Retraite 2001. organisée par les Amis de la Part Dieu, à
Avajan
Avec le P. Collas
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Le Mal
I. COMMENT NOMMER LE MAL.
Nous commençons par analyser brièvement les différentes formes sous lesquelles le mal se rencontre, comment on le nomme. Comment en fait, à quelque chose près, on l’a toujours nommé.
Nous sommes les héritiers, entre autres, de la pensée juive. L’homme connaît la souffrance. D’où vient-elle ? Les réponses de la théologie juive que le christianisme a, en partie, adoptées, nous laissent insatisfaits, aujourd’hui. Elles correspondent aux conclusions, limitées et provisoires, que le judaïsme a faites dans sa lente rencontre de Dieu. Elles attendent l’ajustement que permet la permanence de la recherche humaine. C’est dans le contexte de cet « ajustement » que nous allons nous situer. Etant entendu, bien sûr, que les compléments que nous apportons aujourd’hui sont eux aussi provisoires et limités. Ils ont simplement avancé d’un cran la quête sans fin de notre intelligence.
Avant de les aborder, disons un mot des différentes formes sous lesquelles on rencontre le mal.
On classe le mal en catégories. Mais il est impossible d’en répertorier toutes
les manifestations. En tout cas, l’inconvénient de classer le mal comme nous allons le faire est que nous paraissons le réduire à être un simple élément d’analyse. Or le mal ne s’analyse pas si froidement, surtout quand on en souffre.
Et le classer ne fait pas qu’on soit capable d’en répertorier toutes les manifestations : si chaque homme pouvait fournir sa propre liste, il faudrait encore la multiplier par le nombre des vivants, pour avoir une idée incomplète du poids que porte l’histoire. Alors, comme on dit que le mal a un goût et que ce goût, c’est la souffrance, c’est en fonction de ce goût et des réactions qu’il provoque, sur le plan physique comme sur le plan moral, ou mental, que l’on a pris l’habitude de s’appuyer pour établir une classification.
On classe donc le mal en mal moral et mal physique. Catégories auxquelles la thèse de Teilhard nous contraint d’ajouter celle de mal ontologique.
1. Le mal physique.
On peut distinguer deux types de ce mal.
. Le mal de la nature : il concerne les lois selon lesquelles fonctionne le cosmos. Les lois naturelles ne sont pas un mal, mais il arrive que leur fonctionnement semble désobéir à leurs fondements. Ainsi une éruption, ou une avalanche. On ne considère d’ailleurs généralement ces dérapages comme un mal que lorsque l’homme en est affecté, directement ou par le biais de ses répercussions sur son environnement.
Nous pouvons, d’ailleurs, avoir une part de responsabilité dans ce mal : comme par exemple si nous construisons des habitations dans un couloir d’avalanches. Ou lorsque nous contribuons à réchauffer l’atmosphère.
. Le mal de l’homme : encore un dérapage des lois du cosmos. Mais ce mal-là s’amplifie du fait que celui qui en est atteint, est un être pensant. Un mal dont on a conscience, devient une souffrance. L’homme souffre, pas le sol. L’animal aussi souffre, mais vraisemblablement dans une moindre mesure, la souffrance étant proportionnée à la capacité de la sentir et d’en juger.
De ce mal, nous ne sommes pas obligatoirement responsables. Un cancer peut naître sans que nous ayons fait quoi que ce soit qui l’appelle.
De ce mal, nous pouvons aussi être responsables : un cancer du poumon peut venir d’un excès du fumeur. Ce dernier type de mal est celui au sujet duquel nous récriminons le moins. Celui-là, on le comprend. On sait d’où il vient. Du moins le pense-t-on. Encore que lui aussi ait une cause première unique, dont nous parlerons plus loin.
2. Le mal moral.
. Le mal que je fais : celui qui ne vient pas d’une erreur des lois naturelles, mais qui vient de ma propre volonté. Quelles qu’en soient les raisons, je puis décider de « faire mal ».
Par des actes physiques
Ou par des mots.
Je veux faire souffrir. Et j’y parviens. Même si je ne parviens pas à faire souffrir, je suis tout de même responsable d’avoir voulu « faire mal ».
Je puis aussi être auteur d’un mal dont je n’ai pas conscience. En principe ce mal ne fait pas jouer ma responsabilité consciente. On pourra ne pas m’en châtier. Mais j’en resterai tout de même l’auteur. Et j’aurai à le réparer.
. Le mal que je subis : ce qui vient d’être dit m’est fait, à moi, cette fois, et par quelqu’un d’autre. La souffrance provoquée dépend de plusieurs facteurs :
Le facteur affectif : c’est un ami qui m’a blessé.
Le facteur moral : la souffrance diffère selon que ce mal m’est fait volontairement ou par mégarde.
Selon aussi que je suis atteint sur un point plus ou moins essentiel pour moi.
Le mal moral peut être le résultat, non seulement d’une parole, mais aussi d’un geste, et dans ce cas, le mal moral découle d’un mal dit « physique ».
. Le mal et l’amour. Qu’il soit physique ou moral, le mal est amplifié si l’amour est concerné. Plus je suis lié à la personne qui me blesse, ou que je blesse, plus la souffrance est lourde. Je souffre parce que quelqu’un que j’aime, souffre. Si le mal vient d’un être qui m’est indifférent, la souffrance est moindre.
La présence de l’amour qualifie plus intensément le mal fait. Même si la Justice ne tient pas compte de cette modalité. Je souffre parce que quelqu’un que j’aime souffre.
A ce titre, la souffrance permet de réaliser la grandeur du cœur humain et la profondeur de l’amour. Ainsi est-ce en partie en raison de la souffrance qu’il a supportée, que je devine l’amour du Christ. Et l’amour du Père qui l’a vécue en même temps que lui, mais avec son cœur de Père, ce qui ne l’a pas diminuée.
3. Le mal ontologique.
Nous en parlerons quand nous proposerons la théorie de Teilhard de Chardin. Nous verrons que la source du « mal » est probablement à ce niveau. Pour l’instant, et pour faire un pas en direction de cette théorie, disons un mot de la souffrance et de la vie.
. La souffrance et la vie. La souffrance est un « goût » de la vie. Elle lui est ontologiquement liée. Le fait de créer, c’est-à-dire de donner existence à quelque chose qui n’existe pas, est un travail difficile et douloureux. Même quand la joie l’emporte. Nous reviendrons sur ce point.
. La question : les hommes ont essayé de comprendre pourquoi la souffrance (et donc, indirectement, le mal) était liée à l’acte de vie. Cette recherche est le fait de toutes les cultures, la question étant profondément humaine et dépassant les frontières et le temps. Mais leurs différentes recherches les ont toujours laissés sur leur soif. Ou face à un scandale.
Elles aboutissent presque toujours à un constat d’incapacité. On sait, au moins partiellement, analyser le mal, mais on ne parvient toujours pas à en connaître clairement la cause. Les différents motifs invoqués laissent plus ou moins chacun insatisfait.
Au point que les chrétiens, après le Livre de Job, concluent qu’il s’agit là d’un mystère et que nous ne le percerons pas avant l’Eternité.
Ce refuge dans la notion de mystère ne peut plus nous satisfaire. Nous avons dans la Révélation judéo-chrétienne, de quoi débusquer, non pas, sans doute la solution totalement satisfaisante, mais des éléments probants qui, admis par la raison, peuvent apaiser le scandale. C’est à ce niveau que se situe, je le pense, la thèse de Teilhard de Chardin.
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