.Conférence
organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05
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Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
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Thème
de l'année:
LE
THEME DE L'ENFER DANS L'EVANGILE
26
Octobre 2003
La parabole du riche et
de Lazare
L'ENFER, une horreur
? ou une fantastique bonne nouvelle ?
Nous partirons de l'Evangile, bien que le mot "enfer" n'existe
pas dans l'Ecriture. L'Ecriture parle des "enfers" (au pluriel)
ou du Shéol : ces domaines inférieurs, situés en-dessous
de la vie, ce lieu qu'on ne peut ni voir ni mesurer, où vont
dormir éternellement tous les vivants. Les juifs ne croyant pas
à la résurrection, ne pouvaient croire à une punition
dans l'éternité. La signification actuelle de l'enfer
n'est donc pas biblique. Le Christianisme s'est saisi de cette notion.
Il en a fait la sanction morale d'une vie ratée.
Mais l'enfer a un autre sens.
Tel le propriétaire
d'une maison, fort belle en soi, mais bâtie dans un contexte qui
la défigure, au point que ses enfants n'y viennent plus, je vais
tenter de la replacer dans un contexte plus convenable. Pour cela je
commencerai par la déstabiliser, en démontrant que ses
fondations sont mauvaises. Dans le texte proposé pour cette instruction,
nous verrons que l'Evangile déstabilise lui-même la notion
d'enfer.
Alors que je parle,
à longueur de vie, de la tendresse de Dieu, de la joie qu'il
a à nous voir vivre et à nous préparer une éternité
de gloire et de fête, je souffre de cette notion d'enfer qui grève
d'un poids de désespérance les chrétiens. J'ai
trop entendu dire que l'enfer nous menaçait tous. St Augustin,
entre autres, disait qu'avant même de créer, Dieu avait
décidé qui irait en enfer ou au ciel. J'ai eu beau établir
que c'était faux, cette violence faite à mon intelligence
et à la tendresse de Dieu m'a marqué au niveau de mon
instinct profond.
Personne n'a demandé à vivre, et Dieu n'était pas
obligé de créer. Je suis donc révolté par
l'idée qu'il ait obligé à vivre des êtres
dont la vie sur terre - pas toujours facile- s'achèverait sur
une éternité de douleur. Que serait ce Dieu ? cette vision
de l'enfer est intolérable, face au Père qui, nous dit
Jésus, couvrit de baisers le pire de ses enfants (le fils prodigue).
Le Dieu dont Jésus nous a parlé n'est pas un Dieu qui
damne, mais un Dieu qui sauve à force d'embrasser. Et l'enfer,
nous le verrons en conclusion, n'est pas fait pour punir.
LA PARABOLE DU
RICHE ET DE LAZARE. C'est Jésus qui la raconte. Elle est intenable,
comme s'il avait voulu miner l'image et l'idée de l'enfer. Mais
elle ne porte pas d'abord sur l'enfer, elle n'en parle qu'accidentellement.
Elle porte sur l'usage de la richesse : la manière dont j'en
use sur terre aura une conséquence dans l'éternité.
Elle n'est donc pas racontée pour donner officiellement une leçon
sur l'enfer.
Nous allons pourtant en tirer une, en y relevant 4 anomalies :
-On assiste à
un dialogue entre le ciel et le mauvais riche plongé en enfer,
cet enfer qui pourtant est l'antipode absolu de Dieu, et d'où
il est donc impossible de s'adresser à Dieu. Et, cela pose aussi
question, ce n'est pas Dieu qui intervient, mais Abraham.
Qui donc est ce Dieu ? quand un de ses fils l'appelle du fond de sa
détresse, il ne se dérange pas lui-même, mais il
envoie son plénipotentiaire. Pourtant, tout damné qu'il
soit, c'est son enfant, et c'est lui qui a voulu qu'il vive. Si quand
ce fils désespère, Dieu ne se dérange pas à
son appel, que fait-il d'autre que d'imiter le mauvais riche ? C'est
scandaleux : Dieu ferait pour ce fils ce que le riche a fait durant
sa vie envers Lazare.
