Conférence
organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05
56 48 22 10
Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
06 03 04 22 88
Thème
de l'année: LA RESURRECTION
DIMANCHE
6 MARS 2005 Centre Beaulieu
"Mes
yeux s'ouvriront"
Face à la peur de la mort, face à la désespérance,
les chrétiens ont une fantastique bonne nouvelle à délivrer.
Aussi devons-nous à tout prix partager autour de nous la joie
et le réconfort qui peuvent naître de cette bonne nouvelle
de la Résurrection : la vie débouchera sur une formidable
réussite.
Le mot résurrection
signifie seconde surrection, second bondissement, seconde explosion.
La Résurrection est le second surgissement qu'effectue tout vivant.
Le premier est franchi le jour de la conception. L'amour de nos parents
nous a fait surgir de la non-existence. Nous n'expérimentons
pas la non-existence, mais nous sommes arrachés à elle,
et cet arrachement est définitif. L'existence reçue ne
finira jamais, elle est irréversible. Nous ne pouvons pas mourir.
Dans ce monde, nous apprenons à voir la réalité
où nous avons été plongés. Au terme, il
y a ce que malheureusement on appelle la mort. Mais c'est un mot catastrophique
que notre pauvreté a inventé pour traduire une réalité
qui nous dépasse : la seconde surrection, la ré-surrection,
nous fait surgir d'un milieu provisoire qui nous a été
donné pour nous préparer à vivre comme Dieu, dans
la lumière. La fin de la vie n'existe pas. La vie donnée
à la première surrection, et à laquelle il a fallu
se rôder, est éternelle.
A jamais vous vivez.
Ce que vous appelez la mort est seulement la disparition du provisoire
et l'installation définitive dans la splendeur de Dieu : après
2000 ans d'existence, l'Eglise chargée de porter ce message n'arrive
pas encore à le délivrer. Nous ne sommes donc pas assez
des êtres d'espérance auprès de nos frères
qui ont peur de mourir. Or tout vivant est bâti sur la certitude
inconsciente que la mort n'est pas possible, qu'il est éternel.
Chrétien ou non, il ne vit que parce qu'il sait, au fond de lui-même,
malgré l'impression que tout s'arrêtera un jour, qu'il
ne mourra pas. Les non-chrétiens attendent des chrétiens
qu'ils répondent à leur assurance inconsciente, et leur
disent qu'elle est fondée. Ils attendent d'eux la bonne nouvelle
du Christ.
Je reprends l'idée
majeure des deux enseignements précédents. Quand Dieu
nous a donné la vie, il ne nous a pas fait cadeau d'une vie au
rabais, d'une vie humaine, tout simplement naturelle. Dans sa tendresse
et son infinie richesse, il nous a donné sa vie. Cette vie-là
est donc éternelle : nous sommes assurés de ne pas mourir.
Assurés aussi de comprendre Dieu, étant du même
tissu que lui.
Nous vivons donc la vie divine, nous qui sommes pourtant tellement limités,
douloureux, fragiles. Notre position ressemble à celle d'un alpiniste
qui grimpe dans le brouillard, et débouche brusquement sur le
sommet en plein soleil. Il cligne des yeux. Il voit mais ébloui,
il protège instinctivement ses yeux. De la même façon,
nous sommes sortis de la nonexistence, du rien absolu ; aveugles.
Celui qui reste longtemps enfermé dans un cachot, doit lentement
se réhabituer à la lumière. Or nous n'avons pas
existé du tout avant notre conception. Nous sortons de la nuit
absolue de la non-existence, pour être plongés, sans transition
et sans préparation, dans la lumière de Dieu. On est donc
aveuglés.
L'évolution
a été très habile, elle nous a dotés de
"lunettes noires", qui sont nos yeux, notre sensibilité,
notre intelligence. Ces instruments-là, avec lesquels on est
propulsé dans le monde de Dieu, pour voir, comprendre et palper
ce monde, elle les a préservés. Nos yeux sont préservés
du soleil torride de Dieu ; l'intelligence est préservée
d'entendre dans toute sa violence ce qu'on ne pourrait pas supporter.
C'est la trouvaille de l'évolution. Le monde est de la même
structure que Dieu : comme Lui, il est donc esprit. Mais je ne peux
pas voir ce qu'est l'esprit car il m'éblouirait. Je ne peux tolérer
sa lumière. Toute ma sensibilité et même mon intelligence
doivent être protégés de ce bain de lumière
brûlant dans lequel je suis plongé. L'évolution
a donc prévu que pour chaque vivant, ce tissu grâce auquel
il peut voir, soit provisoirement épaissi. Une série de
filtres, comme des lunettes de soleil, lui permet de vivre dans ce milieu.
La matière est cet épaississement de l'esprit, qui permet
de percevoir la lumière, mais filtrée. Esprit et matière
sont la même réalité : c'est le tissu de Dieu et
le nôtre. Sortant du noir absolu, je serais ébloui si je
voyais la réalité dans laquelle je suis. L'évolution
a du épaissir l'essentiel de mon être, et ça a pris
le nom de matière.
