Conférence organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10 Avec le P. Collas
LE THEME DE L'ENFER DANS L'EVANGILE 14 mars 2004
Dans le cadre du
sujet que nous abordons cette année, (lEnfer dans lEvangile,)
la réflexion daujourdhui porte sur la question :
« Finalement, quel Dieu attendons-nous ? Nous vivons cette
journée en communion avec nos frères d'Espagne, meurtris
par des attentats, commis au nom de Dieu ! De quel Dieu ? Le Dieu au
nom duquel on tue des innocents, et celui auquel quantité d'hommes
donnent leur vie, est-ce le même ! Tous les hommes le revendiquent.
Mettons-nous daccord sur son visage. Du quel parlons-nous
? Celui que nous révèle Jésus, qui est sourire
mais aussi larmes quand il nous voit souffrir, ou celui qui, en colère,
punit les hommes et damne les pécheurs ? Ce dernier visage nest-il
pas étrangement cousin avec certaines visions extrémistes
de Dieu ? Notre Dieu ne serait-il pas compromis dans la violence ? Il
serait temps de choisir le visage dont les chrétiens et lEglise
se réclament. Car celui dont parfois les chrétiens parlent
encore est une étrange hybridation, et certains de ses traits
peuvent justifier des crimes. Nos yeux et nos curs, en cours de
construction, sont encore incapables d'admettre dans toute sa transparence,
un visage qui n'est que tendresse. Chargés par Jésus de
chanter un Dieu qui sest fait enfant, nous mimons encore, parfois,
sans nous en rendre compte, un Dieu violent. Notre notion de Dieu est, en partie, un héritage de lAncien Testament, et cette richesse, mal comprise, peut être aussi une pauvreté. L'histoire du peuple hébreu nous apprend comment le Dieu juif qui est donc aussi le nôtre, est peu à peu sorti de l'inconscient. Les descendants d'Abraham, arrivant en Egypte, n'ont pas encore une idée bien arrêtée de leur Dieu, mais en revanche, ils sont plongés dans une civilisation qui, elle, a beaucoup de dieux. Face aux faux-dieux, comment peut bien être le Dieu des hébreux ? Comment vénérer un Dieu dont on ne sait rien , hormis l'initiative quil prit de s'adresser à Abraham et de lui annoncer la naissance dun fils, doù sortira son Peuple ? Finalement il y a bien peu de choses à voir ou à palper dans ce que croit ce peuple exilé en recherche dun visage divin ! Il fallait combler les lacunes. Pour ce faire,
le peuple choisi a pris inévitablement des colorations venant
des dieux du paganisme ambiant. Ainsi limage du vrai Dieu quils
ont transmise à leurs enfants et, bien plus tard, à nous
aussi, porte-t-elle des traits des dieux voisins au milieu desquels
le Peuple hébreu a grandi. Il faut lire certains versets de psaumes
qui montrent un Dieu dur, haïssable, à qui on attribue des
paroles intolérables ou des défauts humains, soucieux
surtout de se venger sans quartiers : toutes choses relevant évidemment
dune osmose avec le paganisme dans lequel vivait lhébreu
avant sa sortie dEgypte. Lisez Jérémie : pratiquement
dun bout à lautre de sa prédication, Dieu
en colère maudit son peuple ! C'est ce Dieu, inspiré des
dieux païens dont, en partie, nous avons hérité,
et dont nous ne pouvons aujourdhui proposer limage sans
la décaper. Il reste que ces
textes, perdus dans lAncien Testament, et qui nous parlent mal
de Dieu, sont tout de même sacrés. Nos lointains pères
les ont conçus dans les limites de leur foi dalors et dans
le contexte historique où ils vivaient. Ils se sont battus pour
les transmettre. Ils ont donné leur vie à y deviner les
traits de Dieu, et à y être fidèles. Nous les conservons
donc précieusement. Il nous reste simplement à les décaper
en les soumettant à la rencontre avec le visage du Dieu de Jésus.
Nous sommes fiers tout de même, de la Tradition qui nous a précédés.
Héritier du Judaïsme, le christianisme enseigne que Dieu
aime assez l'homme pour se faire homme lui-même, et qu'il est
tellement amour qu'il est « plusieurs ». Or c'est cette
Tradition qui nous a apporté lessentiel de cette certitude.
