivent et produisent du vivant de plus en plus complexe et donc, de plus en plus vivant. Le vivant évoluant produit des conditions de plus en plus affinées dans lesquelles sa vie devient de plus en plus exigeante et innovante. Cette évolution touche à la fois lorganisme lui-même et son environnement. Lorganisme lui-même invente et produit les instruments dont il a besoin pour sa progression. Parmi ces instruments, chez les plus avancés en évolution, se met en place un centre de gestion, que nous nommons aujourdhui le cerveau; et lorsque le cerveau devient tellement complexe que son « propriétaire » est capable de savoir quil existe, lhomme apparaît. Tout cela se fait avec des ratés, des manques, des dérapages, mais cest la vie qui continue à se développer et la conscience qui apparaît. Pour Teilhard de Chardin, cest cette lenteur dévolution, qui, en provoquant cette maladresse, ces dérapages, est la source de ce que lon appelle le mal: lhomme nest pas fait, il doit se faire et il peut se tromper puisquil est inachevé; il peut ne pas tout comprendre, tout de suite. Ces errements ne sont que létat normal dun univers qui se fait et dont il est lui-même solidaire, même sil en est, sans doute, la part la plus avancée. La cause, donc, de ce que nous appelons le Mal, se trouve dans « le mal » que lunivers et lhomme qui en fait partie, ont à résoudre les questions que la vie leur pose. En général, leurs réponses sont justes. Parfois, elles sont mal ajustées, et du coup, quelque chose va mal. Lhomme est donc maladroit, mais pas méchant, dit Teilhard. Ses erreurs sont un signe de sa maladresse; mais ce nest pas cela le « péché ». Et cette maladresse dans la construction de soi-même nest pas une honte mais un signe de grandeur. Teilhard de Chardin voit donc la croissance là où lon voit de la maladie, ou du péché. Ce nest jamais pour son plaisir et contre Dieu (idée que sous-entend la notion de péché) que lhomme se fait mal fonctionner. Cest par mauvais calcul. Mauvais calcul qui provient de linachèvement de ses instruments de mesure: ses sens, pour saisir lextérieur et les autres, son intelligence pour apprécier les données de ses sens, son jugement et sa volonté grâce auxquelles il peut prendre ses décisions. Tout cela étant encore en construction, se trompe parfois et déraille: lhomme qui en souffre appelle cela du mal. Il a raison. Il a pu le provoquer lui-même, mais ce nest jamais pour lamour du mal quil le fait. Il le fait parce quil suit la mauvaise piste que ses instruments de bord inachevés, lui indiquent. Et il en souffre. La méchanceté pour elle-même, nexiste pas dans la nature; ce que nous appelons ainsi vient dun dysfonctionnement de lesprit humain. Thomas dAquin précise que lhomme nest pas capable de faire du mal: i1 ne peut pas le vouloir, dit-il, parce que le mal est le contraire de son bien : le mal qui fait toujours souffrir, et qui fait souffrir aussi celui qui le fait, est trop contraire à sa nature, pour quil puisse le vouloir en tant que tel, cest-à-dire en tant que provoquant de la souffrance. Sil le décide, cest parce quune erreur de perspective le lui montre sous les couleurs illusoires dun avantage. Il y a ainsi du mal, des maladies par exemple, dont nous sommes, en partie au moins, responsables: le cancer par tabagisme, lalcoolisme etc. La responsabilité est bien en nous, mais elle vient dun mauvais fonctionnement de notre esprit, de notre jugement. La satisfaction de fumer, cache le risque de cancer. Ce nest pas le cancer quon a voulu, cest fumer. En revanche, il y a des maladies qui ne sont pas dues à des erreurs de jugement. Elles sont dues alors à un mauvais fonctionnement (toujours) des lois naturelles, dont nous dépendons et qui, elles aussi sont en cours daménagement. Les dérapages des lois naturelles (volcans, inondations, foudre, tempêtes etc.) sont considérés comme un mal lorsquils atteignent des personnes humaines. Parce quil est à limage de Dieu, lhomme ne peut pas vouloir le mal en tant que tel. Et à ce titre, la méchanceté nest, ne peut être, quune erreur de jugement. Si quelquun fait du mal, cest quil pense, cest quil croit faire ou se faire du bien, du moins une apparence de bien. Lorsquune personne fait un acte dit de « méchanceté », pour la comprendre, il ne faudrait pas se fier seulement aux apparences, à notre jugement personnel. Il faudrait aller à la source, et essayer de faire comme Dieu : connaître la réalité profonde de cette personne. Ce que nous appelons « péché » nest pas un acte voulu en toute conscience pour blesser Dieu. Il est voulu, en fait, pour se procurer quelque chose qui apparaît comme un bien. Cest un bien, faux, peut-être, mais qui paraît bon, qui est cherché. Et si Dieu embrasse lhomme (parabole du Père du prodigue), cest parce quil sait que celui-ci sest trompé, quil ne voulait pas le mal, et quil a besoin dune forte dose damour pour retrouver sa lucidité et pouvoir ainsi reprendre la lutte pour la vie. Cest pour cela quil a donné son Fils. Le Père nest pas là pour nous surveiller ou nous punir, mais pour nous aider à vivre et à réussir. Cette proposition de Teilhard sadresse à lintelligence puisquil sagit de comprendre la cause du mal, mais la sensibilité nest pas touchée directement par cette explication. Et pourtant lintelligence doit agir sur le coeur, sur la sensibilité; elle ne peut pas empêcher le coeur sensible de pleurer, mais elle peut faire que ce coeur sensible ne se révolte pas. Le coeur ne peut pas fonctionner sans lintelligence. Teilhard de Chardin a orienté la réflexion vers une nouvelle perception de lacte créateur. Dieu est la source, lhomme est un chantier qui part de rien et qui aboutira à la divinisation, et cest dans cette perspective quil a la charge de se construire. Avec le risque de se tromper et de souffrir ..... mais avec la certitude de réussir. Parce que Dieu, qui ne la pas fabriqué, travaille avec lui. Le MAL: le mal que nous avons à vivre. Il nous restera, pour la prochaine rencontre, à nous poser la question: « Dieu ne pouvait-il pas sy prendre autrement pour créer, de telle sorte que le mal nexiste pas ? »
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