Conférence
organisée au Centre Beaulieu, par les Amis de la Part Dieu. 05
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Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
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Thème
de l'année: LE CHRIST
6 novembre 2005
Le Christ vrai Dieu et vrai homme
Notre interrogation porte sur les suites actuelles de l’Incarnation de Jésus.
Sur ce sujet, deux questions fondamentales se posent. D’abord, comment se fait-il qu’un Dieu infini ait pu entrer dans un corps et un cerveau d’homme ? Et puis, surtout, pour nous ce soir, que s’est-il passé après l’Ascension pour le Christ Ressuscité, qui nous concerne aujourd’hui ?
Il faut dire tout d’abord que l’incarnation, cette « gymnastique » de Dieu pour se faire homme, est définitive, c’est dire qu’elle est acquise pour toujours. Dieu, s’est à jamais concentré dans nos limites humaines. Il estime l’homme au point qu’il ne juge pas se rapetisser en devenant comme lui. Ainsi, notre monde est-il un monde où Dieu vit comme un homme. Et partout, même dans les incendies de voitures et de maisons, Il recueille les traces de sa tendresse qui se trouvent en tout vivant. En un mot, la réponse (brève) à la première question, tient en ces mots : il nous aime et nous sommes à sa hauteur. Il n’a rien perdu de lui en venant chez nous, mais il a gagné d’ être homme, ce qu’il n’était pas avant l’incarnation.
Mais, et nous passons à la seconde question, que s’est-il passé le jour de l’Ascension et par la suite ? Peut-on parler d’un séjour définitif de Dieu sur la terre ? A première vue cela semble impossible. Si bien que pour beaucoup, même chez les chrétiens, le Christ a retrouvé la gloire du Père et, de loin, continue à jeter un regard sur l’homme. Cette restriction est fausse. Voyons ce qu’il en est.
C’est vrai, l’Ascension est bien la fin de la visibilité de Dieu, mais elle n’est pas la fin de sa présence parmi nous. Le Christ fait homme reste avec nous. Il est partout, même aux moments des pires folies humaines. Il est avec ceux qui mettent le feu et avec ceux qui l’éteignent ; pour Dieu, se faire homme c’était aussi s’engager à se glisser dans la peau d’un incendiaire comme dans la peau d’un sauveteur. Car si Dieu participe bien aux constructions humaines, il est aussi présent douloureusement mais réellement, dans les actes de destruction. Il n’a pas choisi le temps dans lequel il s’incarnerait : il a choisi l’homme, de tous les temps. Pour Dieu, se faire homme c’est prendre vie dans le corps et l’esprit d’un homme pour y être en totale communion avec tous les vivants.
Si tout cela est vrai, nous savons que Dieu respecte autant ses enfants qui ne sont pas chrétiens, que ceux dont nous disons qu’ils sont fidèles ; et où qu’ils soient, il les aime et les chauffe de son unique tendresse. C’est pourquoi la parabole de la brebis perdue doit être bien entendue. Le berger n’abandonne pas le troupeau sous couleur de sauver la bête qui s’est perdue. C’est parce qu’elle est perdue, qu’elle devient la « pointe » de la parabole, mais non pas parce que le Berger l’aimerait plus que les fidèles qui se sont sagement rangés dans l’enclos. Le Fils de Dieu s’est incarné dans l’humanité tout entière ; il ne peut pas se désincarner et c’est toute l’humanité, qu’il habite. Quoiqu’il se passe dans le monde, le Christ ne part pas et il n’abandonne, est-il besoin de le dire, ni ceux qui se trouvent en difficultés, si lourdes ou si obscures soient-elles, ni ceux qui se tiennent sagement dans leur Eglise. Il a tant aimé l’humanité qu’il s’est fait homme à jamais, et qu’il l’a, comme disent maladroitement les théologiens, épousée à jamais. Et donc, parce qu’il aura tout connu de la terre, et connu chacun, quand nous arriverons chez lui, il aura pour chacun un accueil personnel.