Au fur et à
mesure que j'avance dans la vie, je m'habitue à la clarté,
et peu à peu ma lucidité se libère. Du coup j'ai
moins besoin de protection, et le physique en moi commence à
diminuer. Les couches protectrices s'amenuisent, elles s'allègent.
Ça se fait tout seul, c'est instinctif. Sans me rendre compte,
je suis de plus en plus prêt à voir Dieu. Plus je m'accoutume
à sa splendeur, plus la matière diminue son rôle
opacifiant.
Jusqu'au jour où je n'ai plus besoin de la matière. Je
peux désormais voir face à face. C'est la résurrection.
Ça s'est fait progressivement, j'ai surgi lentement. Mes protections
se sont peu à peu diluées. Ma nature elle-même a
supprimé automatiquement les protections qu'elle m'avait proposées.
Quand mon être pressent qu'il est à la veille de voir la
lumière dans laquelle il est né, il meurt. La mort est
la fin des protections, la disparition de la matière. Le jour
où l'ultime protection matérielle s'effondre, je vois
Dieu.
Mes frères
disent : il est mort. Le cadavre est cet épaississement de l'esprit
qu'était la matière. Ça n'est plus nécessaire
: après un long apprentissage, mes yeux sont prêts à
voir : le corps retournera à la nature, d'autres se serviront
de ses éléments pour constituer leur protection.
Quand j'aurai ainsi terminé mon chemin, j'embrasserai mon cadavre,
et je lui dirai merci, car il m'aura permis de m'accoutumer à
la douceur du sourire du Père. Pourtant il m'aura été
bien lourd. Que de fois il m'aura encombré et freiné !
Mais au travers de ces lourdeurs qui tamisaient le sourire de Dieu,
j'ai pu m'y accoutumer sans être brûlé. Je peux désormais
voir le Père face à face, grâce à ce qui
est aujourd'hui un cadavre.
On pleurera, car c'est terrible de ne plus voir. Mais celui qui fait
cette expérience, sa matière lâchant prise, voit
d'un seul coup le monde dans lequel il vivait jusque là. Il le
voit tel qu'il est, sans lunettes noires.
Je crois que Dieu
délèguera pour m'accueillir ceux que j'ai aimés
sur terre et qui ont fait le passage avant moi. Quelle joie ! Je les
vois comme je ne les ai jamais vus, dans la splendeur. Pourtant je les
reconnais sans hésitation, parce que la matière qui les
enveloppait a fini par imprégner sa forme sur eux. Embrassades,
danses folles
J'avance dans la beauté, retrouvant toute
chose telle qu'elle est, dans son essence même, et non telle que
je l'ai vue (pourtant déjà si belle à travers les
protections qui m'entouraient). Je les vois avec mes yeux terminés
à jamais.
Je vois tous les vivants, puisqu'il n'y a pas d'autre issue à
la vie. Je vois Notre Dame.
Et puis Jésus, le Fils du Père, qui s'est fait homme pour
annoncer cette bonne nouvelle, et en a prouvé la véracité
en acceptant de mourir sur la croix.
Enfin le Père, de qui toute paternité tient sa splendeur,
la source absolue, celui dont la tendresse et l'intelligence auront
inventé la vie. Alors ma joue contre sa joue, je sens la douceur
du père de l'enfant prodigue :
-"Tu es mon enfant bien-aimé".
-"Mais Seigneur, je t'ai fait du mal ! "
C'est le purgatoire : je ne souffre pas de ne pas voir Dieu, mais parce
que je vois Dieu et la force de sa tendresse, me souvenant des moments
où j'ai été faible, j'ai mal de l'avoir blessé.
Il me serrera plus fort dans ses bras. Peu à peu la souffrance
disparaîtra, je ne me souviendrai plus de rien. Ce sera la joie
à jamais.
La Résurrection
est ce long phénomène qui nous mène de notre conception
à la seconde surrection. Elle commence déjà là,
au moment où sortant du noir absolu de la non-existence, je suis
plongé dans la vie même de Dieu, mais incapable de voir.
Jusqu'à ce que tombent, parce qu'ils ne sont plus nécessaires,
les filtres entreposés entre la lumière et mes yeux qui
ne peuvent la supporter. Je sors du provisoire et je suis dans le définitif.
Ceux qui restent
disent : il est mort. Mais c'est faux. Ils devraient dire : il a disparu
à nos yeux. On ne le voit plus. Sur terre on pouvait le voir
parce que sa beauté était protégée par l'empilement
de l'esprit qui donne la matière. Mais la beauté de chacun
d'entre nous est une beauté de Dieu et c'est insupportable. Nous
sommes donc protégés d'être éblouis par la
beauté de Dieu, mais aussi par notre propre beauté ou
celle de nos frères.
