Conférence organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

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Thème de l'année: LA RESURRECTION

23 janvier 2005


Pour chaque vivant, la Résurrection est déjà commencée

La Résurrection est l'entrée visible dans l'éternité de ce que nous avons bâti sur terre, à, partir, en particulier des tendresses que nous avons tissées. Cette histoire ne finira donc jamais, mais quand cette éternité commence-t-elle ?

Dans la première instruction, j'ai voulu rappeler que ressusciter (ou mourir) n'est pas quitter notre terre. Car le territoire où j'habite est le pays de Dieu, et ma vie est celle même de Dieu, qu'il me donne. Pour découvrir cette vérité insuffisamment enseignée et pourtant fondamentale, nous devons prendre le temps de creuser jusqu'au fond de notre foi, et élargir notre perspective. L'essentiel n'est pas d'abord dans le catéchisme ou dans les homélies, il est dans ce que la logique nous fait pressentir : or je pressens que ce que je connais de la vie exige un prolongement.
S'adonner à sa recherche nécessite un effort personnel. Même si ce n'est pas notre spécialité, nous sommes tous des théologiens, de naissance. Il serait dommage que nous ne creusions pas plus loin une réalité dont nous devinons qu'elle a de quoi épanouir l'humanité entière: d'abord pour ne pas nous recroqueviller sur une trop petite joie, mais aussi pour nos frères, dont l'espérance dépend de notre recherche d'aujourd'hui.
Il s'agit donc de savoir si notre espérance est fondée et ce que l'on peut espérer de la vie. Cessons de redouter la menace de nouvelles horreurs ou de dénoncer l'inclination des hommes pour le mal, mais admirons plutôt leur courage. Notre monde est difficile, mais c'est nous qui l'avons fait, et quand nous le faisions, Dieu couvait notre intelligence : c'est une garantie ! En raison de nos limites, c'est vrai, ce monde a inévitablement des fissures, mais nous pouvons nous réjouir largement parce qu'il est, pour aujourd'hui, globalement réussi. Nous croyons que le monde est d'abord beau et les hommes d'abord courageux : cette foi est la condition première pour que nous soyons des semeurs d'espérance.

Notre monde est déjà beau, et sa beauté déjà inusable et éternelle : c'est notre espérance et c'est notre foi. Défions-nous d'une fausse idée de la mort : le mot "mort" est un mot païen, dont la traduction chrétienne, très " arrangée " ne peut être que : "Résurrection". Les chrétiens doivent réaliser que la mort, au sens où nous l'entendons d'habitude, est la vision païenne d'une réalité pourtant lumineuse. La vie est commencée, elle est sur le chantier. La résurrection n'en est pas la fin mais le couronnement.
Pour le comprendre, je m'appuie sur l'Evangile de la Transfiguration.
La théologie classique enseigne que Jésus a été transfiguré devant trois de ses apôtres pour que leur foi ne soit pas ébranlée par sa Passion à venir. En effet la foi des futurs chrétiens reposera sur la leur. Le Père, le Fils et l'Esprit ont donc levé le voile, pour qu'ils voient dans toute sa splendeur que cet homme, qui leur parle et qui a un corps comme eux, est Dieu.
Ils ont vu la gloire de Dieu, et ils ont su que Jésus est Dieu. C'est juste, mais insuffisant. A travers cette gloire, la Trinité a aussi voulu leur montrer ce qu'était l'homme. La Transfiguration n'est pas seulement la révélation de la divinité, elle est aussi la révélation de l'humain. Les apôtres éblouis ont assisté à la manifestation d'une double vérité, dont on ne voit malheureusement qu'un aspect. Dieu et l'homme c'est pareil ; la vie, la beauté, la gloire de Dieu et celles de l'homme, ce sont les mêmes. La Transfiguration est à la fois la révélation de l'incroyable splendeur actuelle de tout vivant, et la démonstration que cette splendeur est du même ordre que celle de Dieu.
Il n'est pas sûr que les apôtres l'aient compris. Nous qui bénéficions de leur témoignage et d'une longue réflexion chrétienne, nous ne pouvons plus nous en tenir à la moitié de leur vision. La gloire qu'ils ont vue, et dont ils ont compris qu'elle était la gloire de Dieu, nous devons, nous, aujourd'hui, comprendre que c'était aussi celle des hommes.
Qui a vu Dieu, a vu l'homme. Qui a vu l'homme, a vu Dieu. Non pas l'homme que je vois, mais celui dont je pourrais deviner la gloire, si mes yeux étaient capables de transpercer son visage actuel. Si nos visages étaient dévoilés, nous nous verrions beaux comme Dieu. Aujourd'hui, nous voyons ce que nos yeux nous permettent de voir : la surface. Si cette apparence est capable de provoquer la tendresse ou l'admiration des autres, c'est que derrière la façade, ils pressentent une gloire, unique pour chaque être, et du même ordre que celle de Dieu.
Notre vie est celle de Dieu, celle-là même qu'il nous donne. Nos yeux de chair ne nous permettent pas de voir cette identité de vie entre Dieu et nous. Car, de naissance, un voile adaptateur et protecteur évite que nous ne soyons éblouis. Au Mont Thabor, l'événement s'est passé non pas du côté de Jésus, mais du côté des apôtres. Jésus ne s'est pas révélé, il a - pour la première et la dernière fois de l'histoire - enlevé quelques instants de leurs yeux ces lunettes protectrices que tout vivant porte, et qui les empêchaient de voir plus profond que le physique. Et ils ont vu la gloire de Jésus. Mais s'ils s'étaient alors entre-regardés, ils auraient été éblouis et ils se seraient vus aussi glorieux que Jésus.