Cela déstabilise l'image que nous nous faisons de Dieu. Qu'est
cette tendresse qui, nous dit Jésus, admire ses enfants, les
encourage quand ils ont mal, et qui dans l'éternité, ne
se dérange pas pour un malheureux qui crie famine de tendresse
à sa porte ?
-Dans cette parabole,
Jésus enseigne que la manière dont on vit sur terre a
une conséquence sur la manière dont on vivra dans l'éternité.
Abraham est plus explicite : sur terre, le pauvre a souffert, le riche
a bien vécu ; l'éternité va réparer, et
donc le riche va souffrir. Cela paraît logique, mais c'est scandaleux.
Où est la justice ? une éternité de souffrance
pour 40 ans d'égoïsme : est-ce une réparation juste
? Quel juge humain punirait de façon aussi disproportionnée
? Qu'est donc ce juge-là ?
Jésus déstabilise encore l'image que nous avons de Dieu.
Je suis tenté de croire qu'il a pris l'image de ce juge pour
nous faire comprendre que Dieu ne peut pas avoir ce visage.
-Dans sa définition
théologique, l'enfer est un lieu où ne demeure que la
haine. Dans ce lieu donc, pas la moindre nuance d'amour : les êtres
n'y ont aucun souci des autres, et ne se reconnaissent même pas
ce qui est peut-être pire encore que la haine -. Car l'homme
est un être de relation : un être qui dépend dans
son existence du regard de l'autre, qui existe dans la mesure où
quelqu'un en face le reconnaît et le nomme. L'enfer est l'absence
de cette relation de reconnaissance. Sans elle, il n'y a pas d'amour,
ni d'existence possible
Or le damné de la parabole demande à Abraham d'envoyer
quelqu'un vers ses frères qui sont sur la terre. Ce mauvais riche
sans cur, replié sur lui-même, aime donc ! En enfer,
ce lieu qui est par définition l'absence absolue de tout amour,
et l'incapacité de toute reconnaissance d'un autre que soi, cet
être-là aime encore son frère qui est sur la terre.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Dans cette réalité dont
Jésus nous parle, il y a de l'amour. Ce n'est plus l'enfer !
-La réponse
d'Abraham est terrible : il est inutile d'envoyer qui que ce soit auprès
des frères, ils ne comprendront pas ! On reconnaît là
la vision d'un certain christianisme : l'homme - à l'image de
Dieu (!)- est mauvais a priori, au point de départ.
Quel est donc ce Dieu qui désespère des hommes ? Si le
monde est tellement pervers et bouché, qu'il est incapable de
comprendre les bonnes nouvelles que Dieu lui envoie, pourquoi alors
leur a-t-il envoyé Jésus ? S'il l'a fait, cest quil
croyait que les hommes comprendraient.
UNE LEÇON D'ESPERANCE
Ce riche fait pitié. Lui dont on dit qu'il n'a jamais aimé,
qu'il n'a été toute sa vie qu'égoïsme, totalement
vicié par sa richesse, cet homme-là, dans l'éternité,
pose un acte d'amour. Ce n'est pas en enfer qu'il a appris à
aimer puisque dans cette éternité malheureuse, il n'y
a pas d'amour. C'est donc sur terre qu'il l'a appris, et il s'en souvient
encore.
C'est sur terre que cet homme s'est lié à ses frères.
Il s'est lié au point que sa souffrance, qui devrait l'aveugler,
ne l'empêche pas de repenser à eux. D'ordinaire un être
enfermé dans la désespérance reste replié
sur sa souffrance, et ne pense à personne. Les liens que ce riche
a noués sont tellement forts que la plus horrible souffrance
-la désespérance de l'enfer et l'absence de Dieu- ne l'aveugle
pas. Rien ne tue l'amour que cet égoïste a appris à
vivre sur terre.
Magnifique leçon d'espérance sur notre terre d'homme !
