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Thème de l'année: LE THEME DE L'ENFER DANS L'EVANGILE

26 Octobre 2003

La parabole du riche et de Lazare


L'ENFER, une horreur ? ou une fantastique bonne nouvelle ?
Nous partirons de l'Evangile, bien que le mot "enfer" n'existe pas dans l'Ecriture. L'Ecriture parle des "enfers" (au pluriel) ou du Shéol : ces domaines inférieurs, situés en-dessous de la vie, ce lieu qu'on ne peut ni voir ni mesurer, où vont dormir éternellement tous les vivants. Les juifs ne croyant pas à la résurrection, ne pouvaient croire à une punition dans l'éternité. La signification actuelle de l'enfer n'est donc pas biblique. Le Christianisme s'est saisi de cette notion. Il en a fait la sanction morale d'une vie ratée.
Mais l'enfer a un autre sens.

Tel le propriétaire d'une maison, fort belle en soi, mais bâtie dans un contexte qui la défigure, au point que ses enfants n'y viennent plus, je vais tenter de la replacer dans un contexte plus convenable. Pour cela je commencerai par la déstabiliser, en démontrant que ses fondations sont mauvaises. Dans le texte proposé pour cette instruction, nous verrons que l'Evangile déstabilise lui-même la notion d'enfer.

Alors que je parle, à longueur de vie, de la tendresse de Dieu, de la joie qu'il a à nous voir vivre et à nous préparer une éternité de gloire et de fête, je souffre de cette notion d'enfer qui grève d'un poids de désespérance les chrétiens. J'ai trop entendu dire que l'enfer nous menaçait tous. St Augustin, entre autres, disait qu'avant même de créer, Dieu avait décidé qui irait en enfer ou au ciel. J'ai eu beau établir que c'était faux, cette violence faite à mon intelligence et à la tendresse de Dieu m'a marqué au niveau de mon instinct profond.
Personne n'a demandé à vivre, et Dieu n'était pas obligé de créer. Je suis donc révolté par l'idée qu'il ait obligé à vivre des êtres dont la vie sur terre - pas toujours facile- s'achèverait sur une éternité de douleur. Que serait ce Dieu ? cette vision de l'enfer est intolérable, face au Père qui, nous dit Jésus, couvrit de baisers le pire de ses enfants (le fils prodigue). Le Dieu dont Jésus nous a parlé n'est pas un Dieu qui damne, mais un Dieu qui sauve à force d'embrasser. Et l'enfer, nous le verrons en conclusion, n'est pas fait pour punir.

LA PARABOLE DU RICHE ET DE LAZARE. C'est Jésus qui la raconte. Elle est intenable, comme s'il avait voulu miner l'image et l'idée de l'enfer. Mais elle ne porte pas d'abord sur l'enfer, elle n'en parle qu'accidentellement. Elle porte sur l'usage de la richesse : la manière dont j'en use sur terre aura une conséquence dans l'éternité. Elle n'est donc pas racontée pour donner officiellement une leçon sur l'enfer.
Nous allons pourtant en tirer une, en y relevant 4 anomalies :

-On assiste à un dialogue entre le ciel et le mauvais riche plongé en enfer, cet enfer qui pourtant est l'antipode absolu de Dieu, et d'où il est donc impossible de s'adresser à Dieu. Et, cela pose aussi question, ce n'est pas Dieu qui intervient, mais Abraham.
Qui donc est ce Dieu ? quand un de ses fils l'appelle du fond de sa détresse, il ne se dérange pas lui-même, mais il envoie son plénipotentiaire. Pourtant, tout damné qu'il soit, c'est son enfant, et c'est lui qui a voulu qu'il vive. Si quand ce fils désespère, Dieu ne se dérange pas à son appel, que fait-il d'autre que d'imiter le mauvais riche ? C'est scandaleux : Dieu ferait pour ce fils ce que le riche a fait durant sa vie envers Lazare.
Cela déstabilise l'image que nous nous faisons de Dieu. Qu'est cette tendresse qui, nous dit Jésus, admire ses enfants, les encourage quand ils ont mal, et qui dans l'éternité, ne se dérange pas pour un malheureux qui crie famine de tendresse à sa porte ?

-Dans cette parabole, Jésus enseigne que la manière dont on vit sur terre a une conséquence sur la manière dont on vivra dans l'éternité. Abraham est plus explicite : sur terre, le pauvre a souffert, le riche a bien vécu ; l'éternité va réparer, et donc le riche va souffrir. Cela paraît logique, mais c'est scandaleux.
Où est la justice ? une éternité de souffrance pour 40 ans d'égoïsme : est-ce une réparation juste ? Quel juge humain punirait de façon aussi disproportionnée ? Qu'est donc ce juge-là ?
Jésus déstabilise encore l'image que nous avons de Dieu. Je suis tenté de croire qu'il a pris l'image de ce juge pour nous faire comprendre que Dieu ne peut pas avoir ce visage.