Cela est clair pour nous. Mais quelle attitude cette manière d’être du Christ induit-elle pour nous, qui sommes chrétiens et vivants aujourd’hui ? Bien sûr, nous devons tout faire pour aider les autres qui ne savent pas, à pressentir qui est le Dieu invisible qui vit dans leurs rues. Qu’ils sont tous aimés par Lui. Et que, même s’il n’est plus visible par aucun, il est pourtant au milieu de tous, dans quelque situation qu’ils se trouvent et dans n’importe quel quartier où ils sont installés.
Seulement aujourd’hui, il ne suffit plus de le dire nous-mêmes. Plus le temps passe, plus les hommes deviennent capables de discerner sa voix. Sans le savoir, bien sûr. Il faut donc lui laisser dire lui-même l’amour qu’il a pour eux. Vous me dites qu’il est trop simple de se défausser sur lui de la nécessité de dire son amour. Non, ce n’est pas trop simple. Après avoir beaucoup parlé en son nom, (et il faut continuer à le faire), il faut comprendre qu’il parle, lui aussi, mais qu’on ne l’entend pas. Plus que de parler nous-même mieux et plus fort, pourquoi ne pas faire qu’il puisse mieux se faire entendre lui-même. Cela ne veut pas dire que nous n’aurions plus besoin de dire son message ni de parler toujours en son nom. Mais cela veut dire qu’il faudrait maintenant qu’on ait assez de foi en lui pour croire qu’il parle lui-même, depuis les débuts de son incarnation, d’ailleurs, bien que nous ne l’entendions pas et que c’est sa parole qu’il faut servir, et non la nôtre. Car à force de dire que l’Eglise parle en son nom, nous conclurions presque qu’il se tait pour nous laisser la place. La place, la nôtre, bien sûr, occupons-la. Mais la sienne, rendons la possible.
Je m’explique. (J’ai fait une modification dans mon exposé parce que je voulais tenir compte du climat de violence dans lequel beaucoup de Français, de quelque religion qu’ils soient, souffrent, ces semaines-ci.) On parle violences. On parle de ces jeunes dont l’esprit perturbé et traumatisé, s’est mis en révolte. Mais s’ils savaient, eux aussi, que Dieu les aime … Eh bien, c’est à nous de leur faire comprendre que Dieu les aime et les respecte, jusqu’à leur dire : Tu es l’égal du Christ et Dieu te vénère. Ces gosses violents, incendiaires, Dieu les aime ; et il campe avec eux le soir, sur leurs trottoirs. Il faut, bien sûr, qu’en son nom, nous aussi nous les aimions. Or la manière de les aimer aujourd’hui, c’est de leur faire comprendre que le monde dans lequel ils vivent est habité par Dieu, même s’ils ne le voient pas, et de leur redonner l’espérance que, puisqu’il est là, vivre est viable. Car Dieu reste toujours tendresse et il est en extase devant chacun des vivants. Si les hommes ne le comprennent pas, et se livrent à ces démonstrations de désespoir affolé, c’est sans doute parce que nous ne savons pas le leur dire.
Et pourtant, nous le touchons, le Christ ; nous le touchons chaque fois que nous faisons un geste de paix. Tout homme, quelle que soit sa vie, touche Dieu chaque fois qu’il touche l’homme. Ainsi, lutter contre la violence c’est lutter contre la désespérance, et c’est donc toucher le Christ qui lutte lui aussi, à nos côtés. Laisser percer en nous l’impression de l’inaction ou de l’absence de Dieu dans nos banlieues, serait l’attitude la plus démoralisante qu’on puisse actuellement inventer.
C’est que nous, les Chrétiens, nous sommes chargés d’incarner le Christ. Cela veut dire que nous avons la charge de le rendre palpable et audible. Car, si son incarnation est une réalité permanente, c’est tout de même par nous qu’elle se continue tous les jours lorsque notre façon d’agir rend palpable sa façon à lui, d’agir. C’est à nous, en effet, que revient cette charge. Ainsi, le Christ n’est pas inactif, ces jours-ci. Il partage ce qui se vit dans les quartiers. A sa manière, il travaille à consolider la paix, l’égalité, la fraternité, comme, d’ailleurs le font tous les hommes de bonne volonté. Mais lui, il le fait en tant que Dieu et en tant qu’homme. Or un brouillage empêche vraisemblablement les jeunes et les autres, de décrypter ses mots. « Je suis venu pour apporter la paix ». Y a-t-il trop de violence pour qu’on puisse l’entendre ?
