Retraite 2001. organisée par les Amis de la Part Dieu, à Avajan
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Le Mal

 

                                                    

 

III. ESSAI DE SOLUTION : TEILHARD de CHARDIN.

 

 

Je ne crois pas que Dieu se taise. La position de Job se comprend parfaitement dans le contexte du Premier Testament, où Dieu est senti comme le maître souverain, à l’image des rois et des chefs de guerre de l’époque, qui n’a de comptes à rendre à personne. Dans ce contexte, Job est courageux.

En revanche, dans le contexte de Nouveau Testament qui est le nôtre, Dieu, semble-t-il, veut que nous sachions. De l’attitude de Job nous devons conserver l’humilité, mais sans doute pas l’enfermement dans un silence « adorant ». Dieu veut que nous sachions. D’après les dires de Jésus lui-même, nous devons aller jusqu’à « la vérité tout entière ». (Jn. 16, 13)

Mais sans doute, pas plus sur ce point que sur le reste des conditions de la vie, il ne veut, ou ne peut donner une réponse toute faite. Alors il aide l’intelligence de l’homme dans sa quête pour qu’elle puisse parvenir elle-même à comprendre, avec sa raison et ses mots.

Le livre de Job et les recherches effectuées par les philosophes ou les théologiens, sont à classer dans cet effort de compréhension. Cet effort n’est pas achevé. Quelques éléments de solution que nous puissions pressentir, l’effort durera autant que l’histoire, et c’est pourquoi, ces tâtonnements nous laisseront toujours insatisfaits. L’hypothèse de Teilhard se situe dans ce courant de recherche. Mais, parce qu’elle tient compte de l’intelligence et donc de la raison, et se refuse à les bousculer, sans pour autant, d’ailleurs, éponger tout le mystère, elle a de quoi parler à notre temps.

 

1. Le péché originel..

 

- Teilhard part de la notion de péché originel. Ce péché des premiers parents est considéré par la théologie catholique habituelle, comme l’explication de la présence du mal dans l’histoire.

 

Adam et Eve sortent des mains de Dieu. Ils sont en amitié avec lui. Adam a reçu l’autorisation de manger de tous les arbres du jardin, sauf de celui de la « connaissance de ce qui est bon ou mauvais » (Gen. 2,17). Or, sous la poussée du Démon, Eve, d’abord, puis Adam, mangent de ce fruit. Et ils connurent « qu’ils étaient nus. » (Gen. 3,7). En conséquence de quoi Dieu prononce la sentence de mort et ordonne l’exclusion hors du paradis terrestre avec sa conséquence qui est la malédiction de la terre elle-même. Enfin, puisque le paradis est désormais « barré » (Gen. 3, 24), il faut entendre que la descendance humaine portera elle aussi le poids de la condamnation. Le mal, humain et cosmique, vient donc de la révolte initiale des premiers humains.

 

2. L’objection.

 

A quoi Teilhard fait remarquer que si Adam et Eve ont pu se révolter, c’est qu’ils en étaient déjà capables. Mais alors, s’ils sont déjà capables de se révolter, ce n’est pas leur geste de révolte qui leur en a donné la capacité : ils l’avaient déjà. Et donc, la véritable cause de ce mal qu’est leur révolte, est antérieure à leur geste. Elle se situe dans le fait que les premiers vivants sont déjà capables de se révolter. Leur « péché » n’est originel que parce qu’il se situe « à l’origine » de la vie de l’homme, mais non pas en ce sens qu’il serait « à l’origine » du mal. Le mal a son origine ailleurs.

 

Or, où est cette origine ? D’où vient cette capacité au mal ? D’où vient cette cécité : car leur révolte est avant tout une incapacité à voir la situation, et donc, à en juger. S’ils sont capables de choisir la souffrance et la mort plutôt que la vie, c’est qu’ils jugent mal. Eve a pesé le pour et le contre et elle a mal vu. Adam n’a été guère plus clairvoyant en admettant les dires de la femme sans discuter. D’où vient ce manque de jugement ?

