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Thème de l'année: LE THEME DE L'ENFER DANS L'EVANGILE

25 Janvier 2004

L'enfer, la géhenne, l'espérance.

 

Le mot « enfer », sujet très coté dans l'Eglise, ne se trouve que 3 fois dans la Bible de Jérusalem, et 33 fois dans la TOB. C'est très peu. C'est dire aussi que les traducteurs ont du mal à s’entendre pour donner un nom à la réalité dont il s'agit.
Cette réalité, en effet, n'est pas claire. C'est le christianisme qui a le plus précisé ce que recouvrait ce mot : la vengeance de Dieu sur le mal ! L'enfer : l'horreur absolue, où un être qui toute sa vie aura tâtonné entre amour et égoïsme, ne saura plus que haïr. Vu par une certaine théologie, l'enfer a donc le pouvoir de transformer un homme fait pour aimer, en un être qui haïra pour toujours. La haine à jamais, envers Dieu comme envers ceux que l’on aura aimés sur terre !Ainsi, on attribue au Père qui nous a appelés par amour, la capacité de nous changer en « haïsseurs » pour l'éternité.
S’il en est ainsi, il valait mieux ne pas créer !

C'est vrai que parfois j'ai pu refuser d'aimer. Mais, je le sais par expérience, j'en ai été malheureux : car je ne suis pas bâti sur le besoin de faire du mal. C'est contre moi et sans joie que je le fais ; et la satisfaction que je peux éprouver ne dure guère. A ce moment, j'oublie qui je suis : ma nature n'est pas faite pour haïr. Le fond de mon être et l'essentiel de mes besoins c’est d'aimer, à l'image de mon Père. Or si je n'aime pas au degré qui m'est demandé, je serai changé en un être qui ne sait plus que haïr !
Pour l'Eglise chrétienne, la vie est le champ clos dans lequel 2 puissances -qui ne sont pas équivalentes- se livrent combat à travers nous : celle de l'amour, dont les chrétiens disent qu’elle est souveraine, et en face, le diable. Connaissant les adversaires, on pourrait penser que Dieu aura le dernier mot. Or il suffit que pour un seul être, le démon l'emporte pour que l'amour de Dieu soit vaincu par la haine.
Voilà, réduite à son noyau le plus sauvage, la théologie de l'enfer : si on va au bout, on voit la haine l'emporter : Dieu est donc moins fort que le démon !

Que pourrait bien signifier, dans ces conditions, que "les bienheureux danseront" à cet immense repas auquel tous étaient conviés ? Aurez-vous le cœur de faire la fête, en sachant que quelqu'un que vous avez aimé est en train de croupir à jamais dans la pire des souffrances ? Et le Père, qui l'a obligé à vivre, mènerait le bal ? Si l'enfer est ce qu'on nous dit, il n'y a pas de ciel. Il n'est pas possible d'être heureux si un frère doit souffrir éternellement pendant que je danse. Et pourtant, le ciel existe. Alors que faire de l'enfer ? car, Dieu merci, il existe !

"J'ai eu soif, et tu m'as donné à boire", "J'ai eu soif, et tu ne m'as pas donné à boire"(Mt 25, 31-46)
Je ne t'ai pas donné à boire, dis-tu, mais je t'ai aussi donné à boire. Qui, sa vie durant, a pu ne faire que refuser ? Et, de même, qui n’aurait fait qu’aimer ? La séparation entre bien et mal ne passe pas entre les frères : ceux qui n’auraient fait que du bien, d’un côté ; et ceux qui n’auraient fait que du mal, de l’autre. Elle passe dans le cœur même de chaque vivant qui est lui-même partagé entre le bien qu’il a fait et le mal, qu’il a fait aussi. Ce n’est donc pas entre les bons et les mauvais qu’il faut trancher : la limite se situe au cœur de chacun.
Mais alors, si Dieu pèse en chacun le poids du bien et du mal, et s'il envoie tout en bloc en enfer, il est injuste : il envoie en enfer de l'amour, il punit donc de l'amour, et il le change en haine. S'il fait l'inverse, il envoie des saletés au ciel.
Alors ? Alors Dieu est juste. Comme le chirurgien, qui avec son scalpel, découpe la tumeur pour sauver le malade, Dieu découpe dans son fils le mal : ce mal va « en enfer » et le reste est sauvé. Dans la confession, c'est déjà ce qu'il fait : pour pardonner, il serre son enfant contre lui, et les actes mauvais fondent dans la force de sa tendresse, dégageant par la fait même, sa beauté. Ce qu'il fait pendant toute une vie, ne peut-il le faire au dernier jour ?

