Retraite 2001. organisée par les Amis de la Part Dieu, à
Avajan
Avec le P. Collas
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Le Mal
V. LA RESPONSABILITE DE L’HOMME ET DE DIEU.
1. La « juste place » de chacun.
Mieux vaut dire de l’homme qu’il est tâcheron plutôt que pécheur. C’est la conclusion essentielle à laquelle aboutit la position de Teilhard. Si cette conclusion était habituellement admise, la vie de l’homme en société serait notablement plus aisée. Et donc, plus efficace. Devant un problème, si je me trompe de données, j’ai peu de chances de trouver la solution. Se tromper de diagnostic rend difficiles et inefficaces les recherches et les applications et gaspille les forces. De même, dire à l’homme qu’il est pécheur, c’est détourner son énergie : en effet, on le « pousse » à centrer d’abord sa force sur l’obtention d’un pardon ou le camouflage de ses erreurs, plutôt qu’à la libérer et à l’investir dans l’aménagement du quotidien et l’investigation du possible.
Peut-être le christianisme ne s’est-il pas suffisamment défié des conséquences qu’aurait son insistance sur le poids du péché et sur sa place présumée dans la vie humaine. Dans les perspectives du Premier Testament, il a vu dans les échecs de l’homme, le signe que le vivant tout entier était sous le règne du péché. Et donc, il a vu l’Incarnation dans ce contexte. Le Christ s’est fait homme pour sauver l’homme du péché.
En accordant au péché cette dignité, il a réduit le rôle du Christ et amenuisé les dimensions du salut. Le salut, ainsi, ne concerne que le péché. Et, en fait de salut, il ne s’agit que d’obtenir du Père qu’il ferme les yeux sur nos malignités, en lui proposant et en opposant à nos fautes, le sacrifice de son Fils. Un des résultats de cette vue est – et c’est bon – est de centrer nos regards sur le Christ. Mais ce centrage s’effectue aux dépens du Christ lui-même, aux dépens du Père et à nos dépens.
Aux dépens du Christ en ce qu’il réduit son rôle à être simplement
réparateur d’un plan manqué. Et nous sommes loin de la vision de Paul, pour qui le Christ est celui « en qui et par qui et pour qui tout a été fait », Qui est « la pierre d’angle » (Eph. 2, 20) « qui est la tête » (Eph. 4, 15) et « qui est tout en tous » (Col. 3, 11).
Sans compter non plus, qu’il ne donne pas une idée bien haute de l’intelligence du Père, lequel, finalement, a mal pris ses dispositions, puisque le plan initialement prévu doit être revu.
Sans compter enfin que nous sommes nous-mêmes rapetissés. Au lieu de vivre dans le souffle de la première page de la Genèse où nous apprenons la stupéfiante nouvelle que nous sommes « à l’image de Dieu » (Gen 1, 26), nous sommes engoncés dans la honte de savoir surtout pécher et d’être sujets de l’indignation de Dieu, car « ardente est sa colère et pesante sa menace. » (Is. 30, 27).
Teilhard aide à retrouver pour le Christ la place tellement plus essentielle et conforme à ce que nous savons de lui. Ce n’est pas du péché qu’il nous sauve, mais de ne pas exister. En effet, son rôle, d’après ce que nous pressentons de lui, est de créer. Le Père est la source d’une énergie, que le Fils aménage en création. Quant à l’Esprit, il crée le climat nécessaire à cette fantastique opération. Voilà le rôle réel et premier du Fils, « en qui, par qui et pour qui … » Et sa venue sur terre n’est pas le salut, mais la manifestation que le salut est déjà là, depuis les tout premiers temps, et qu’aujourd’hui, il est en voie d’achèvement. Il ne vient pas pour nous sauver, mais pour nous assurer que nous sommes déjà sauvés. Il ne vient pas nous délivrer du mal, mais nous permettre de ne pas nous en affoler afin d’en acquérir la maîtrise. Il vient nous libérer de la peur et de la honte en nous révélant que nous sommes en état de vaincre. Il vient surtout nous révéler que nous sommes aimés par le Père, par lui, le Fils et par l’Esprit. Et pour nous donner la preuve irréfutable de leur amour dont nous avons pris l’habitude de douter, il meurt, « parce qu’il n’y a pas de plus grande preuve d’amour … » (Jn. 15, 13 ). Il nous révèle enfin, en se faisant homme, ce que l’on n’osait même pas imaginer, que l’homme est capable de Dieu et que Dieu est capable de l’homme.
Et du coup, voilà l’homme libéré de sa peur et de ses hontes, et en état de recentrer toutes ses forces, non pas à éviter les péchés, mais à se construire. Retourné vers sa responsabilité et donc n’attendant de Dieu que ce qui revient à Dieu et sachant que tout le reste lui revient à lui.