A travers ses déviances, sans doute inévitables et facilement
repérables et réparables, elle a créé le
climat grâce auquel Jésus a pu nous dire que Dieu est "abba". Mais la question
rebondit : comment comprendre que l'évangile, lui aussi, rapporte
des paroles violentes et dures qui ne peuvent venir de Jésus
? D'où viennent ces dérapages ? Jésus est venu
compléter la vision antérieure de Dieu, mais la véritable
image du Père qu'il apporte est révolutionnaire. Or les
apôtres qui l'écoutent ont reçu une éducation
et les traditions de lAncien Testament. La parole de Jésus
a donc dû franchir ces schémas mentaux pour atteindre lintelligence
et le cur des apôtres ; et sans doute était-elle
suffisamment puissante pour percer les filtres les plus étroits
de l'AT, mais parfois les schémas ont été plus
forts : des paroles du Christ ont été tordues ; témoins
ces quelques phrases qui jurent dans la bouche de Jésus ou de
ses interprètes. Sans s'en rendre compte, les apôtres ont
alors mal traduit. Ils ne pouvaient sans doute pas faire autrement.
Les premiers, pourtant,
ils ont compris qu'il fallait dépouiller le visage de Dieu des
fausses images retenues du paganisme jadis ambiant et portées
par lAncien Testament. Emportés par cette parole de Jésus
quil a lui-même signée par sa mort sur la croix et
par sa résurrection, ils ont donné leur vie pour répandre
ce message dans lEmpire romain. Et de fait, au temps de lEglise
primitive, les païens reconnaissaient les chrétiens à
ceci : « Voyez comme ils saiment. » Ils saimaient,
en effet, parce que Jésus venait juste de leur dire par les apôtres,
ses premiers témoins, que Dieu était « abba ».
Bouleversés par cette annonce, ils avaient compris que, fils
dun même Père, ils nétaient pas meilleurs,
mais ils étaient frères. Cette certitude vécue
était leur signe distinctif parmi les païens. Les premiers
chrétiens, éblouis d'une pareille annonce, ont trouvé
la plus belle prédication qui se puisse: ils se sont aimés.
Les débuts de l'Eglise se sont nourris de la découverte
éblouie et renouvelée de ces deux vérités
: le Dieu de nos pères est abba, et nous sommes tous ses fils
bien aimés. Mais alors, que
s'est-il passé entre cette époque et la nôtre ?
La révélation faite par Jésus continuant celle
de lAncien Testament, nous avons reçu aussi cet Ancien
Testament. Les premiers chrétiens, dans leur éblouissement,
n'ont pas vu les faux traits qu'il portait, ou n'ont pas jugé
nécessaire qu'il en soit purifié. Mais le temps passant,
et léblouissement des débuts perdant de sa force,
on na sans doute perdu la sensation de choc provoquée par
la Parole toute neuve. Les traits faussés, portés eux
aussi comme Révélation, nont plus accusé
leur étrangeté, et lon sy est peu à
peu habitué. De nos jours, devant lappel de nos contemporains
que nous ne pouvons pas ne pas entendre, il nous faut revenir à
limage de Dieu révélée par Jésus.
Sans quoi le Dieu dont nous parlons finira par ne plus être chrétien.
