Retraite 2001. organisée par les Amis de la Part Dieu, à Avajan
Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
06 03 04 22 88
                               

                                                    

 

Le Mal

 

                                                    

 

VI. POURQUOI DIEU A-T-IL FAIT CE CHOIX ?

 

 

 

 

1. Si l’intelligence est au point de départ.

 

Ceux qui se situent dans la perspective d’un cosmos créé, posent comme certitude de départ qu’il y a un créateur. C’est logique. Nous qui adoptons, bien sûr, cette position, nous ne l’adoptons que parce qu’elle nous paraît seule capable de satisfaire l’intelligence.

 

Nous partons du fait, indéniable, qu’il y a de l’intelligence dans ce cosmos. Plus on avance dans sa connaissance, d’ailleurs, plus on découvre l’ampleur de ce « génie ». Or, pour nous du moins et tels que nous fonctionnons, intelligence suppose connaissance du réel et connivence avec lui. L’intelligence voit la réalité, la mesure, l’apprécie et agit. Si le cosmos réagit juste à nos interventions, c’est que la vue que l’on se fait de lui, est juste. L’efficacité d’un acte, en effet, prouve la justesse de vue qui a agencé cet acte. Son sujet est en prise sur la réalité sur laquelle il veut agir parce qu’il la connaît : or sa connaissance est adéquate puisqu’elle a touché juste le réel au point de provoquer ou d’obtenir la réaction attendue de lui.

 

Si l’intelligence humaine et l’intelligence du cosmos sont ainsi en connivence, il est vraisemblable qu’elles ont une même origine. Même ceux qui pensent (ou pensaient) que le cosmos s’est créé lui-même, même ceux-là ne nient pas que cette auto-confection soit intelligente. Et même s’ils voient dans cette intelligence - qu’ils disent matérielle - la source de l’intelligence humaine, c’est toujours de l’intelligence qui se trouve à l’origine.

 

Nous pensons, quant à nous, qu’il y a bien, en effet, deux intelligences.

D’une part, l’intelligence du cosmos puisque son évolution réagit aux situations qu’il traverse et leur apporte une réponse efficace. Et c’est de cette intelligence que l’homme reçoit la sienne. Moins que jamais, d’ailleurs, personne ne songe à la nier : les « chercheurs » l’expérimentent de plus en plus clairement.

 

Mais d’autre part, cette intelligence du vivant le conduit à se mesurer à une autre dimension d’intelligence dont il estime logiquement qu’elle vient d’ailleurs puisqu’elle le dépasse et la terre avec lui, et qu’il ne l’a jamais découverte elle-même nulle part dans le cosmos, autrement que dans ses traces. Bien des penseurs se rendent à cette « hypothèse » aujourd’hui, même s’ils ne peuvent pas lui donner un nom ni voir en elle la Personne qu’y voient ceux qui croient en Dieu.

 

Or, cette dualité d’intelligence non seulement ne fait pas de problèmes pour notre acte de foi, mais le facilite. La Genèse dit bien que Dieu créa l’homme « à son image. » (Gen. 1, 26). Dieu intelligent veut pouvoir collaborer avec une autre intelligence, celle du cosmos et celle de l’homme qui en viendra. Seulement, cette intelligence créée, pour être vraiment à l’image de celle de Dieu, devra se faire elle-même : Dieu n’a pas été fait ; l’homme doit donc se faire, lui aussi. Et il se construit, réellement.

Son intelligence s’amplifie du fait que l’univers qu’elle découvre s’amplifie lui aussi. Elle découvre de plus en plus nettement l’immensité, et sans la dominer, elle l’enserre progressivement . Et de ce fait, elle se découvre des capacités que les hommes du Moyen Age ne soupçonnaient pas. Elle croît. Elle se fait.

Nous dirons tout à l’heure que cette hypothèse d’une Intelligence qui se trouve au départ de l’existence, est la plus logique qui soit et la seule qui ne viole pas la grandeur de la nôtre.

 

2.Dieu avait-il le choix sur la manière, pour lui, de créer ?

 

Dans l’hypothèse où Dieu, en créant, aurait le choix du type de création qu’il doit faire, voici ce que nous pouvons comprendre. En sachant bien que nous avons le droit et la capacité au moins partielle, d’entrer dans le secret de Dieu.

Le droit ? Oui : il nous a voulus à son image, et cette décision est le fondement de notre droit.

La capacité ? Oui aussi, car si nous sommes à son image, nous sommes structurés sur son modèle propre et nous sommes donc en état, en nous regardant, de deviner comment « Il est ». La seule nuance, tout de même, et elle est de poids, c’est que ce qu’est Dieu, il l’est de façon absolue ; nous, nous ne le sommes que de manière progressive.