2. Les règles de morale.
Dans ces perspectives, nous pensons que Dieu se situe près du vivant comme celui qui communique l’énergie, plus que comme celui qui surveille et pardonne. Cela aussi est important. La relation de l’homme à Dieu est fondatrice. Il est donc nécessaire, pour que l’homme fonctionne normalement, que cette relation soit saine. Or, si l’homme considère Dieu comme celui qui compte ses péchés, la relation est fausse. Si, en revanche, il le considère comme celui qui l’aide à vivre, sa relation est saine et l’homme avance sans complexe et gère sa responsabilité selon sa conscience. Son rapport à Dieu est confiant : il vit comme un fils. Et justement, il est fils. Il vit pour ce qu’il est et non malgré ce qu’il craint.
Ainsi, les règles de morale ne devraient-elles pas être d’abord considérées comme des directives de Dieu destinées à nous faire éviter de pécher. Elles sont plutôt des trouvailles faites par notre intelligence en vue de faciliter notre action. Une intelligence qui s’ingénie plutôt à vivre qu’à regretter d’avoir mal vécu. Non point que reconnaître ses erreurs ne soit important. Mais les erreurs ne sont que des incidents de parcours. Tandis que la recherche et l’expérimentation sont le parcours lui-même.
Dans ces perspectives, nous pensons donc que les règles de morale ne nous viennent pas de Dieu. D’abord, pour les raisons que nous venons de dire : le rôle du créateur n’est pas d’interdire les déviances car, pas plus que Dieu, l’homme ne désire se tromper. En revanche, son rôle de Père est de tonifier l’intelligence, la raison et la volonté de l’homme pour qu’il invente lui-même les règles de son « efficacité ». Il est vraisemblable, d’ailleurs, que les premières lois qu’il s’est données, l’homme les ait faites pour rendre vivable sa cohabitation avec les autres humains. Quelles qu’elles soient, ces lois sont inventées sous la pression des circonstances, mais avant tout, par le besoin de réussir qui anime le vivant. Leur but est de rendre efficaces les gestes qu’il fait pour vivre.
Si c’est la peur qui pousse à fabriquer ces lois, alors, la relation au créateur est faussée. L’homme tombe dans l’inefficacité parce que la peur le pousse à se protéger et non pas à avancer. Elle le pousse à reculons : au lieu de se précipiter avec confiance vers celui qui lui donne l’énergie pour inventer, il se traîne, tête basse, vers celui dont il pense qu’il va sans doute le punir. Or, la vie est trop difficile pour qu’on joue ainsi à perdre son temps. Dieu souhaite, pensons-nous, que l’énergie qu’il nous donne, nous serve à vivre et non pas à nous traîner devant lui.
3. Ce qui vient de Dieu, ce qui vient de l’homme.
Les lois viennent donc, pensons-nous, de l’intelligence et du vouloir-vivre de l’homme. Lorsque Moïse en attribue la paternité à Dieu, c’est qu’il le connaît mal encore, et confond création et codification. Mais c’est aussi parce qu’il doit former un peuple et que les lois dont son intelligence lui donne l’idée, lui paraissent avoir des chances de mieux passer auprès de ces « nuques raides », si elles sont données comme venant de Dieu.
Dans le Second Testament, le seul code que le Christ ait donné, ce sont les béatitudes. Or, les béatitudes ne sont pas des lois. « Bienheureux vous qui… » (Mt. 5, 3-12). Ce sont des constatations. « A l’expérience, voilà ce que votre sagesse humaine vous a fait mettre au point. Et moi je viens, avec ma force de Dieu, vous dire que votre sagesse a raison. »
Il n’y a, aux dires de Jésus, que deux lois : tout le reste y est suspendu : « Tu aimeras ton Dieu … et ton prochain comme toi-même. » (Mat. 22, 37-39). Deux lois : les deux lois qui sont en Dieu lui-même et qui expliquent sa structure. Ce sont donc aussi les deux seules lois essentielles pour nous, puisque nous sommes à l’image de Dieu. « De ces deux commandements, dépendent toute la loi et les prophètes. » (Mt. 22,40). C’est en se fondant, même s’ils ne le savaient pas, sur ces deux lois uniques, que les hommes ont inventé leurs propres codes. Car, la structure de l’homme ne dépend pas de l’homme mais de Dieu : il est « à son image ». Mais, si au niveau de cette structure, l’homme ne peut absolument rien changer, par contre il lui revient de traduire dans le concret de ses besoins, le passage à l’acte de cette structure reçue de Dieu. Là est sa grandeur. Et là, sa morale.
Mais nous retrouvons là aussi la source de ce que nous appelons le « mal ». En effet, mettre au point des règles de vie alors que l’être qui doit effectuer ce formidable travail, est lui-même inachevé, laisse place à pas mal de tâtonnements et d’erreurs, dont certains pourront être graves. Mais c’est le prix de notre grandeur. Pour respecter le fait que nous sommes à son image, Dieu va jusque là : à lui non plus, personne n’a dicté comment vivre. A l’homme, personne, non plus, ne dictera.
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