Retraite 2002. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
06 03 04 22 88
                                             

 

L'EUCHARISTIE



I . « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta Gloire. »( Prière eucharistique n° 3 )

« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. » ( st. Irénée )


1. Parler d’Eucharistie exige de voir l’homme sous son jour positif.

Surtout depuis le Jansénisme, la théologie chrétienne porte un regard négatif sur l’acte humain. Essayant de redresser ce regard, le christianisme contemporain se dégage peu à peu de l’idée selon laquelle l’homme aurait été tordu par le péché originel. (Retraite de l’an passé sur le « problème du mal. »)

L’Eglise ré-oriente sa vision. Elle rappelle que l’homme est d’abord « image de Dieu » (Gen. 1,26). Et que donc, sa définition n’est pas : « pécheur », mais : « image de Dieu ». Puisque l’homme est « image de Dieu », il doit être structuré selon la structure même de Dieu. Mais s’il est structuré comme Dieu, il doit aussi fonctionner comme lui. Il est donc capable de ce dont le Père est lui-même capable, avec tout de même, des nuances : nous y viendrons tout à l’heure. De plus, l’image de Dieu, parce qu’elle est l’image de l’éternel, ne peut pas se détériorer, même si elle se trouve dans l’homme. D’autant que l’image n’est pas une reproduction, comme une peinture dont les contours à la longue s’effaceraient, mais le résultat d’un lien permanent entre Dieu et l’homme. Comme l’image résultant d’une projection serait aussi durable que l’acte de la projection. D’ailleurs même après ce « péché originel », l’homme demeure capable de bien. La structure qui lui fait désirer le beau et le réaliser, joue toujours, même après des centaines de millénaires de fonctionnement.

C’est avant tout cette affirmation d’une certaine identité de structure, qui justifie notre position de départ. Parce que l’homme est structuré comme Dieu, on trouve forcément des traces de cette constitution dans sa façon d’agir. Or, la trace la plus certaine de cette similitude d’agencement entre la créature et le créateur, c’est bien que puisque l’acte créateur est efficace, l’homme qui en est le sommet, possède lui aussi l’efficacité.

Ce n’est donc pas parler de l’homme lui-même que de se borner à nommer ses échecs. Puisque ce n’est pas en cela qu’il est homme, parler de ses échecs revient à ne pas parler de lui. Il est homme parce qu’il est à l’image de Dieu. Je ne peux donc le suivre à la trace qu’en cherchant ce qu’il a construit.

Mais même dans cette perspective « optimiste », il reste deux façons de considérer la vie. On peut, tout en reconnaissant que l’homme travaille à se construire, mettre en relief les échecs ou souligner les réussites de cette construction. Durant cette retraite, nous choisissons d’analyser les réussites. Non pas pour nous cacher la réalité, mais au contraire pour la voir. Car l’échec est l’inverse de la réalité : il est ce qui est manqué. Or, ce qui est manqué est, par définition une absence, même si cela laisse des traces. Un manque est le vide laissé par ce qui manque. Ainsi une impatience est-elle un manque de patience. Pardon pour ces évidences : il fallait dire que délayer les échecs enfonce dans le vide. Qui soutiendrait qu’on puisse construire avec ce que l’on n’a pas ? Le réel ne peut pas être constitué par ce qui n’existe pas. Que faire avec des manques, sinon les combler ?

Mais justement, les définir comme des choses qu’il faudra remplacer, montre bien qu’ils ne sont pas appelés à durer. On ne vise, au mieux, qu’à leur substituer leur contraire : et le contraire d’un acte raté, c’est un acte réussi. Ce n’est donc pas à leur niveau qu’on trouve l’avenir : on ne construit pas une maison avec des briques dont la cuisson n’a pas marché. Et puisqu’en matière de construction, le manque ne tient pas, seul ce qui tient est utile.

Parce que nous parlons d’Eucharistie, et que précisément l’Eucharistie éternise le « travail des hommes et de la terre », seul ce qui tient nous intéresse. Les échecs ne sont évidemment pas concernés par l’éternisation à laquelle travaille l’Eucharistie, pour la raison simple que, s’ils ont des conséquences, ils n’ont pas de durée : personne ne se soucie de les mettre « sous cadre » pour les proposer à l’admiration des héritiers. Ils n’ont jamais intéressé personne. On regarde en avant. Or, les seuls trous qu’il puisse y avoir en avant, sur un chantier, ce sont des fondations. Seuls les effondrements sont derrière et aspirent d’eux-mêmes à disparaître.

D’où la logique de cette retraite et le thème de cette première rencontre : le travail de l’homme est valable et plaît à Dieu au point qu’il le consacre ou le sacrifie, ce qui revient au même. Consacrer, « sacrifier » gardons ces deux mots en mémoire, nous les retrouverons.