L'enfer est "l'œuvre de l'amour" disait Dante. Voyons cela. Personne n'est fier de ses échecs. Notre seul souhait serait qu’on les détruise, ou seulement : « si j'avais pu ne pas le faire ! ». L'enfer : Dieu me délivrera de mon mal, quoi que j'aie fait. J'en suis assuré : s'il y a eu de l'amour –et il y en a toujours si peu que ce soit–, il faut qu’il soit sauvé. Pour cela, le Père me "couvrira de baisers", et le mal que j'aurai fait s'effondrera de lui-même dans la chaleur de son baiser. Il sera anéanti : cela veut dire qu’il n'existera plus. A tel point que même ma mémoire en sera libérée sans retour. L’enfer : le moment où ce qui m’accable est anéanti. Sans retour.
L'enfer n'est pas un lieu, mais un état : l'état auquel aboutissent nos échecs. Les actes que nous avons construits sans assez d'amour, donc sans assez de ciment, ne tiennent pas sous la chaleur du baiser du Père : il n'en reste rien, ni trace, ni souvenir. J’en serai totalement libéré.
C’est que la vie nous avait été donnée pour construire de la beauté, mais c'était difficile car nous étions en pleine évolution, inachevés, donc, et nous dérapions parfois. On n’aurait pas voulu déraper, mais on n'a pas toujours été bien malin devant le mal. Et voilà que lorsque le Père me tiendra dans ses bras, je découvrirai enfin qui je suis ; je me verrai à son image. Je n'aurai jamais osé y croire. On m'avait trop appris à me méfier de moi ! Mais là, Dieu me décapera, et, de ce fait, me révèlera que j'étais beau, assez pour entrer dans sa fête, et que je ne le savais pas. L'enfer, ce n'est pas la haine, c'est la libération absolue du mal qui me cachait à mes yeux et aux yeux de mes frères, ma véritable beauté. Il n'y aura plus en moi que moi. Plus rien des échecs qui prenaient trop de place comme des verrues gênantes. Le Père m’entraînera dans sa fête, où seront tous les vivants, même ceux dont, moi, peut-être j’avais été tenté de désespérer.
En un mot : c’est vrai, j'ai refusé de donner à boire, mais ce refus, parce qu’il manquait du ciment de l’amour, ne tiendra pas sous la chaleur de la tendresse. En revanche tout ce que j’aurai fait avec amour, si peu que ç’ait été, et les réparations aussi que j’aurai faites, tout, d’un coup sera éternel.

La raison pour laquelle je dis cela ? Quand Jésus parle de l'enfer, il le nomme la géhenne. Or pour ses contemporains, la géhenne est la vallée qui passe en bas des remparts de Jérusalem, où les païens, avant que David ne vienne, brûlaient des enfants pour leurs dieux. Mais après que David eût conquis Jérusalem, on n’y brûlait plus que les détritus de la ville. Les auditeurs de Jésus ne se sont pas scandalisés : ils ont compris que la géhenne est comme un « lieu » où Dieu envoie, pour qu’ils soient « brûlés » nos échecs, nos péchés, ce qui n'a pas de valeur, mais certainement pas un lieu où certains brûleraient à jamais dans la haine.
Si Jésus n'a pas parlé d’ »anéantissement », dans l’évangile, comme nous le faisons aujourd’hui, c’est que ce mot était bien abstrait pour ses contemporains. Il relève en effet de la philosophie et désigne « une absence d'existence ». Mais en utilisant l’image de la géhenne, il laissait entendre ce pouvoir merveilleux qu'a le créateur de réduire à néant ce que l'on a mal fait. D’où l’enfer au sens utilisé ici : l’état d’anéantissement du mal.

"Il a sa pelle à vanner à la main, il va .. recueillir son blé. Mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas". (Mt 3, 11-12)
Où serait l'intelligence du propriétaire d'un champ de blé, qui ayant achevé sa récolte, ferait tout brûler, grain compris, pour se débarrasser des tiges du blé ? Jean-Baptiste annonce ainsi le Fils de Dieu : il frappe avec sa pelle à vanner pour faire tomber le grain, puis il brûlera les tiges. Jésus se collète avec le vivant, et le "secoue" jusqu'à faire que se sépare ce qui a du poids et ce qui n'a aucun intérêt. Il n'a d'ailleurs pas à secouer beaucoup, car nous ne tenons pas au mal que nous avons fait.
Ce geste, qu’il pratique aussi dans l'absolution, sera l'ultime geste de Dieu. Il ne prendra pas sa pelle à vanner. Mais il nous prendra dans ses bras. Dans la chaleur de son incommensurable tendresse, ce qui est beau en nous s'élèvera, le reste disparaîtra.