Lessentiel
du visage que Jésus venait révéler, a pourtant
pu passer, si bousculant qu'il ait pu être, et la parabole de
l'enfant prodigue en est le sommet. Quand Jésus la proclame,
il laisse frémir dans ses yeux le visage du Père qu'il
porte en lui, l'écho que sa tendresse éveille en permanence
dans son cur . "Un homme avait deux fils
" Le reste
de la Révélation n'est que marche provisoire vers ce sommet
absolu. Dieu n'y est montré ni chef, ni maître. Il se soucie
seulement de susciter et de respecter la responsabilité de son
fils. Quand celui-ci l'exige, le père qui est Dieu
partage sa fortune sans rien dire : aucun commentaire qui pourrait empêcher
le fils de faire jouer à fond sa responsabilité. A son
retour, le père le voit, court vers lui, et, pour faire taire
sa confession, se jette à son cou et le couvre de baisers ! Le
fils s'attendait vraisemblablement au mépris et peut-être
à une « pénitence ». Mais le père n'a
rien dit. Sauf ces mots aux domestiques : "Allez lui chercher ses
plus beaux habits, remettez-lui aux pieds ses sandales, et à
la main son anneau". Cest à dire : « Rendez-lui
les signes de sa filiation. Qu'il comprenne que la meilleure réparation
sera d'être fils. » Superbe ! Et quand l'aîné
refuse de venir à la fête, le père ne fait pas davantage
pression. Dans lhistoire des hommes Dieu ne peut se substituer
à eux, sous peine quils ne soient plus sujets. Il sait
qu'un fils, qui est aimé et qui le comprend, est capable d'exercer
sa propre responsabilité. Il lui suffit donc, à lui, d'être
père, à sa manière qui est unique. Lamour :
lantidote de la violence. Cette parabole condamne sans appel toute
« morale » basée sur la peur : la seule pression
qu'y exerce le père est son amour. Et le fils est revenu. Pour aller jusquau
bout de cette logique qui sobstine à nous montrer le Père
tel que Jésus le voit, et dans lequel la tendresse est le trait
dominant, je désire raccrocher ici la « question de Judas
». Dans le texte de Matthieu et de Marc qui nous rapportent la
trahison, le verbe employé pour indiquer le geste de Judas à
légard de Jésus est le même que celui quutilise
Luc pour indiquer le geste du père à légard
du fils de retour. Cela devrait se traduire par « Judas couvrit
Jésus de baisers. » Si nous prenons à notre compte
lidée développée par Lanza del Vasto, selon
laquelle Judas, parce quil aime Jésus, veut forcer son
Maître à se dévoiler et à prendre enfin les
rênes de la Judée, pense le contraindre à se dévoiler
en lenfermant dans lultime impasse de larrestation.
Toutes les occasions que lui ont tendues les apôtres, il les a
repoussées: on l'a vu guérir des malades, éteindre
la tempête, il ne va pas se laisser faire par quelques malheureux
soldats ! Le signal est un baiser, il le "couvre de baisers",
disent Matthieu et Marc, comme le Père, son fils. Mais Jésus
na pas évité la croix. Et, par "désespoir
d'amour", Judas s'est pendu. Sil avait eu, comme Pierre après
sa propre trahison, la chance de croiser le regard de son Maître,
il y aurait vu que Jésus avait compris son geste. Et quil
laimait à jamais du même amour. Trop beau ? Trop
beau pour Dieu ? De quel Dieu parlons-nous
? Il n'y a qu'un seul Dieu au monde, celui de la parabole du Père
de l'enfant de retour. Ce Dieu-là ne sait qu'aimer, et il ne
peut ni ne veut faire autre chose. Lui, qui est totalement père
et mère, sait que la meilleure manière d'aider ses fils
à s'arracher à leurs lourdeurs, n'est pas de les leur
reprocher, ni de les menacer, mais de les encourager chaque fois quils
peuvent lêtre et de les embrasser chaque fois quils
se sont fait mal. Tous les vivants qui aiment ou qui cherchent la paix,
tous, sont ses fils bien-aimés. Nous qui avons reçu cette
annonce faite par le Fils et contresignée par sa mort sur la
croix, nous n'aurions pas d'excuses à ne pas lenseigner.
Lenseigner ? pas simplement en la disant. Mais en vivant. Nous
n'avons pas commis les attentats, et pourtant nous en partageons la
responsabilité. Une allumette au grand air ne fait pas de ravages.
