.Conférence
organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05
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Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
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Thème
de l'année:
LE
THEME DE L'ENFER DANS L'EVANGILE
25
Janvier 2004
L'enfer,
la géhenne, l'espérance.
Le mot «
enfer », sujet très coté dans l'Eglise, ne se trouve
que 3 fois dans la Bible de Jérusalem, et 33 fois dans la TOB.
C'est très peu. C'est dire aussi que les traducteurs ont du mal
à sentendre pour donner un nom à la réalité
dont il s'agit.
Cette réalité, en effet, n'est pas claire. C'est le christianisme
qui a le plus précisé ce que recouvrait ce mot : la vengeance
de Dieu sur le mal ! L'enfer : l'horreur absolue, où un être
qui toute sa vie aura tâtonné entre amour et égoïsme,
ne saura plus que haïr. Vu par une certaine théologie, l'enfer
a donc le pouvoir de transformer un homme fait pour aimer, en un être
qui haïra pour toujours. La haine à jamais, envers Dieu
comme envers ceux que lon aura aimés sur terre !Ainsi,
on attribue au Père qui nous a appelés par amour, la capacité
de nous changer en « haïsseurs » pour l'éternité.
Sil en est ainsi, il valait mieux ne pas créer !
C'est vrai que
parfois j'ai pu refuser d'aimer. Mais, je le sais par expérience,
j'en ai été malheureux : car je ne suis pas bâti
sur le besoin de faire du mal. C'est contre moi et sans joie que je
le fais ; et la satisfaction que je peux éprouver ne dure guère.
A ce moment, j'oublie qui je suis : ma nature n'est pas faite pour haïr.
Le fond de mon être et l'essentiel de mes besoins cest d'aimer,
à l'image de mon Père. Or si je n'aime pas au degré
qui m'est demandé, je serai changé en un être qui
ne sait plus que haïr !
Pour l'Eglise chrétienne, la vie est le champ clos dans lequel
2 puissances -qui ne sont pas équivalentes- se livrent combat
à travers nous : celle de l'amour, dont les chrétiens
disent quelle est souveraine, et en face, le diable. Connaissant
les adversaires, on pourrait penser que Dieu aura le dernier mot. Or
il suffit que pour un seul être, le démon l'emporte pour
que l'amour de Dieu soit vaincu par la haine.
Voilà, réduite à son noyau le plus sauvage, la
théologie de l'enfer : si on va au bout, on voit la haine l'emporter
: Dieu est donc moins fort que le démon !
Que pourrait bien
signifier, dans ces conditions, que "les bienheureux danseront"
à cet immense repas auquel tous étaient conviés
? Aurez-vous le cur de faire la fête, en sachant que quelqu'un
que vous avez aimé est en train de croupir à jamais dans
la pire des souffrances ? Et le Père, qui l'a obligé à
vivre, mènerait le bal ? Si l'enfer est ce qu'on nous dit, il
n'y a pas de ciel. Il n'est pas possible d'être heureux si un
frère doit souffrir éternellement pendant que je danse.
Et pourtant, le ciel existe. Alors que faire de l'enfer ? car, Dieu
merci, il existe !
"J'ai
eu soif, et tu m'as donné à boire", "J'ai eu
soif, et tu ne m'as pas donné à boire"(Mt
25, 31-46)
Je ne t'ai pas donné à boire, dis-tu, mais je t'ai aussi
donné à boire. Qui, sa vie durant, a pu ne faire que refuser
? Et, de même, qui naurait fait quaimer ? La séparation
entre bien et mal ne passe pas entre les frères : ceux qui nauraient
fait que du bien, dun côté ; et ceux qui nauraient
fait que du mal, de lautre. Elle passe dans le cur même
de chaque vivant qui est lui-même partagé entre le bien
quil a fait et le mal, quil a fait aussi. Ce nest
donc pas entre les bons et les mauvais quil faut trancher : la
limite se situe au cur de chacun.
Mais alors, si Dieu pèse en chacun le poids du bien et du mal,
et s'il envoie tout en bloc en enfer, il est injuste : il envoie en
enfer de l'amour, il punit donc de l'amour, et il le change en haine.
S'il fait l'inverse, il envoie des saletés au ciel.
Alors ? Alors Dieu est juste. Comme le chirurgien, qui avec son scalpel,
découpe la tumeur pour sauver le malade, Dieu découpe
dans son fils le mal : ce mal va « en enfer » et le reste
est sauvé. Dans la confession, c'est déjà ce qu'il
fait : pour pardonner, il serre son enfant contre lui, et les actes
mauvais fondent dans la force de sa tendresse, dégageant par
la fait même, sa beauté. Ce qu'il fait pendant toute une
vie, ne peut-il le faire au dernier jour ?