"L'œuvre de chacun (le véritable moi que j'ai construit) sera mis en évidence" "Le jour du jugement la fera connaître" (1Cor 3, 9-15)
Pourquoi a-t-on entendu le mot « juger » au sens de condamner, de punir et non pas au sens de « jauger » ? Que fait donc un juge devant un accusé ? Il analyse l’homme qu’on lui présente ; il consulte témoins ou psychiatres. Il cherche, malgré ses moyens limités, à établir où est exactement ce qui est à sanctionner. Ce besoin qu'a l'homme de délimiter au plus juste ce qu'il faudra punir n'a rien à voir avec le jour du jugement, ce "jour de colère", dont on nous parlait. Mais il dessine l’image d’ un Père qui veut sauver au plus près ce qui peut l’être.
On découvre d’ailleurs aujourd'hui que la meilleure sanction n'est pas de punir, mais de demander une réparation, quand c'est possible, envers la personne (ou la société) blessée : la peine de substitution.
Dieu non plus ne condamne pas. Punir en bloc un être ne fait qu'ajouter au mal qu'il a fait, le mal de sa condamnation et celui de sa souffrance définitive. La meilleure manière de détruire le mal est de donner l'occasion à celui qui l'a fait de réparer. Et puisque le mal a été un manque d'amour, Dieu donne à son enfant l’occasion de remplacer ce manque d'amour par un supplément d'amour. Il a en effet, ce pouvoir extraordinaire de permettre à des hommes de passer leur éternité à réparer : leur mal a été de n'avoir pas assez aimé ? Il les « condamne » à aimer pour toujours. C'est ainsi que Dieu juge.

Dieu n'a pas hésité à lancer la vie, malgré le mal qu'inévitablement nous ferions tous. Il savait qu'il donnerait aux vivants le temps d'aimer infiniment, un jour, et l'occasion, donc, d'une réparation illimitée et éternelle. Le mal qu'ils auront fait aura inévitablement été limité, mais l’amour qu’il vivront pendant l’éternité le recouvrira sans limites d’un amour qui aura enfin la vigueur même de la tendresse de Dieu : compensation largement infinie.
Petits et grands manques d'amour seront réparés. Y compris ceux d'Hitler (Hitler, symbole pour nous de la pire horreur du mal !) Hitler en effet ne peut être en enfer, car il doit réparer l'odieux manque d'amour dont il a ensemencé l'histoire. En enfer, il haïrait. Mais Dieu l'a « condamné » à aimer éternellement pour réparer sa haine. Je crois que si les premiers pas de l'Europe ont été relativement faciles, c'est que Hitler, dans l'éternité, fait ce qu'il peut à coups d’amour, pour réparer les divisions qu’il a produites. N'oublions pas la communion des saints. Nous sommes tous liés, les uns aux autres sur terre mais aussi avec ceux qui sont dans l'éternité. Ceux-là continuent de vivre avec nous, et de lutter pour que nous humanisions davantage la terre. La mort n'a pas rompu les liens. Ces « disparus » continuent donc d'agir dans l'histoire, ils ensemencent l'amour, que parfois ils n'ont pas su faire pousser. Les grands criminels ne sont pas condamnés à mettre encore plus de haine dans l'histoire, mais à aimer, au milieu de nous, pour nous aider à redresser ce que nous avons, parfois, tordu.
Nous n'en avons pas de preuve. Mais je m'appuie sur 2 critères de vérité pour enseigner cela : l'intelligence de l'idée trouvée, et sa cohérence avec ce que je sais de l'homme et de Dieu. Quel Dieu est plus intelligent ? celui qui condamne à haïr des êtres qui n’ont pas demandé à vivre ? ou celui qui condamne à aimer ceux qui ont manqué d'amour ? Et quelle idée de Dieu s'imbrique le mieux dans la Bonne Nouvelle ? Celle d’un Dieu vaincu par la haine ou celle d’un Dieu plus fort que toute détestation ?

"car il se manifeste par le feu"… "lui-même sera sauvé, comme on l'est à travers le feu"

Ce qui passe au travers du feu, n’y résiste pas. Même l'or ne résiste pas au feu d'ici-bas. Mais le feu dont parle Paul, c'est l'amour. Ce feu-là détruit tout ce qui n'est pas « sain », et il porte à l’incandescence définitive ce qui est beau. Un seul feu peut faire cela dans un seul geste : celui du Père couvrant son fils de baisers. Il éternise ce qui, si peu que ce soit, se trouve imbibé par l'amour. Le feu des bras du Père : un tribunal ?
Le jour vient où nous passerons "à travers ce feu", tendresse brûlante qui dégagera notre beauté de nos scories. Nous l’entendrons s’extasier : « Mon fils chéri, tu as fait toi-même une beauté équivalente à la mienne, elle entre donc désormais dans l'état d'éternité. Le plus petit geste d'amour que tu as fait, brille de la même clarté définitive que le mien. Tu étais grand et tu ne le savais pas. Quand tu as peur, sache bien que Moi, ton Père, je ne t’ai créé que parce que je savais que tu saurais aimer, à ta mesure, mais comme moi. C’est parce que je savais que ta beauté et ton courage seraient divinisables, que je t’ai donné la vie. Sois sans crainte, si tu es vivant aujourd’hui c’est que, d’avance je te savais capable d’être dieu. »
Chaque vivant entend un jour, ce langage.
L’amour a eu le premier mot. Il aura le dernier. Il est la clé de l’Histoire.

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