2. Ressemblance avec Dieu, et différences.

Entre le Père et nous il y a tout de même des différences. D’abord, alors que le Père est en totale possession de tout son être, l’homme, lui, est en voie de l’acquérir. C’est d’ailleurs sa grandeur : il n’est pas fabriqué par Dieu, mais il est chargé par Dieu de se construire lui-même. C’est dans cette progressivité de sa structuration que se situe la première différence entre Dieu et lui.
L’autre différence est que le Père ne doit son existence qu’à lui, tandis que l’homme la doit à Dieu. Finalement, on s’entend assez bien pour dire que les différences qui existent entre le Père et nous, ne sont pas de l’ordre de la capacité mais plutôt de l’ordre de l’intensité, et que pas mal d’entre elles viennent de ce que Dieu est hors du temps, tandis que nous, nous sommes dans le temps. Ce point pourrait peut-être aider à comprendre que Dieu soit en pleine possession de son être alors que nous, nous sommes en construction. La construction suppose le temps. Nous sommes capables de ce dont le Père est capable, mais pas au même degré ni dans les mêmes conditions que lui, actuellement, du moins.

Une autre particularité distingue l’homme et le Père. L’échec, qui prend tant de place dans notre souvenir, ne laisse probablement pas de trace dans la mémoire de Dieu. Dieu est essentiellement réaliste, ce qui veut dire que seul le réel existe pour lui. Seuls donc comptent à ses yeux de connaisseur, les actes que l’homme a posés et qui tiennent bon. Pour les autres, qui n’ont pas acquis de consistance, seul sera conservé le fait que l’homme a dû agir pour les camper et qu’il a pour cela fait jouer ses capacités, dont le fonctionnement a en lui-même assez de beauté pour être conservé tel quel. Même si le résultat n’est pas bon. Le regard de Dieu et son cœur sont assez fins pour être capables de discerner le résultat d’un acte et l’exercice de l’intelligence et de la volonté qu’il a fallu activer pour le produire. Si le résultat est mauvais, ce résultat ne tiendra pas, mais Dieu gardera pourtant au compte de l’auteur, le seul fonctionnement de ses facultés, étant entendu que l’échec aura dû être réparé, dans la mesure du possible.

3. Comment l’homme se construit-il ?

Simplement en agissant. Chaque fois qu’il s’emploie, il pose un acte. Où le pose-t-il ? En lui. Et ces poses successives le construisent, comme un maçon construit un mur en disposant ses pierres. Ou comme un muscle se renforce chaque fois qu’il fonctionne. De même, chaque fois que nous sommes appelés à décider et à réaliser un acte, chaque fois, nous nous faisons croître. Pour le dire autrement, chacun de mes agissements devient moi. Il n’est pas nécessaire qu’il soit éblouissant : il suffit que je l’aie voulu. Et que je l’aie fait. Même si personne ne l’a vu et même s’il n’a consisté qu’à penser, il est moi. J’ai grandi de sa dimension. Et si un frère m’a aidé, mon frère a grandi de m’avoir soutenu. C’est ainsi que nous sommes « créateurs » de notre personne, et, en partie co-créateurs de nos frères. Rien ne se perd. Le négatif lui-même ne se perd pas : il retourne simplement au néant d’où il n’était ni nécessaire ni efficace que je l’aie tiré.

Bien sûr, l’homme est inachevé et donc les instruments avec lesquels il « fabrique » ses actes, inachevés eux aussi, sont parfois partiellement inaptes au service que l’on attend d’eux. De ce fait, les actions qu’ils mettront au point se ressentiront des faiblesses avec lesquelles elles auront été conçues. Le christianisme, à la suite de la Bible, a pris l’habitude de nommer ces échecs systématiquement des péchés. Il laisse entendre par là qu’à chaque coup, Dieu est froissé. Il est vrai que Dieu est touché par nos échecs. Mais il l’est parce que nous le sommes nous-mêmes et parce qu’il est notre Père. Il n’est jamais vexé parce qu’il sait bien que notre ratage ne le visait pas. Il n’est pas vexé, mais il peine avec nous. Il peine parce que l’acte posé est plus ou moins inutilisable et qu’il faudra le reprendre et qu’une part de ce à quoi nous nous sommes donné, ne tiendra pas. Dieu ne le méprisant pas mais l’entourant de sa compréhension et de sa tendresse, l’homme aura toujours la force de reprendre pour finalement réussir.

Si donc nous sommes à ce point semblables à Dieu, notre action est d’abord belle, comme une action du Père, aux nuances près dont nous venons de dire un mot. En tout cas, telle qu’elle est, la construction humaine a du prix aux yeux de Dieu, et une fois décapée des débris inutilisables, elle mérite le traitement de l’Eucharistie.

La liturgie revitalisée par le Concile Vatican II, dit, désormais, dans la 3ème préface du Temps ordinaire « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta Gloire. »( Prière eucharistique n° 3 ). Saint Irénée ne disait-il pas déjà, au 3ème siècle de notre ère, que « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. » ? L’homme vivant est l’homme qui se construit et qui construit un monde. C’est cette construction dont l’Eucharistie fait une « offrande éternelle ». Eternelle ! Eternelle, l’œuvre de l’homme. Comme celle de Dieu. Et pour les mêmes raisons.

 

 


        Vous avez des commentaires à faire ou des questions ? Vous pouvez aller à la rubrique « Ecrire » du menu principal.

 

Retour