 

Donc, puisque Dieu est à la source de l’univers et de l’homme, on a assez couramment pensé qu’il nous avait construits lui-même. L’avantage évident de cette façon de concevoir l’acte créateur, c’est que, s’il en était ainsi, la création serait parfaite du premier coup. Parfaite, au sens étymologique, c’est-à-dire « faite jusqu’au bout » et réussie. C’est à peu près, en la lisant vite, la position qu’adopte le livre de la Genèse.

 

Objections :

 

. Dieu peut-il, tel qu’il est, fabriquer de l’être ? Peut-il construire un être qui ne soit pas sujet de lui-même ? Ce qui serait le cas d’un vivant totalement construit par lui. Si Dieu fabriquait ainsi, ce qu’il fabriquerait ne serait pas un sujet mais un objet. Et nous savons que le sujet, par opposition à l’objet, est responsable de ce qu’il est, tandis que l’objet, lui, ne l’est pas. Le seul responsable de l’objet c’est son auteur. Or, si Dieu a construit l’homme, cet homme n’est pas sujet de lui-même puisqu’il n’est pas responsable de ce qu’il est : il est objet de Dieu. Et Dieu est le sujet de l’homme.

 

Or, cela, Dieu ne peut pas le faire parce que cela n’entre pas dans sa manière d’être. Il ne sait pas ce qu’est une personne-objet. Cela ne relève ni de son expérience ni de sa connaissance. Il n’a pas pu s’y prendre ainsi pour créer. « Il ne sait pas faire », dirait-on, en langage trivial. Et donc, dans les perspectives que nous adoptons, la personne-objet ne peut pas exister.

 

. De plus, l’amour étant une relation, Dieu peut-il avoir des relations ? L’amour est une relation. Cette relation suppose l’existence simultanée de deux êtres, conscients d’être unique chacun et donc conscients chacun d’être autre que celui qui est en face, conscients aussi d’être de même « valeur », ou de même dignité, et capables de se donner l’un à l’autre.

Mais, donner, suppose qu’ils puissent aussi recevoir. Et pour qu’ils puissent recevoir, encore faut-il qu’ils aient besoin l’un de l’autre. Et que leur besoin soit essentiel à leur existence. Et que donc, ce qu’ils échangent contribue à les construire.

 

Donc, si l’homme était construit par Dieu, il ne pourrait rien apporter à Dieu que Dieu n’ait pas : Dieu l’ayant totalement fait, ce que l’homme aurait, Dieu l’aurait déjà. L’homme n’aurait alors rien à apporter à Dieu, et Dieu n’aurait pas besoin de l’homme. De ce type de création où il n’y aurait pas d’attente, et où Dieu pourrait se passer de l’homme, de cette création, Dieu n’est pas capable, puisqu’il est amour et que l’amour (le nôtre est à l’image de celui de Dieu) est relation de dépendance.

 

. Et aussi, l’amour supposant l’autonomie, Dieu peut-il faire des êtres autonomes ? Etre autonome, c’est être sujet de ses propres lois. Donc, si Dieu avait « fabriqué » l’homme, non seulement l’homme ne serait pas sujet, mais il ne serait pas non plus autonome. Et précisément, l’hypothèse de l’évolution nous aide à pressentir comment il semble s’y être pris pour donner cette autonomie.

Déjà, on le voit bien à ses traces, l’évolution elle-même était autonome. Elle a dû mettre au point elle-même ses propres lois à force de tâtonnements, d’échecs et de reprises. Et l’homme qui est né de ce système a immédiatement fonctionné selon ce même principe de base. Seulement, chez lui, cela a donné un sujet.

 

Finalement, nous sommes en train de dire que Dieu, en fait, n’avait pas le choix. Etant donné ce qu’il est, il ne pouvait faire que des sujets. Donc il ne pouvait vouloir que des êtres qui se fassent eux-mêmes. C’est bien le système dans lequel nous sommes.

 

Quand nous disons « qu’il ne pouvait faire autrement », nous ne lui imposons pas de limites. Nous proclamons tout simplement que, si limites il y a, elles lui viennent de sa propre constitution, et non pas de nos décisions. S’il n’avait pas été amour … Mais il est amour. Dieu merci !

 

3. Cela valait-il la peine ?

 

Ce système a une conséquence importante. Pour qu’il puisse se faire, le vivant doit être inachevé. Mais s’il est inachevé, il aura du mal à fonctionner, et parfois même, il échouera et devra se reprendre. Le résultat aura l’inconvénient d’être lent et douloureux, mais il aura l’avantage de faire du personnel. Le bâti sera un sujet. Il pourra donc se tenir face à Dieu et avoir une relation réelle avec lui et avec les autres vivants. Il sera bien à l’image de Dieu, comme la Genèse le disait. Il est bien fils de Dieu, comme Jésus l’a redit. Nous sommes dans la position adoptée par Teilhard.