Cela veut dire qu'une vie qui ne ferait aucune place à l'amour,
cela n'existe pas. Car on n'apprend pas à aimer en une seconde.
Il faut maintes occasions de poser des actes d'amour, pour que ce pli
se prenne et puisse resurgir dans la désespérance.
Par cette parabole, Jésus enseigne qu'il n'y a pas de vie humaine
sur terre tellement repliée sur elle-même qu'elle n'aurait
ni l'occasion ni la possibilité d'apprendre à aimer. Quand
on prétend que l'homme n'est qu'égoïsme, on le voit
au travers de filtres qui ne laissent passer que les échecs,
le noir, la nuit. Il faut nier cela avec force, c'est faux. Il n'est
pas possible que la terre ne produise que du non-amour. Sur terre on
apprend à aimer.
Puissions-nous garder de cette parabole au moins une certitude : l'enfer
est impossible car en enfer on ne peut envoyer de l'amour, et que tout
être qui sort de la terre, quoi qu'il ait vécu, est prêt
à aimer, et a payé le prix de l'amour.
EN CONCLUSION,
la terre est bonne pour le ciel. Tout homme qui vit sur terre, quelle
que soit la qualité de sa vie, quels que soient ses défauts
ou son enfermement, est "bon" pour être divinisé
et il sera divinisé.
L'enfer dans ces
conditions ? oui, il existe !
Dans "La divine comédie", Dante a écrit au-dessus
de la porte qui mène en enfer : "je suis l'uvre de
l'amour". Pour admettre que l'enfer soit l'uvre de l'amour,
il faut d'abord accepter d'entendre l'envers de ce qu'on a pu nous dire.
Il faut une conversion de l'intelligence, au point de voir l'enfer comme
une preuve de la tendresse libératrice de Dieu. Dans la théologie
que je suis, en enfer, il n'y a pas de démon, il n'y a personne.
Depuis que je suis
prêtre, le seul souci de mon sacerdoce a été de
dire que Dieu est tendresse et que l'homme est à son image. Or
ce récit que Jésus a inventé, s'il est pris au
pied de la lettre, est la plus belle injure qu'on puisse faire à
Dieu. Si Jésus l'a bien dit tel quel, je veux croire que c'était
pour nous faire réagir. Il l'a fait exprès pour éveiller
l'attention des hommes, à qui les disciples allaient parler par
la suite. Car il savait bien que le monde se laisserait prendre à
cette erreur de prédication, qui donne l'image d'un Dieu juge,
damnateur, maître impitoyable et inflexible, et dont le souci
est de punir plus que de récompenser.
Le Dieu dont Jésus parle ici est aux antipodes de celui qu'il
est venu nous révéler. Jésus savait que la force
de sa parole et sa confiance en la tendresse du Père ne suffiraient
pas pour réveiller l'intelligence de gens endormis dans une certitude,
cette idée d'un Dieu sévère et punisseur. Comment
les réveiller? Leur dire une énormité qui les fasse
bondir. Il a lancé cette parabole espérant que les chrétiens
se révolteraient contre cette erreur de perspective. Mais ils
ne se sont pas révoltés en assez grand nombre, pour que
cela fasse loi et puisse s'imposer. Et pour ceux qui ne comprennent
pas cet évangile, l'image du Père en est blessée.
Jésus a pensé que le visage de ce Dieu-là ferait
une opposition avec celui du père du fils prodigue, si éclatante
que cela réveillerait la conscience des chrétiens. Il
compte sur l'amour et l'intelligence qu'il a mis dans le cur des
vivants, pour qu'ils saisissent que c'est par l'absurde qu'ici, il leur
parle de Dieu, et que donc la vérité est à l'opposé.
Sa parabole est une prédication « à l'envers »
du visage du Père. Sa visée n'était pas de nous
dire qu'une vie égoïste serait punie par une éternité
de souffrance, mais qu'une vie sur terre ne peut pas ne pas produire
un être qui aime. Il nous le dit par l'absurde.