Dans une pièce remplie de gaz, elle explose. Les hommes qui ont
commis les attentats, parce quil sont eux aussi à l'image
de Dieu, ne pourraient pas organiser et réaliser lhorreur,
s'il n'y avait pas un climat qui les y porte : les pensées de
violence supposent, pour naître et pour passer à lacte,
un climat violent. Nous n'avons pas fait éclater les bombes,
mais nous avons pu y contribuer, par nos impatiences, nos mépris,
nos colères. Nos invisibles violences expliquent sans doute que
des frères puissent être perturbés au point de créer
lhorreur. Révéler à un enfant ou à
un jeune sa beauté plutôt que ses pauvretés, est
le plus beau cadeau quon puisse lui faire. Et la seule pression
essentielle à exercer sur lui, cest de lui montrer clairement
qu'il est aimé. Aujourd'hui il faut enfin et définitivement choisir qui est notre Dieu. Nous y sommes contraints par les évènements et par lattente de nos contemporains. Ou il est tendresse, ou il est violence. Ces deux images ne peuvent plus coexister. Ni dans le visage de Dieu ni dans celui de lEglise. Même si les chrétiens ne sy résolvent pas, les pierres du chemin le crieront. Inexorablement le changement vient parce que l'homme que la recherche et la souffrance mûrissent, comprend qu'il est fait d'amour. Que sa grandeur est de vivre pour aimer et non pour faire peur. Dieu ne fait pas peur, mais il donne envie de se jeter à son cou et de se laisser couvrir de baisers. C'est le seul Dieu. Le seul dont lhomme a besoin. Nous ne pouvons rien dire sur lui que sa tendresse. Et sur nous, que nous ne sommes quaimés.La théologie chrétienne est capable aujourdhui, en sappuyant sur la recherche des siècles passés et sur la recherche contemporaine, notamment grâce aux avancées dans les recherches historiques et exégétiques, de trouver, pour des problèmes importants, un sens quelque peu différent du sens jusque là enseigné dans lEglise : la Vérité qui vient de Dieu est infinie. Nous ne la possédons pas. Nous navons pas fini de la découvrir ni de nous enthousiasmer. Les Evangiles, comme les textes de lAncien Testament, sont inspirés par lEsprit. Mais linspiration na pas supprimé la liberté ni la responsabilité ni la culture des Evangélistes ni des communautés au cur desquelles ces textes ont vu le jour. Or, leur culture était bien éloignée de la nôtre. Il se peut donc que nous ayons du mal à relire leurs écrits et que nous ne puissions les comprendre quen acceptant de tenir compte de ces différences de culture. Il y a tout de même un critère majeur pour apprécier lauthenticité dun texte dévangile : quand il sagit du Père, révèle-t-il un visage de tendresse ? Quand nous lisons et tentons de comprendre, lEsprit de Jésus réchauffe notre intelligence et notre cur pour quils sachent se situer sur la longueur dondes de Dieu. Les dogmes sont lenfermement définitif et sans appel dune connaissance sur Dieu définie à une époque donnée. Ils contiennent donc la formulation faite à cette époque de la recherche sur Dieu. Ainsi la plus grande part des vérités sur le Christ et sur Notre Dame, a-t-elle été définie autour des IVè et Vè siècles. Ils précisaient pour cette époque la position de lEglise dalors sur des questions discutées à lépoque. Ces textes sont vénérables, en ce sens quils nous donnent la pensée de ces chrétiens qui nous ont précédés dans lhistoire. Mais il peut être nécessaire aujourdhui, soit parce que leurs expressions nont plus la même teneur, soit parce que dautres sciences que la théologie, et concernées tout de même par cette théologie, ont permis des découvertes assurées dont les définitions de la foi doivent tenir compte aujourdhui. On ninvente pas de nouvelles vérités ; on creuse une vérité qui est infinie et quaucune formule humaine ne peut prétendre définitivement enfermer. La vérité étant infinie, aucune formule humaine ne peut prétendre la circonscrire parfaitement ni lenfermer à jamais. La recherche ne finira pas avant la Vision. Nous ne créons
pas la vérité. Nous la cherchons. Mais nous savons quon
ne peut la pressentir que dans une direction, celle que Jésus
est venu nous indiquer : le Père est tendresse, et la meilleur
image que nous puissions garder de lui en attendant de le voir en face
cest celle du père du fils « prodigue ». Tout
direction qui contredirait cette base absolue, ne peut que nous perdre
dans notre quête de Dieu ; et désespérer ceux qui
attendent la Bonne nouvelle. Le Dieu dont parlent les chrétiens
est-il tout à fait chrétien ?  Vous avez des commentaires à faire ou des questions ? Vous pouvez aller à la rubrique « Ecrire » du menu principal. |