-Dans sa définition théologique, l'enfer est un lieu où ne demeure que la haine. Dans ce lieu donc, pas la moindre nuance d'amour : les êtres n'y ont aucun souci des autres, et ne se reconnaissent même pas – ce qui est peut-être pire encore que la haine -. Car l'homme est un être de relation : un être qui dépend dans son existence du regard de l'autre, qui existe dans la mesure où quelqu'un en face le reconnaît et le nomme. L'enfer est l'absence de cette relation de reconnaissance. Sans elle, il n'y a pas d'amour, ni d'existence possible
Or le damné de la parabole demande à Abraham d'envoyer quelqu'un vers ses frères qui sont sur la terre. Ce mauvais riche sans cœur, replié sur lui-même, aime donc ! En enfer, ce lieu qui est par définition l'absence absolue de tout amour, et l'incapacité de toute reconnaissance d'un autre que soi, cet être-là aime encore son frère qui est sur la terre. Qu'est-ce que cela veut dire ? Dans cette réalité dont Jésus nous parle, il y a de l'amour. Ce n'est plus l'enfer !

-La réponse d'Abraham est terrible : il est inutile d'envoyer qui que ce soit auprès des frères, ils ne comprendront pas ! On reconnaît là la vision d'un certain christianisme : l'homme - à l'image de Dieu (!)- est mauvais a priori, au point de départ.
Quel est donc ce Dieu qui désespère des hommes ? Si le monde est tellement pervers et bouché, qu'il est incapable de comprendre les bonnes nouvelles que Dieu lui envoie, pourquoi alors leur a-t-il envoyé Jésus ? S'il l'a fait, c’est qu’il croyait que les hommes comprendraient.


UNE LEÇON D'ESPERANCE
Ce riche fait pitié. Lui dont on dit qu'il n'a jamais aimé, qu'il n'a été toute sa vie qu'égoïsme, totalement vicié par sa richesse, cet homme-là, dans l'éternité, pose un acte d'amour. Ce n'est pas en enfer qu'il a appris à aimer puisque dans cette éternité malheureuse, il n'y a pas d'amour. C'est donc sur terre qu'il l'a appris, et il s'en souvient encore.
C'est sur terre que cet homme s'est lié à ses frères. Il s'est lié au point que sa souffrance, qui devrait l'aveugler, ne l'empêche pas de repenser à eux. D'ordinaire un être enfermé dans la désespérance reste replié sur sa souffrance, et ne pense à personne. Les liens que ce riche a noués sont tellement forts que la plus horrible souffrance -la désespérance de l'enfer et l'absence de Dieu- ne l'aveugle pas. Rien ne tue l'amour que cet égoïste a appris à vivre sur terre.
Magnifique leçon d'espérance sur notre terre d'homme ! Cela veut dire qu'une vie qui ne ferait aucune place à l'amour, cela n'existe pas. Car on n'apprend pas à aimer en une seconde. Il faut maintes occasions de poser des actes d'amour, pour que ce pli se prenne et puisse resurgir dans la désespérance.
Par cette parabole, Jésus enseigne qu'il n'y a pas de vie humaine sur terre tellement repliée sur elle-même qu'elle n'aurait ni l'occasion ni la possibilité d'apprendre à aimer. Quand on prétend que l'homme n'est qu'égoïsme, on le voit au travers de filtres qui ne laissent passer que les échecs, le noir, la nuit. Il faut nier cela avec force, c'est faux. Il n'est pas possible que la terre ne produise que du non-amour. Sur terre on apprend à aimer.
Puissions-nous garder de cette parabole au moins une certitude : l'enfer est impossible car en enfer on ne peut envoyer de l'amour, et que tout être qui sort de la terre, quoi qu'il ait vécu, est prêt à aimer, et a payé le prix de l'amour.

EN CONCLUSION, la terre est bonne pour le ciel. Tout homme qui vit sur terre, quelle que soit la qualité de sa vie, quels que soient ses défauts ou son enfermement, est "bon" pour être divinisé et il sera divinisé.

L'enfer dans ces conditions ? oui, il existe !
Dans "La divine comédie", Dante a écrit au-dessus de la porte qui mène en enfer : "je suis l'œuvre de l'amour". Pour admettre que l'enfer soit l'œuvre de l'amour, il faut d'abord accepter d'entendre l'envers de ce qu'on a pu nous dire. Il faut une conversion de l'intelligence, au point de voir l'enfer comme une preuve de la tendresse libératrice de Dieu. Dans la théologie que je suis, en enfer, il n'y a pas de démon, il n'y a personne.