L'enfer est "l'uvre
de l'amour" disait Dante. Voyons cela. Personne n'est fier de ses
échecs. Notre seul souhait serait quon les détruise,
ou seulement : « si j'avais pu ne pas le faire ! ». L'enfer
: Dieu me délivrera de mon mal, quoi que j'aie fait. J'en suis
assuré : s'il y a eu de l'amour et il y en a toujours si
peu que ce soit, il faut quil soit sauvé. Pour cela,
le Père me "couvrira de baisers", et le mal que j'aurai
fait s'effondrera de lui-même dans la chaleur de son baiser. Il
sera anéanti : cela veut dire quil n'existera plus. A tel
point que même ma mémoire en sera libérée
sans retour. Lenfer : le moment où ce qui maccable
est anéanti. Sans retour.
L'enfer n'est pas un lieu, mais un état : l'état auquel
aboutissent nos échecs. Les actes que nous avons construits sans
assez d'amour, donc sans assez de ciment, ne tiennent pas sous la chaleur
du baiser du Père : il n'en reste rien, ni trace, ni souvenir.
Jen serai totalement libéré.
Cest que la vie nous avait été donnée pour
construire de la beauté, mais c'était difficile car nous
étions en pleine évolution, inachevés, donc, et
nous dérapions parfois. On naurait pas voulu déraper,
mais on n'a pas toujours été bien malin devant le mal.
Et voilà que lorsque le Père me tiendra dans ses bras,
je découvrirai enfin qui je suis ; je me verrai à son
image. Je n'aurai jamais osé y croire. On m'avait trop appris
à me méfier de moi ! Mais là, Dieu me décapera,
et, de ce fait, me révèlera que j'étais beau, assez
pour entrer dans sa fête, et que je ne le savais pas. L'enfer,
ce n'est pas la haine, c'est la libération absolue du mal qui
me cachait à mes yeux et aux yeux de mes frères, ma véritable
beauté. Il n'y aura plus en moi que moi. Plus rien des échecs
qui prenaient trop de place comme des verrues gênantes. Le Père
mentraînera dans sa fête, où seront tous les
vivants, même ceux dont, moi, peut-être javais été
tenté de désespérer.
En un mot : cest vrai, j'ai refusé de donner à boire,
mais ce refus, parce quil manquait du ciment de lamour,
ne tiendra pas sous la chaleur de la tendresse. En revanche tout ce
que jaurai fait avec amour, si peu que çait été,
et les réparations aussi que jaurai faites, tout, dun
coup sera éternel.
La raison pour
laquelle je dis cela ? Quand Jésus parle de l'enfer, il le nomme
la géhenne. Or pour ses contemporains, la géhenne est
la vallée qui passe en bas des remparts de Jérusalem,
où les païens, avant que David ne vienne, brûlaient
des enfants pour leurs dieux. Mais après que David eût
conquis Jérusalem, on ny brûlait plus que les détritus
de la ville. Les auditeurs de Jésus ne se sont pas scandalisés
: ils ont compris que la géhenne est comme un « lieu »
où Dieu envoie, pour quils soient « brûlés
» nos échecs, nos péchés, ce qui n'a pas
de valeur, mais certainement pas un lieu où certains brûleraient
à jamais dans la haine.
Si Jésus n'a pas parlé d »anéantissement
», dans lévangile, comme nous le faisons aujourdhui,
cest que ce mot était bien abstrait pour ses contemporains.
Il relève en effet de la philosophie et désigne «
une absence d'existence ». Mais en utilisant limage de la
géhenne, il laissait entendre ce pouvoir merveilleux qu'a le
créateur de réduire à néant ce que l'on
a mal fait. Doù lenfer au sens utilisé ici
: létat danéantissement du mal.
"Il
a sa pelle à vanner à la main, il va .. recueillir son
blé. Mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint
pas". (Mt 3, 11-12)
Où serait l'intelligence du propriétaire d'un champ de
blé, qui ayant achevé sa récolte, ferait tout brûler,
grain compris, pour se débarrasser des tiges du blé ?
Jean-Baptiste annonce ainsi le Fils de Dieu : il frappe avec sa pelle
à vanner pour faire tomber le grain, puis il brûlera les
tiges. Jésus se collète avec le vivant, et le "secoue"
jusqu'à faire que se sépare ce qui a du poids et ce qui
n'a aucun intérêt. Il n'a d'ailleurs pas à secouer
beaucoup, car nous ne tenons pas au mal que nous avons fait.
Ce geste, quil pratique aussi dans l'absolution, sera l'ultime
geste de Dieu. Il ne prendra pas sa pelle à vanner. Mais il nous
prendra dans ses bras. Dans la chaleur de son incommensurable tendresse,
ce qui est beau en nous s'élèvera, le reste disparaîtra.
"L'uvre
de chacun
(le véritable moi que j'ai construit) sera
mis en évidence" "Le jour du jugement
la fera connaître" (1Cor 3, 9-15)
Pourquoi a-t-on entendu le mot « juger » au sens de condamner,
de punir et non pas au sens de « jauger » ? Que fait donc
un juge devant un accusé ? Il analyse lhomme quon
lui présente ; il consulte témoins ou psychiatres. Il
cherche, malgré ses moyens limités, à établir
où est exactement ce qui est à sanctionner. Ce besoin
qu'a l'homme de délimiter au plus juste ce qu'il faudra punir
n'a rien à voir avec le jour du jugement, ce "jour de colère",
dont on nous parlait. Mais il dessine limage d un Père
qui veut sauver au plus près ce qui peut lêtre.