Le brouillage vient de nous. C’est la haine qui allume le feu : aux hommes de bonne volonté de la maîtriser pour que ses crépitements ne couvrent pas la parole du Christ et n’occultent pas sa présence sur nos trottoirs. Le seul vrai moyen que nous ayons pour cela, en plus de la prière, c’est de maîtriser notre propre colère. En effet, si la colère entretient les cris et la peine, son bruit étouffe la douceur des mots du Christ. Même dans la prière, on a du mal à la saisir. A combien plus forte raison en aura-t-on si le feu ronfle, et si nous lui prêtons écho en étalant en plus, notre propre colère ou nos condamnations.
Bien sûr, il ne s’agit pas de se taire par lâcheté : on veut faire taire notre propre violence pour ne pas contribuer à créer ou à entretenir un mur supplémentaire de dureté car ce mur isole les paroles de paix que prononce en permanence celui qui s’est fait homme pour rester au milieu de nous. Mais nous sommes le corps du Christ, comme disait st. Paul, ceux qui aujourd’hui peuvent le rendre audible en lui prêtant leur corps, leurs yeux, leur voix, et en étouffant nos flammes et nos colères. Chaque fois qu’un chrétien fait sienne la violence des autres, il anéantit une chance qu’un jeune, par exemple, aurait pu avoir de deviner le Christ. Chaque fois, que sincèrement, peut-être, il utilise la violence pour condamner la violence, il souffle sur la flamme, et contredit la douceur que le Christ tente de ranimer. Nos indignations qui nous paraissent légitimes, et nos cris de révolte, cachent le Christ, présent au milieu des brasiers. Crier avec les autres, c’est étouffer la douceur du Christ. Nos cris stérilisent sa présence et la rendent impalpable. Bien sûr, notre rôle n’est pas de nous taire pour nous taire, mais de tout faire pour éviter que la violence de nos mots ou de nos attitudes construisent une cloison entre le Christ et ceux qui se battent. Et ceux aussi qui le cherchent sans le savoir.
S’il s’est fait homme, c’est pour être avec nous et pour mettre sa main à la pâte dans notre construction si onéreuse de la paix. Or, nous sommes son corps, non ses isolants : parlons donc comme lui. Jouons le même jeu que lui, pour rendre plus visible son propre jeu. Si nous sommes face à des incendiaires - mais y avons-nous jamais été ? - et même si nous sommes loin d’eux, inventons les mots qui parlent sans faire la guerre. Moyennant quoi, nous donnons corps au Christ : le seul qui se soit dit « roi de paix », parce qu’il est le seul à l’être. Nous lui donnons corps par nos efforts de maîtrise, voire de douceur. Parce que les mots de la colère font du bruit et du mal, et parce qu’ils stérilisent le travail que le Christ mène à nos côtés, nous avons à nous engager à les proscrire. Parce que le Christ n’est perceptible que dans la gestation de la paix, passons plus de temps à souligner les efforts de pacification de ceux qui sont dans les banlieues, qu’à condamner ceux qui y mettent le feu. Dans la mesure où nous contenons nos indignations confortables dont nous savons bien qu’elles soufflent sur le feu, nous ne paralysons pas les hommes de bonne volonté ni le Christ, qui sont, eux, sur le front. Notre maîtrise donne corps au Christ, venu sur terre et dans ces quartiers, non pas pour y apporter une paix toute faite, mais pour aider les hommes à faire leur paix et de leurs mains. Et des siennes. Nous sommes les médiateurs du Christ, chargés de lui prêter nos corps pour qu’il puisse, au cœur de la violence, aider les violents et leurs grands frères, à rendre la paix. Le Christ n’est pas monté au dessus de nos guerres, mais, par nous, il y est resté.