Depuis que je suis prêtre, le seul souci de mon sacerdoce a été de dire que Dieu est tendresse et que l'homme est à son image. Or ce récit que Jésus a inventé, s'il est pris au pied de la lettre, est la plus belle injure qu'on puisse faire à Dieu. Si Jésus l'a bien dit tel quel, je veux croire que c'était pour nous faire réagir. Il l'a fait exprès pour éveiller l'attention des hommes, à qui les disciples allaient parler par la suite. Car il savait bien que le monde se laisserait prendre à cette erreur de prédication, qui donne l'image d'un Dieu juge, damnateur, maître impitoyable et inflexible, et dont le souci est de punir plus que de récompenser.
Le Dieu dont Jésus parle ici est aux antipodes de celui qu'il est venu nous révéler. Jésus savait que la force de sa parole et sa confiance en la tendresse du Père ne suffiraient pas pour réveiller l'intelligence de gens endormis dans une certitude, cette idée d'un Dieu sévère et punisseur. Comment les réveiller? Leur dire une énormité qui les fasse bondir. Il a lancé cette parabole espérant que les chrétiens se révolteraient contre cette erreur de perspective. Mais ils ne se sont pas révoltés en assez grand nombre, pour que cela fasse loi et puisse s'imposer. Et pour ceux qui ne comprennent pas cet évangile, l'image du Père en est blessée.
Jésus a pensé que le visage de ce Dieu-là ferait une opposition avec celui du père du fils prodigue, si éclatante que cela réveillerait la conscience des chrétiens. Il compte sur l'amour et l'intelligence qu'il a mis dans le cœur des vivants, pour qu'ils saisissent que c'est par l'absurde qu'ici, il leur parle de Dieu, et que donc la vérité est à l'opposé.
Sa parabole est une prédication « à l'envers » du visage du Père. Sa visée n'était pas de nous dire qu'une vie égoïste serait punie par une éternité de souffrance, mais qu'une vie sur terre ne peut pas ne pas produire un être qui aime. Il nous le dit par l'absurde.

Cette parabole est aussi une invitation à manier l'Evangile avec prudence. En général, on est tenté de le lire vite. Or les sens profonds de l'Evangile ne se découvrent pas à fleur de peau. Tant qu'on ne l'a pas lu jusqu'à être intimement persuadé de l'absolue tendresse de Dieu, tant qu'on n'a pas compris un texte, quel qu'il soit, comme une affirmation sans faille que Dieu est tendresse et que l'homme est grand et courageux, on l'a lu en surface. Jean-Paul II a invité les chrétiens à "relire l'évangile jusqu'à y voir une bonne nouvelle". Or quelques-uns des textes les plus difficiles à lire, justement, ont trait à l'enfer. Nous les relirons jusqu'à y découvrir cette bonne nouvelle. Dieu ne peut pas être celui que l'on croit deviner dans ces pages, il est l'inverse, un père de tendresse.

Je vous encourage à prendre la résolution de ne jamais laisser dire autour de vous que Dieu ait pu nous laisser nous enfermer dans une vie mauvaise, et que l'homme est mauvais. Il faudrait nous engager désormais à bannir de nos dialogues toute parole laissant entendre que Dieu n'est pas tendresse, ou laissant croire aux hommes que Dieu les méprise. Nous devrions nous interdire d'accepter de douter de la tendresse de Dieu et la grandeur de l'homme.


REPONSE AUX QUESTIONS
-N'était-il pas dangereux d'enseigner une parabole qu'il faut entendre à l'envers ?
Le Christ ne s'adresse pas seulement à la sensibilité, mais aussi à l'intelligence. L'intelligence doit creuser.

-Quelles sont les conséquences dans l'éternité de ce qu'on vit sur terre ?
Notre façon de vivre sur terre nous permet de construire l'être qui va vivre dans l'éternité. Chaque acte que je pose me donne un supplément d'être.
Dans une construction, il y a inévitablement des échecs. Quand la maison est achevée, on fait disparaître les briques cassées. C'est pareil pour l'homme : seul compte ce que j'ai construit, c'est beau et solide, et Dieu en fait du divin. Ce qui est raté n'a aucune valeur : le mal est une absence de bien et une absence n'a pas de consistance. Les péchés, "tu les as jetés loin derrière toi" (Is. 38, 17), et l'acte suivant va combler le vide.

-Si l'enfer n'existe pas, qu'en est-il de la liberté humaine ?
Dire qu'il faut avoir la possibilité de choisir le malheur sous le prétexte d'être libre, est une thèse étonnante, qui repose sur une fausse idée de la liberté.
Etre libre ne consiste pas à pouvoir dire non, mais à avoir les moyens de prendre soi-même une décision. En effet, la liberté ne peut pas consister à vouloir le contraire de notre bien (en ce cas, Dieu ne serait pas libre), elle ne porte donc pas sur le choix. La grandeur de la liberté est dans la capacité à réaliser ce qu'on a choisi, à faire passer à l'acte la décision prise. Donner réalité à ce qui n'était au départ qu'un choix, c'est être comme Dieu, et c'est la grandeur de l'homme.

-Comment les êtres qui ont commis des atrocités seront-ils jugés ?
Ils le seront avec tendresse : c'est la parabole de l'enfant prodigue. Un seul acte d'amour est plus fort que n'importe quel mal.
Le mal qu'ils ont fait ne sera pas puni, ni réparé en enfer : à quoi et à qui pourrait servir la souffrance de l'enfer ? Il sera réparé au ciel. Ceux qui ont fait du mal ont la charge de réparer le mal qu'ils ont fait en aimant dans le ciel, et non en haïssant éternellement dans l'enfer (la haine ne répare rien). L'éternité nous est donnée pour participer à la fête de Dieu, mais aussi pour réparer et pour aider : c'est la Communion des Saints.

 


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