 

La théologie catholique classique n’est pas à l’aise devant cette question. Elle est dans une position délicate : pour elle, en effet, l’homme sort des mains de Dieu. Comment admettre, dans ces conditions, qu’il en sorte aussi gravement fragile et si peu préparé à la vie ? N’oubliez pas : il est capable de choisir le malheur plutôt que le bonheur ! Pouvoir choisir le malheur plutôt que le bonheur est une terrible faiblesse : comment l’expliquer si l’homme sort tout juste des mains de Dieu ?

 

La véritable question est donc généralement mise entre parenthèses. Pourtant elle est bien là : comment se fait-il en effet, que les premiers vivants soient aussi mal préparés à la vie ? Comment se fait-il que leur capacité de juger, justement, de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, soit pareillement décalée ? En fait, c’est dans la réponse à cette question que doit se situer la source du mal. Non pas dans la révolte elle-même, mais dans ce qui a fait que la révolte était possible avant même que l’homme ne soit né. Une faiblesse antérieure à la faiblesse de se révolter contre le bonheur. Encore une fois, l’embarras de la théologie se comprend. Elle pense que l’homme sort de Dieu achevé, prêt à l’emploi… Comment admettre, dans ces conditions, qu’en fait, il ne le soit pas ?

 

 

3. L’essai de réponse : l’état originel

 

C’est à ce point que se situe la recherche de Teilhard.

Nous avons vu, d’ailleurs, que, dès les premiers siècles chrétiens, ( et même bien avant, pour la philosophie grecque) la route prise par Teilhard avait été pressentie. L’originalité de Teilhard consiste à se placer clairement dans un contexte d’évolution.

Il dit : l’univers se fait peu à peu. Quand l’homme y apparaît, le cosmos a déjà longuement travaillé et il est devenu capable de supporter l’apparition du vivant conscient. La préparation a été longue, car la matière n’est pas sortie toute faite de l’intelligence du créateur. De l’intelligence du créateur, par contre, est sortie la volonté de laisser la création se faire elle-même, avec, bien sûr, le risque des lenteurs et des dérapages. Imaginez une carrière de marbre dont les carriers doivent se fabriquer eux-mêmes, apprendre le métier, confectionner leurs outils, inventer le marbre, dessiner et réaliser les acheteurs. Entreprise impossible. Sauf s’il se trouve là une énergie confondante qui donne à ce qui doit être et qui n’est pas encore, la force qu’il faut pour que tout cela se fasse. Mais sans jamais se substituer à ce qui est en gestation. La confiance du créateur en sa créature, pourtant, a payé : au moment où l’homme apparaît, l’évolution se voit couronnée par l’arrivée de l’intelligence.

 

Seulement, cette intelligence, comme sa matrice, est en voie de structuration. Elle aussi est donc inachevée. Elle peut se lancer dans la vie, mais elle doit aussi, se mettre et se tenir en état de marche, et croître au fur et à mesure que ce qu’elle fait exigera d’elle de nouvelles attitudes, qu’il faudra aussi inventer et aménager. Elle est donc en voie d’évolution. Elle est inachevée. Comme l’évolution qui la porte. On ne s’étonne pas, dès lors, qu’Adam et Eve aient eu « du mal » à voir clair dans les choix qu’il leur fallait faire.

 

Comme l’évolution a tâtonné pour arriver jusqu’à eux et tâtonne encore et tâtonnera jusqu’à ce qu’elle soit « achevée », selon l’attente de Dieu, ainsi l’homme tâtonne-t-il. Il ne se trompe pas obligatoirement, loin de là puisqu’il a pu arriver jusqu’au jour du « péché originel » sans trébucher. Mais il est maladroit. Et c’est dans cette maladresse que Teilhard voit la source du mal. Non pas dans la chute, mais dans ce qui l’a rendue possible. Teilhard parle, non pas de « péché originel », mais d’ « état originel ». Le mal, le malheur, si vous voulez, ne vient pas de l’acte qu’ils ont posé, mais de l’état d’inachèvement dans lequel ils étaient, quand ils ont posé cet acte.