Pourtant, il reste une énorme incertitude : cela valait-il la peine ? Car le poids de ce système est terriblement lourd. Et il est long à assumer.

La réponse que nous proposons comporte une double face.

 

. Un point d’évidence .

Ce « système » a déjà produit des résultats impressionnants. Payés cher, mais impressionnants. Il y a quelque chose plutôt que rien. Ce qui existe est cohérent, a passé les épreuves de l’évolution étalées sur quelques quinze milliards d’années et a tenu jusqu’aujourd’hui.

 

L’évolution de cet ensemble énorme, que l’on nomme le cosmos, manifeste de plus en plus d’intelligence et parvient à résoudre, comme il l’a toujours fait, tous les problèmes soulevés par son avancée. Les individus qui s’y meuvent ont goût à ce mouvement et en jouent le jeu. La souffrance ne les a pas arrêtés. Malgré tous les échecs, la vie continue. Le système a fait ses preuves. Il a prouvé au moins qu’il était fiable, qu’il donnait du vivant et du vivant qui aime vivre.

 

Cet ensemble de constatations irrécusables, est la première face de la réponse à la question. La peine du monde n’a pas arrêté la vie. Elle a laissé surgir de l’être, du beau, de la joie, de l’amour, de l’intelligence. La mort elle-même n’a pas découragé le vivant de donner la vie. On ne voit pas ce qui pourrait l’arrêter dans cette démarche de don.

 

 

 

 

. Un « acte de foi ».

 

Il reste un immense point d’interrogation : à quoi aboutiront cette infatigable mouvance vers la vie et ses victoires permanentes ? Ce que nous expérimentons comme « mort » : est-ce la fin définitive du mouvement ? Ou bien y-t-il un débouché sur autre chose que du provisoire ? Le définitif existe-t-il ?

 

L’Instinct intime du vivant, qui l’habite plus profond que le désespoir, a toujours répondu, même s’il est difficile de déchiffrer sa réponse, que la vie est définitive. Eternelle dit la quasi-totalité des religions.

 

En plus de la force de cet Instinct qui dépasse les clivages des civilisations et qui parle aussi dans ce que nous nommons la matière, la raison de l’homme penche vers l’éternité. Dans la mesure où comme on l’a dit plus haut, on constate qu’il y a de l’intelligence, il est difficile d’admettre que cette intelligence qui a pu inventer les moyens de la vie - et quels moyens ! - n’ait pas su l’inventer éternelle et ne se soit mobilisée que pour du provisoire.

 

Et puis, encore une fois, d’où tout cela vient-il ?

Nous sommes là au bord de l’acte de foi.

Foi en l’intelligence : c’est le cas de tous les vivants qui réfléchissent.

Foi en l’amour, c’est le cas des mêmes vivants.

Foi en Dieu, foi explicite pour beaucoup, même s’ils ne nomment pas Dieu de la même manière, et même si, parfois, ils en refusent les images offertes par les religions.

Foi implicite pour tous ceux qui aiment tant la vie qu’ils y croient.

 

Notre foi de chrétiens : « Dieu a tant aimé le monde. » Si l’amour est à la base et s’il est intelligent comme tout nous le dit, alors il doit assez aimer et être assez intelligent, pour avoir trouvé le moyen de permettre au vivant en construction de faire le passage entre le lieu de son stage, et le niveau où lui-même existe, au-delà du temps, et dans le jeu d’une vie éblouissante, à quoi l’évolution a préparé les vivants.

 

Comme de toutes façons il faut vivre, mieux vaut choisir à ce problème la solution qui nous aide le mieux à assumer cette vie.

 

Mais comme nous sommes intelligents, est-il possible de ne pas choisir l’intelligence ? L’intelligence nous dit qu’elle est inusable. Et que la vie allant croissant, elle ne peut pas ne pas aboutir, dans sa lancée, au summum sans fin vers quoi elle ne cesse d’avancer. Il y a bien un sommet à toute montagne.

 

En plus, s’il y a un Père et des Fils, comme nous l’a dit Jésus ...

 

Il me semble que la foi et l’intelligence, finalement, ne font qu’un. Coincés entre les deux, il ne nous reste plus qu’à espérer. Et à vivre.

                   Vous avez des commentaires à faire ou des questions? Vous pouvez aller à la rubrique "écrire" du menu principal.        

 

Retour