L’humanité n’est pas pourrie : grâce au Dieu qui s’y est incarné et grâce aux hommes de bonne volonté qui y mettent le prix et l’aident à y prolonger son incarnation, elle fabrique toujours de l’amour, plus que de la violence. Nous sommes donc, non pas seulement les messagers, mais les acteurs de cette bonne nouvelle, quand nous rendons visible, par notre douceur, la tendresse de Dieu habitant au milieu des hommes. Peut-être Dieu nous dit-il des mots de ce genre : « Assouplis ton être, tes pensées, ta vie, pour apaiser le climat et faire qu’à travers toi les hommes devinent que je suis ici, auprès d’eux, et que je suis le Dieu qui aime aimer. »
Questions.
- Est-ce que la tendresse de Dieu exclut tout châtiment ?
Le rôle de Dieu n’est pas de punir. Un défaut est toujours lié à une qualité, c’est une qualité qui fait défaut. La meilleure manière de faire évoluer un jeune, c’est de lui faire comprendre ce qu’il est plutôt que de lui dire ce qu’il n’est pas, ce qui en lui est négatif.
- On a l’impression qu’il faudrait réécrire les évangiles ( cf. la parabole du banquet ).
On ne réécrit pas l’évangile, on l’interprète. Et il serait urgent que l’on passe au crible tous les textes des évangiles.
- Est-ce que nous sommes responsables de la « visibilité » du Christ ?
N’importe qui, dans son être, a quelque chose de bien, de beau, donc quelque chose du Christ. Il est responsable de le cultiver.
- Guy Gilbert a écrit : je dois vivre de telle sorte que nul ne puisse douter de la réalité et de la présence du Christ.
Il écrit remarquablement bien et ce qu’il dit ici est vrai.
- Comment faire pour ne pas aggraver le feu, car chacun agit à sa manière, selon ses propres réactions ?
Un principe : ne pas dire les choses aux gens, aux jeunes, comme un reproche. Si l’on veut parler de la tendresse de Dieu, la faire comprendre et accepter, il faut parler de manière positive, sans oublier que ce que l’on est, et ce que l’on vit, a souvent une influence plus forte que ce que l’on dit.
- Comment faire comprendre aux gens que leur comportement peut comporter une attitude de violence ? Ne faut-il pas faire leur « éducation » ?
Le but de cet exposé n’était pas d’analyser les causes de ces révoltes, ni de remettre en question la responsabilité des parents. Mais, bien sûr, l’éducation est prioritaire. Seulement, moi, je suis mal placé pour en parler.
- Pourquoi le peuple juif ne voit-il pas encore la réalité de l’incarnation du Christ ?
Les juifs avaient cette certitude : le Christ, en tant qu’homme, ne peut être Dieu. Cela eût été une imposture qui ne pouvait se régler que par sa mort. De ce fait, ils n’ont pas reconnu le Christ.
Les chrétiens sont issus du judaïsme, mais il s’en sont séparés. On espère qu’avant la fin du monde, juifs et chrétiens auront compris qu’ils sont complémentaires.
- Si nous étions victimes des violences actuelles, pourrions nous avoir des griefs à l’encontre du Seigneur, la colère ne serait-elle pas justifiée ?
Peut-être, mais nous aurions tort, la violence ne venant jamais de Lui. De toutes façons, nous sommes impliqués. Nous devons donc, au moins, maîtriser notre colère. Et faire nôtre l’attitude du Christ face à la violence, à son égard, de scribes et des pharisiens, puis des romains.
- S’il y a une intervention auprès des jeunes, comment la réaliser ? Doit-elle être une conversation ou autre chose ?
Si l’on n’intervient pas, si l’on garde le silence, on risque de passer pour un lâche. Si on décide d’intervenir, il faut le faire sans violence ; essayer de pacifier la situation. Par le jeu de la communion des saints nous contribuons à créer une ambiance de convivialité. Pour le Christ, le pire des hommes est son frère et, s’il voit le moindre geste de paix, il le développera vers le bien.
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