Cette parabole
est aussi une invitation à manier l'Evangile avec prudence. En
général, on est tenté de le lire vite. Or les sens
profonds de l'Evangile ne se découvrent pas à fleur de
peau. Tant qu'on ne l'a pas lu jusqu'à être intimement
persuadé de l'absolue tendresse de Dieu, tant qu'on n'a pas compris
un texte, quel qu'il soit, comme une affirmation sans faille que Dieu
est tendresse et que l'homme est grand et courageux, on l'a lu en surface.
Jean-Paul II a invité les chrétiens à "relire
l'évangile jusqu'à y voir une bonne nouvelle". Or
quelques-uns des textes les plus difficiles à lire, justement,
ont trait à l'enfer. Nous les relirons jusqu'à y découvrir
cette bonne nouvelle. Dieu ne peut pas être celui que l'on croit
deviner dans ces pages, il est l'inverse, un père de tendresse.
Je vous encourage
à prendre la résolution de ne jamais laisser dire autour
de vous que Dieu ait pu nous laisser nous enfermer dans une vie mauvaise,
et que l'homme est mauvais. Il faudrait nous engager désormais
à bannir de nos dialogues toute parole laissant entendre que
Dieu n'est pas tendresse, ou laissant croire aux hommes que Dieu les
méprise. Nous devrions nous interdire d'accepter de douter de
la tendresse de Dieu et la grandeur de l'homme.
REPONSE AUX QUESTIONS
-N'était-il pas dangereux d'enseigner une
parabole qu'il faut entendre à l'envers ?
Le Christ ne s'adresse pas seulement à la sensibilité,
mais aussi à l'intelligence. L'intelligence doit creuser.
-Quelles
sont les conséquences dans l'éternité de ce qu'on
vit sur terre ?
Notre façon de vivre sur terre nous permet de construire l'être
qui va vivre dans l'éternité. Chaque acte que je pose
me donne un supplément d'être.
Dans une construction, il y a inévitablement des échecs.
Quand la maison est achevée, on fait disparaître les briques
cassées. C'est pareil pour l'homme : seul compte ce que j'ai
construit, c'est beau et solide, et Dieu en fait du divin. Ce qui est
raté n'a aucune valeur : le mal est une absence de bien et une
absence n'a pas de consistance. Les péchés, "tu les
as jetés loin derrière toi" (Is. 38, 17), et l'acte
suivant va combler le vide.
-Si l'enfer
n'existe pas, qu'en est-il de la liberté humaine ?
Dire qu'il faut avoir la possibilité de choisir le malheur sous
le prétexte d'être libre, est une thèse étonnante,
qui repose sur une fausse idée de la liberté.
Etre libre ne consiste pas à pouvoir dire non, mais à
avoir les moyens de prendre soi-même une décision. En effet,
la liberté ne peut pas consister à vouloir le contraire
de notre bien (en ce cas, Dieu ne serait pas libre), elle ne porte donc
pas sur le choix. La grandeur de la liberté est dans la capacité
à réaliser ce qu'on a choisi, à faire passer à
l'acte la décision prise. Donner réalité à
ce qui n'était au départ qu'un choix, c'est être
comme Dieu, et c'est la grandeur de l'homme.
-Comment
les êtres qui ont commis des atrocités seront-ils jugés
?
Ils le seront avec tendresse : c'est la parabole de l'enfant prodigue.
Un seul acte d'amour est plus fort que n'importe quel mal.
Le mal qu'ils ont fait ne sera pas puni, ni réparé en
enfer : à quoi et à qui pourrait servir la souffrance
de l'enfer ? Il sera réparé au ciel. Ceux qui ont fait
du mal ont la charge de réparer le mal qu'ils ont fait en aimant
dans le ciel, et non en haïssant éternellement dans l'enfer
(la haine ne répare rien). L'éternité nous est
donnée pour participer à la fête de Dieu, mais aussi
pour réparer et pour aider : c'est la Communion des Saints.
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