De même que nous sommes déjà dans le pays de Dieu, et que notre vie d'homme est de la même nature que celle de Dieu, de même en regardant Dieu, pourrions-nous deviner la beauté de l'homme. Je ne la vois pas avec mes yeux de chair, provisoires et en rodage. Mais c'est pourtant la même réalité. Il faut réaliser que le Thabor est la révélation de la gloire, celle de Dieu et celle des hommes.
La Résurrection est le moment où je verrai ma gloire et celle de Dieu. Nous pressentons que ce face à face nous révèlera qui nous sommes, chacun à sa manière, mais aussi glorieux que lui, puisque l'amour crée des êtres semblables, tout en soulignant la beauté originale de chacun. Inconsciemment, nous réservons ce moment à la fin de la vie. Or dès aujourd'hui, la Résurrection est commencée. Dès la première seconde de notre conception, est lancé ce fantastique travail qui consiste à faire, d'une réalité qui n'existait pas, un fils de Dieu d'une gloire équivalente à la gloire de son Père. Chaque étape de notre croissance est divinisée, c'est-à-dire rendue glorieuse : la glorification de ce que nous sommes est commencée. La Résurrection sera seulement la manifestation de notre gloire. Nous sommes en pleine gestation. Tout en faisant de l'humain, nous faisons du divin. Tout en faisant du petit, nous faisons de la gloire. Seul l'échec volontaire n'est pas glorifiable. Tout le reste est en cours de glorification.

Voici une image : j'expose en plein soleil, dans une main une boule de suif rance, dont je voudrais me débarrasser ; dans l'autre main une statuette en terre glaise que je viens de pétrir : exposées au même soleil, la boule fond et disparaît, et la statuette " cuit ", elle est fixée. Pour cela le soleil n'a qu'à être soleil.
D'un côté, ce qui est raté ne résiste pas et disparaît. L'échec est un acte posé sans amour. Il est donc sans consistance : exposé à la violence de l'amour qu'est Dieu, il fond sans laisser de trace. Il restera seulement à réparer ce qui n'a pas été réussi. Sans doute, très peu d'actes de la vie d'un homme devront-ils être totalement détruits. D'un autre côté, les actes où nous mettons de l'amour, si peu que ce soit - et cela concerne la majorité des moments que nous vivons - ces actes sont divinisés, dès qu'ils sont posés.
N'ayez pas peur de votre mal, il ne résiste pas. N'ayez pas peur pour votre beauté, elle est assurée dès la première seconde. C'est ce qu'on appelle la divinisation. Nous ne devenons pas la personne même de Dieu, qui n'est pas partageable, nous ne fusionnons pas avec Lui. Mais ce que nous faisons reçoit sa propre consistance. Ainsi, nous devenons solides et inusables comme lui. Eternels.