 

 

4. Le cosmos n’est pas donné tout fait.

 

L’analyse chrétienne classique qui prend appui sur le péché originel, enseigne que l’homme reçoit un « jardin à cultiver », sous-entendu, un jardin tout fait dont il suffit d’arracher les mauvaises herbes ou de cueillir les fruits. Or, pour des raisons inconnues, l’homme, excellent jardinier, réussit pourtant à détruire le jardin.

 

C’est dans ces mêmes perspectives que l’on dit, lorsqu’une guerre éclate, que l’homme détruit la paix. Or la paix, pas plus que le jardin, n’est jamais donnée toute faite : elle doit être faite. La paix devient peu à peu une réalité, mais elle n’est pas au point de départ. Au point de départ, on ne trouve pas un état de paix, mais des éléments qu’il s’agit d’aider à se rassembler et à se mettre en connivence. Un agencement au terme duquel, s’il est réussi, on aura la paix. L’agencement n’est pas au point de départ. Et l’agencement est chose difficile. Si l’homme n’y parvient pas, on ne pourra pas dire qu’il a détruit la paix, mais qu’il n’a pas su la faire.

 

Ainsi de la vie. La vie humaine, qu’elle soit considérée sous son angle individuel ou collectif, n’est pas une réalité existante a priori, ni donc une donnée toute faite. Ce qui se trouve au point de départ, du moins depuis que « quelque chose » existe, ce sont des éléments divers et dispersés qu’il s’agit d’aider à entrer en concordance. Les lois de cette « concordance » ne sont pas données, non plus. Il faut donc les penser, les concrétiser, les ajuster, et obtenir qu’elles puissent jouer ensemble.

 

Si donc l’ordre n’existe pas au point de départ, on ne peut pas dire que l’homme l’ait défait. On peut seulement dire qu’il a du mal à le faire. Or, l’hypothèse « péché originel » part justement de l’idée que le « cosmos » est donné tout fait et parfait et que l’homme en a détruit l’équilibre. Ce contre quoi va la pensée de Teilhard. L’homme n’a pas détruit, mais il a du mal à construire. Cette manière de voir choque moins l’intelligence. Il est moins choquant de penser qu’une intelligence maladroite puisse déraper, que de penser qu’une intelligence parfaite puisse se tromper. Dans le premier cas de figure, la logique est sauve. Pas dans le second. Il semble que l’honneur de Dieu et l’honneur de l’homme ne soient saufs que dans le premier cas.

 

5. L’homme non plus ne naît pas tout fait.

 

La maladresse de l’homme est d’autant plus lourde, que l’homme qui doit inventer et combiner les lois, le fait avec le considérable handicap qu’il est lui-même en pleine construction. Et que cette construction lui revient. Ces difficultés, qui ne tiennent pas d’abord à une mauvaise volonté mais à une volonté encore embryonnaire, font que la tâche de « faire la vie » est un travail « de force ».

 

Et de plus, les éléments qui doivent être mis en conjonction ne « collent » pas obligatoirement entre eux dès l’abord. Ils peuvent opposer une résistance à quitter une sorte de « quant à soi » pour déboucher dans une alliance qui les contraindra à des adaptations dérangeantes. Même si, à l’expérience, les éléments en question se trouveront mieux d’avoir été réunis.

 

Lorsque l’homme contemporain qui assume ce travail de construction et de « libération » de la vie en lui, se trouve à l’œuvre, il sue, sur le chantier. Il n’est pas d’abord paresseux. Sa sueur vient d’abord de la complexité de son travail qui doit à la fois, le construire lui-même et construire une autre réalité face à lui qui dépend de lui et dont lui-même dépend déjà. Cela fait beaucoup d’incertitudes et d’incommodités pour aboutir à un établissement cohérent.

 

Teilhard appelle « mal » ce mal que la création a à se faire ? Le mal ontologique, c’est le mal de l’être, le mal qu’a l’être à se faire.

 

Et ce mal devient sensible et scandaleux quand il devient conscient, c’est-à-dire, quand il touche l’homme.

 

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