Retraite 2002. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10 Avec le P. Collas
L'EUCHARISTIE
II . « Rassembler du milieu
des hommes un peuple saint qui tappartienne ».
Lhomme dailleurs ne sy est pas trompé. 1. Lhomme désire conserver aussi définitivement que possible le résultat positif de son activité. Bien sûr, il est marqué par la vision pessimiste quil a de lui et de son travail. Et les marques de son scepticisme noircissent les bilans quil fait de sa vie quotidienne. Et pourtant il est hanté par le désir de conserver ce quil a fait. Tandis quil se critique, il tente tout de même de faire durer aussi longtemps quil le peut lessentiel de ce quil a construit. Il se défend de tenir à la vie, mais sa peur de la mort est le signe que, plus que tout, il veut durer, et quil nest pas fait pour mourir ni pour quitter ses nids. Tout lui dit quil mourra. Lui-même pense souvent à la mort bien quil veuille loublier. Mais il est tiraillé, broyé souvent entre cette peur qui le tenaille et sa volonté de vivre sans arrêt. Lidée lhabite que la mort nest pas la fin, alors que son quotidien lui assène douloureusement lexpérience opposée. Mais quelques expériences de mort quil fasse, il reste attaché à la prescience quil nest pas fait pour la mort. Prescience que rien, apparemment ne justifie, mais qui sobstine. Lhomme mortel nadmet pas sa mortalité. Depuis quil peuple la terre et quil nen finit pas de mourir, il nen finit pas non plus de poursuivre un étrange dialogue avec ceux dont il dit quils sont morts et dont tout, pourtant, dans son inconscient lui dit quils lécoutent toujours. Lidée quune fin puisse se substituer à ce quil fait, lui est insupportable. Doù les tactiques mises au point par toutes les religions et les philosophies de lhistoire, pour légitimer lidée dune durée sans fin dau moins quelque chose de ce que lhomme a été. Même dans les défis de lincroyance, on devine le fondement dattente qui renie, sans pour autant sen rendre compte, les proclamations désenchantées quelle fait. Même ceux qui professent quil ny a aucun avenir après la mort, reconnaissent être comme nimporte qui, possédés irrémédiablement par linstinct de conservation. Quelques arguments quils y opposent afin de sauvegarder la logique de leur désespérance, aucun ne le nie. Comment expliquer quils soient pareillement inféodés à cet instinct ? Comment expliquer que cet instinct prenne, même chez eux, le pas sur leur raison ? Que même ceux qui nient cette croyance, soient prêts à se raccrocher à nimporte quel argument, même fragile ou illusoire, plutôt quà la nier ? Une croyance ? Comment nommer la chose autrement ? Comment expliquer quils travaillent avec acharnement à prolonger une vie au-delà de toute mesure raisonnable, alors quils professent quelle ne peut pas durer ? Comment expliquer, encore, quils soient prêts, pris de panique, à piétiner un voisin, peut-être même un ami, pour se sauver ? Il nest peut-être pas jusquau suicide des psychologues contemporains ne nous disent-ils pas quil nest possible que parce que celui qui sy livre ne croit pas à la mort ? 2. Le « sens » de léternité est inné et fondateur dans lhomme. Lhomme veut donc durer, comme si au fond de lui-même logeait la certitude quil nest pas fait pour mourir. Le fond de sa vie, sans quil en ait toujours conscience, semble bâti sur le besoin de vivre et de ne pas mourir. Il pressent, dans son inconscient, que cette durée ne tolère pas lidée dune disparition absolue. Pourrait-on dire que nous portons inconsciemment en nous la notion déternité ? Pourrait-on dire aussi que cette notion ne nous vient daucune religion, mais quau contraire les religions lui doivent dexister ? Certaines religions, dailleurs, ont eu une foi étonnamment pauvre en cette éternité. Même le judaïsme, qui a été long avant dadmettre clairement léternité, et du temps même du Christ tergiversait encore. On le sent pris entre cette présence dans son inconscient de lidée quune vie ne peut pas finir, et le mal quil a à se représenter ce que pourrait bien être une vie hors des conditions terrestres. Sa notion du « schéol », inconséquente conception dune vie qui nen est pas une et que lon assimile tant bien que mal à une espèce de sommeil larvaire, nest-elle pas, en négatif, une impuissante et émouvante profession de foi en léternité ? Les Grecs et les Egyptiens, héritiers dautres civilisations, paraissent avoir pressenti plus clairement et plus tôt, que la vie ne pouvait pas finir et quau-delà des apparences, elle se poursuivait. Les tombeaux égyptiens des grands de leur monde, montrent quon se souciait daider ces grands à subsister, par-delà les signes « cliniques » dirait-on aujourdhui, de leur mort. Les chrétiens ont tout de suite su que Dieu, lui aussi, désirait que lhumain soit éternellement conservé. Témoin, cette parole de Jésus : « Père, glorifie ton fils afin que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. » (Jean, 17, 2) La vie éternelle, cest la vie même de Dieu. Une