Combien faut-il, d'ailleurs, que les hommes soient inusables pour que leur courage ne lâche jamais, alors qu'ils sont parfois dans des situations désespérantes ! Leur solidité a une double source :
-c'est d'abord eux, qui agissent, qui décident et persistent, englobés bien sûr dans la tendresse du Père. Mais il est au cœur sans se mettre à leur place. Et c'est eux qui emportent la victoire.
-la deuxième source est Dieu : Il est tellement en admiration et en communion avec ce que nous vivons, qu'immédiatement il divinise ce que nous sommes. Ce qui a été réussi, que nous avons bâti en y insufflant si peu que ce soit d'amour, est immédiatement stabilisé, "cuit". Ce que nous décidons avec amour, intelligence et courage, dès que c'est produit, c'est fixé. Dieu n'a rien fait : il a suffi de la chaleur de son admiration pour que ce soit rendu éternel.
Pour un acte que j'aurais totalement raté, (mais cela est-il possible ?) et qui n'aurait donc aucune valeur à ses yeux, Dieu se contente de me regarder et de m'aimer : en sa présence, cet acte-là est anéanti. Anéanti ne signifie pas qu'il n'existe plus : tout simplement, il n'existe pas (sauf peut-être dans ma mémoire, mais si j'ai bien compris, je devrai très vite m'en libérer. Et réparer, bien sûr, c'est-à-dire " remplacer ").
Sans nous en rendre compte, chaque seconde de notre vie est soumise à ce double traitement. Tout ce qui est produit avec amour est éternel, à la seconde même où cela est produit. Dieu n'a eu qu'à embrasser. Tout le raté est aussitôt anéanti, ça n'existe pas.

Nous sommes condamnés à la beauté, condamnés à réussir. C'est la logique de la tendresse de Dieu. Sa tendresse est la racine absolue de tout ce qui existe, et cette assurance s'est ancrée en moi, pour avoir vu ce qu'est la tendresse humaine. Il y en a tant dans le monde, et nous ne l'avons pas inventée, nous la vivons instinctivement : pour qu'elle existe et qu'elle ne se décharge pas, il est inévitable qu'une Tendresse soit à la base de tout ce qui existe. Cette tendresse vient de Dieu, et nous sommes à son image. La seule volonté de Dieu est que la chaleur de sa tendresse réduise à néant ce qui n'a pas été acte d'amour, et éternise ce qui aura été basé sur l'amour.

Apparemment, cet enseignement met en cause deux grands sacrements de l'Eglise. On pourrait dire, en effet que si l'anéantissement immédiat est le sacrement du pardon, et la divinisation immédiate, l'eucharistie, confession et messe seraient inutiles !
Oui, il nous suffit d'être et il suffit que Dieu soit, pour que notre mal soit anéanti et le bien consacré. Seulement pour pouvoir bénéficier à fond de cet acte, encore faut-il que nous sachions qu'il a lieu. C'est une nécessité psychologique. Je suis libéré de mon mal, mais le sachant, je me sens plus solide, plus à l'aise. Et si je sais que le bien que j'ai fait est consacré, j'ai plus de cœur à vivre. Mais pour que je sache, il faut que celui qui le fait me le dise. Il faut aussi que je sois dans la disposition de l'entendre.
Dans la confession, le sacrement ne consiste pas à recevoir des leçons, ni à obtenir le pardon, mais à m'entendre dire : le pardon t'a déjà été donné, ton mal est anéanti. De même, l'acte de consécration est permanent, mais pour que je sache que je suis divinisé, à la célébration de la messe, le prêtre présente l'hostie, fruit de la terre et du travail des hommes, en disant : "ceci est mon corps" : ce que le monde a vécu fait corps avec moi, cela a la même solidité, la même éternité que moi. "
Les sacrements jouent donc en permanence dans ma vie. Je ne les ai pas détruits, mais nous venons de nous rappeler qu'ils sont le moment où je m'approche de mon Père, pour lui permettre de me dire ce qu'il fait pour moi.


Tout ceci est un acte de foi en l'intelligence de l'être humain et en l'intelligence de Dieu. Nous avons de la chance de savoir que pas un instant de notre quotidien n'échappe à ce travail de divinisation. Si bien que le jour de ma Résurrection me révèlera ce que je suis. Ce que je me suis fait. Révélation qui m'emplira d'une gigantesque émotion. Je m'adorerai tout en adorant le Père qui m'aura toujours tenu dans ses bras.


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