Si nous pouvions sortir nos lunettes de soleil, nous verrions en effet
le frère tel qu'il est, pétri de beauté. Car il
est du même tissu que Dieu. Sachant cela, nous avons un devoir
de révélation à effectuer : chaque fois que l'on
voit ou que l'on pressent de la beauté chez un frère,
il faudrait aussitôt la lui révéler. Par amour,
car c'est le jeu de la relation. Il a besoin que je vois pour voir.
Encore faut-il que cela touche quelque chose de réel et non ses
défauts ou ses lourdeurs. Je n'ai pas à lui révéler
ce qu'il n'est pas. Les chrétiens n'ont pas à surveiller,
à poser des interdits, à établir un code de morale
ni à dénoncer les défauts des autres. Leur rôle
majeur est d'être des révélateurs. Révéler
à son frère sa beauté n'est pas une flatterie,
mais une contemplation, qui l'aide à vivre et à lutter
contre la désespérance. Si l'on appliquait cette règle
de façon discrète, mais systématique, le frère
comprendrait qu'il est comme Dieu tissé de beauté, et
il saurait qu'il est éternel parce que la beauté ne peut
pas mourir. Seul le mal disparaît parce qu'il n'a pas de consistance.
Nous ne croyons pas à notre beauté. Ceux qui nous la révèlent
nous préparent à la Résurrection. Si nous nous
savions beaux, nous n'aurions pas peur de ce qu'on appelle la mort,
car dans notre inconscient nous savons que la beauté est éternelle
et le mal sans consistance.
Celui qui vient
de faire son passage, de passer au travers de ces écrans qui
cachent la beauté tout en la laissant deviner, n'est pas mort.
Mais il n'est plus visible. Il n'a pas besoin de partir, car désormais
il voit la vérité dans son absolu. N'étant plus
épaissi par la matière, il est partout à la fois,
les distances et les volumes ne comptent plus.
Se laisser gagner par la certitude qu'il est là, n'est pas de
l'autosuggestion mais du réalisme. C'est ce que je contemple
dans la foi.
Il n'est plus visible pour la même raison que Dieu n'est pas visible.
Dégagé de sa gangue protectrice, il est désormais
lumineux comme Dieu, et du coup nos yeux ne supportent plus sa vision.
Ils sont faits bien sûr pour la lumière, mais voir Dieu
et voir le monde dans sa réalité, nécessite un
rodage.
La foi protège de l'aveuglement. Dire que Dieu ou mes bien-aimés
sont là, à me regarder et à m'écouter, est
un acte de foi, car je ne les vois pas. Je sais inconsciemment qu'ils
ne se cachent pas. Je ne vois plus celui qui de fait a disparu, parce
que je me protège de l'éblouissement. Il a perdu ses protections,
et j'ai gardé les miennes. Mais il est infiniment plus vivant
que moi. Je suis donc obligé de fermer les yeux, jusqu'au jour
où m'étant moi-même dépouillé, je
comprendrai qu'il ne m'a pas quitté.
La parabole des
"invités discourtois" est une extraordinaire bonne
nouvelle. Le maître marie son enfant. La salle du festin est prête,
mais les invités n'ont pas pu venir. Il envoie ses serviteurs
dans les rues : "tous ceux que vous trouverez, forcez-les à
entrer ! Car je veux que ma salle de noces soit remplie". La salle
c'est l'infini de l'éternité.
Mais les apôtres qui ont entendu la parabole étaient pétris
d'Ancien Testament. Ils ont ajouté une conclusion conforme à
son schéma de sévérité et de punition :
celui qui n'a pas la tenue de noces "mettez-le dehors ! "
C'est en totale opposition avec l'annonce faite par Jésus : "Forcez-les
à entrer" ! Il n'est pas question de tenue. La tenue c'est
qu'ils soient vivants. Vivants, ils ont un droit absolu à entrer
dans la salle. La salle n'a pas de murs, elle est infinie, et il faut
que l'infini soit rempli. Avant de créer le monde, Dieu qui peut
lire l'histoire à distance, sait comment elle s'achèvera.
S'il avait vu qu'un seul être refuserait d'entrer dans le Royaume,
il n'aurait pas créé. Il n'est pas concevable qu'il appelle
à vivre quelqu'un dont il sait à l'avance qu'il se damnerait.
La salle immense, sans mesures, sans limites, sera remplie. Pas un des
enfants de Dieu auxquels, sur la volonté du Père, l'évolution
aura donné l'existence, et qui sur terre se sera battu, pas un
seul, quelle que soit la vie menée, ne sera absent. Il n'est
pas permis de croire qu'un seul n'y ait pas sa place. Dans cette immense
salle nous ressusciterons.
Dans la théologie
officielle, on distingue la résurrection individuelle et, à
la fin du monde, la résurrection générale. En fait,
il n'y a qu'une Résurrection, ce que nous appelons la mort. La
résurrection générale évoque le jour où
le dernier vivant arrivera à la vision complète (à
supposer que l'acte créateur ne soit pas éternel), cette
fin de l'histoire où tout ce qui existera verra Dieu. Il n'y
aura plus aucun doute, rien que la joie folle.
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