vie au-delà du temps qui nest pas affectée par la durée et qui donc na pas de fin. Un type de vie dont étrangement nous avons la notion, alors que pourtant, aucun vivant ne la jamais expérimenté durant son passage sur la terre. Doù nous vient cette idée qui ne relève pas de notre expérience ? Doù sinon de cette « image de Dieu » que nous portons au fond inconscient de nous-même, et qui comporte entre autres ressemblances avec Dieu, la certitude de léternité ? Nous sentons cette proposition dautant plus légitime quelle ne concerne pas seulement les chrétiens ni les tenants de quelquautre religion. Même ceux qui refusent Dieu ou qui pensent, au mieux, nen avoir pas besoin, sont, comme les croyants, habités et possédés, par cette assurance. Une assurance inconsciente, certes, mais tenace puisquelle est une des notions de base de toute culture. Au point même que les anthropologues ne disposent pas de meilleur témoin, pour juger de larrivée de lhomme dans lHistoire, que lapparition des sépultures, signes dune croyance en la persistance par-delà la mort, de la relation antérieure à la mort. 3. Dans ces conditions, les chrétiens sont-ils un peuple saint « rassemblé du milieu des hommes » ? On admet aujourdhui assez couramment que les « fidèles » du christianisme, du Judaïsme ou de lIslam ne sont pas seuls à croire instinctivement à léternité. Les constatations que nous venons de faire concernent en effet tous les humains. Et le fait de nier ce besoin déternité ne suffit pas à établir quil nexiste pas. Ni quon ny croie pas. Et moins encore que lon ne voudrait pas y croire. En effet, il faudrait sentendre sur ce que lon met sous
ce refus. Il faudrait réaliser que chez beaucoup de ceux qui
nient, la confusion risque bien de sêtre faite entre le
sens de léternité et le crédit accordé
à la religion qui en parle. Pas mal de ceux qui nient léternité
sont aussi de ceux qui refusent les « Eglises » qui sen
font les chantres, parce que leur langage ou leurs attitudes ne concordent
pas avec leur message. Par exemple, comment admettre la notion déternité
lorsque ceux qui la défendent en excluent dautorité
tout un pan de lhumanité sous le prétexte de péchés
irrémissibles auquel ce « pan dhumanité
», justement, ne comprend rien ? Quest une éternité
qui sera pour les uns toute de bonheur et pour les autres, toute de
malheur, alors que personne na rien demandé et surtout
pas à vivre, et quil aura fallu, pour mériter
ce bonheur, pratiquer des obligations et éviter des interdictions
dont on naura pas toujours compris le sens et qui auront parfois
semblé nier lhumain ? Que des hommes refusent en bloc
une notion déternité et les Eglises qui en parlent,
ne veut pas obligatoirement dire que ces hommes nespèrent
pas que la vie soit plus intelligente et plus miséricordieuse
que nos Institutions, et quà cette condition, il vaille
certainement la peine quelle existe. Je trouve dramatique que
certains parmi nous aient été contraints de refuser
Dieu et son Eternité, parce que des médiateurs de cette
bonne nouvelle se la sont appropriée ou lon défigurée.
Il faudra bien que nous entendions dans ce refus de lEternité
un chant à lEternel. Il vaudrait mieux dire, sous cette formule de la prière eucharistique,
quil sagit de « rassembler les hommes en un peuple
saint qui lui appartienne ». Non, les chrétiens ne sont pas un peuple saint au milieu dune humanité qui ne le serait pas. Ils sont simplement un des points de rassemblement, chargé de laisser déborder leur tendresse et leur respect, pour que les autres frères qui cherchent aussi, soient alléchés par leurs communautés et viennent voir comme (normalement ) il y fait bon vivre. En réalité, cest toute lhumanité qui se rassemble, aimantée par lamour et poussée par le besoin dêtre éternisée. Souvent les chrétiens sont seuls à sassembler aux bords du mystère quentrouvre la célébration de la messe. Souvent ils se croient seuls à se pencher au bord du mystère, vers le Père en train de diviniser la vie. Mais sils se penchent assez, ils peuvent deviner que lhumanité entière est là et que le Père lui sourit en rendant irréversible ce quelle a déjà fait. Et quil y sera demain, même si aucune messe nest célébrée. Quil y est aussi longtemps que les hommes, tous les hommes, ont à se faire, et quil y est pour rassasier leur désir inconscient déternité. Cest à eux tous quau travers des chrétiens sadresse cette parole de Jésus : « Je suis avec vous tous les jours jusquà la fin des temps. » (Mt. 28, 20) Tout à lheure, nous parlions dun « Instinct
» pour tenter dexpliquer ce pressentiment inné
qui nous habite, de léternité de notre vie. Pourquoi
ne pas aller jusquà dire quen fait, la vie que
nous vivons est déjà, en réalité, éternelle.
Et que cest pour cela quinstinctivement lhomme nadmet
pas la mort. Si nous parlons déternité cest
parce que nous nous y trouvons en plein, et que donc nous lexpérimentons.
Plus profond que les apparences.
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