On découvre dailleurs aujourd'hui que la meilleure sanction
n'est pas de punir, mais de demander une réparation, quand c'est
possible, envers la personne (ou la société) blessée
: la peine de substitution.
Dieu non plus ne condamne pas. Punir en bloc un être ne fait qu'ajouter
au mal qu'il a fait, le mal de sa condamnation et celui de sa souffrance
définitive. La meilleure manière de détruire le
mal est de donner l'occasion à celui qui l'a fait de réparer.
Et puisque le mal a été un manque d'amour, Dieu donne
à son enfant loccasion de remplacer ce manque d'amour par
un supplément d'amour. Il a en effet, ce pouvoir extraordinaire
de permettre à des hommes de passer leur éternité
à réparer : leur mal a été de n'avoir pas
assez aimé ? Il les « condamne » à aimer pour
toujours. C'est ainsi que Dieu juge.
Dieu n'a pas hésité
à lancer la vie, malgré le mal qu'inévitablement
nous ferions tous. Il savait qu'il donnerait aux vivants le temps d'aimer
infiniment, un jour, et l'occasion, donc, d'une réparation illimitée
et éternelle. Le mal qu'ils auront fait aura inévitablement
été limité, mais lamour quil vivront
pendant léternité le recouvrira sans limites dun
amour qui aura enfin la vigueur même de la tendresse de Dieu :
compensation largement infinie.
Petits et grands manques d'amour seront réparés. Y compris
ceux d'Hitler (Hitler, symbole pour nous de la pire horreur du mal !)
Hitler en effet ne peut être en enfer, car il doit réparer
l'odieux manque d'amour dont il a ensemencé l'histoire. En enfer,
il haïrait. Mais Dieu l'a « condamné » à
aimer éternellement pour réparer sa haine. Je crois que
si les premiers pas de l'Europe ont été relativement faciles,
c'est que Hitler, dans l'éternité, fait ce qu'il peut
à coups damour, pour réparer les divisions quil
a produites. N'oublions pas la communion des saints. Nous sommes tous
liés, les uns aux autres sur terre mais aussi avec ceux qui sont
dans l'éternité. Ceux-là continuent de vivre avec
nous, et de lutter pour que nous humanisions davantage la terre. La
mort n'a pas rompu les liens. Ces « disparus » continuent
donc d'agir dans l'histoire, ils ensemencent l'amour, que parfois ils
n'ont pas su faire pousser. Les grands criminels ne sont pas condamnés
à mettre encore plus de haine dans l'histoire, mais à
aimer, au milieu de nous, pour nous aider à redresser ce que
nous avons, parfois, tordu.
Nous n'en avons pas de preuve. Mais je m'appuie sur 2 critères
de vérité pour enseigner cela : l'intelligence de l'idée
trouvée, et sa cohérence avec ce que je sais de l'homme
et de Dieu. Quel Dieu est plus intelligent ? celui qui condamne à
haïr des êtres qui nont pas demandé à
vivre ? ou celui qui condamne à aimer ceux qui ont manqué
d'amour ? Et quelle idée de Dieu s'imbrique le mieux dans la
Bonne Nouvelle ? Celle dun Dieu vaincu par la haine ou celle dun
Dieu plus fort que toute détestation ?
"car
il se manifeste par le feu"
"lui-même sera sauvé,
comme on l'est à travers le feu"
Ce qui passe au
travers du feu, ny résiste pas. Même l'or ne résiste
pas au feu d'ici-bas. Mais le feu dont parle Paul, c'est l'amour. Ce
feu-là détruit tout ce qui n'est pas « sain »,
et il porte à lincandescence définitive ce qui est
beau. Un seul feu peut faire cela dans un seul geste : celui du Père
couvrant son fils de baisers. Il éternise ce qui, si peu que
ce soit, se trouve imbibé par l'amour. Le feu des bras du Père
: un tribunal ?
Le jour vient où nous passerons "à travers ce feu",
tendresse brûlante qui dégagera notre beauté de
nos scories. Nous lentendrons sextasier : « Mon fils
chéri, tu as fait toi-même une beauté équivalente
à la mienne, elle entre donc désormais dans l'état
d'éternité. Le plus petit geste d'amour que tu as fait,
brille de la même clarté définitive que le mien.
Tu étais grand et tu ne le savais pas. Quand tu as peur, sache
bien que Moi, ton Père, je ne tai créé que
parce que je savais que tu saurais aimer, à ta mesure, mais comme
moi. Cest parce que je savais que ta beauté et ton courage
seraient divinisables, que je tai donné la vie. Sois sans
crainte, si tu es vivant aujourdhui cest que, davance
je te savais capable dêtre dieu. »
Chaque vivant entend un jour, ce langage.
Lamour a eu le premier mot. Il aura le dernier. Il est la clé
de lHistoire.
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