Retraite 2002. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
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L'EUCHARISTIE

 

IV . " Fruit de la terre et du travail de l'homme. "

On comprend que le Père ne fait pas ce geste maintenant seulement au moment où nous lui apportons (offertoire) une matière sur laquelle il puisse l'exercer. Il le fait parce que cette matière sur laquelle il se penche, est " le fruit de la terre et du travail des hommes " et qu'elle est produite sans cesse par notre vie. En réalité, il le fait depuis le premier instant où la vie est apparue et où donc elle a commencé à produire du vivant, et il le fera sans fin désormais, puisque sans fin, de la vie et du vivant s'offriront à lui.

1. Le Père voit mieux que nous la valeur de nos actes.

Pour ceux qui participent à la messe, tout ce que nous venons de dire semble se résumer dans l'hostie et se passer autour d'elle. Cela est vrai, en ce qui concerne l'hostie elle-même. Mais en fait, l'hostie au moment où nous l'apportons, n'est qu'un symbole et la réalité qu'elle symbolise dépasse largement le morceau de pain que voient les participants. C'est le moment de reprendre ce que nous avons dit au cours de la première rencontre.

Nous disions la valeur de ce que nous vivons. En fait, il s'agit de la valeur de ce que nous construisons, puisque vivre c'est se construire. Mais nous savons bien que la joie d'avoir bien fait, ou la déception d'avoir échoué, se changent habituellement plus ou moins vite en oubli. Quel souvenir gardons-nous de ce que nous avons fait dans notre berceau le premier jour où nous nous y sommes trouvé ? Ou le 19 août, quand nous avions douze ans ? Ou même avant-hier, à 17 heures ? Bien sûr, si la chose a été difficile, nous risquons d'en garder le souvenir, cuisant ou heureux, plus longtemps. Mais tout finit par disparaître, ou par se confondre.

Et pourtant, au moment où nous l'avons vécue, la " chose " nous paraissait devoir rester gravée, douloureusement ou pour notre joie, dans notre souvenir. Or, elle a passé, aucun livre de compte n'étant capable de tout recenser du détail des existences de tous les vivants. Que nous ayons oublié l'échec, passe encore : il n'était pas fait pour durer. Mais que nous risquions d'oublier ce qui nous a grandi … et pourtant cela aussi est sujet à l'oubli. Tant de choses que nous aurions voulu conserver ! Où sont-elles ?

C'est à ce désir de les revoir que Dieu répond, d'autant plus, nous l'avons dit à la première rencontre, que ce désir est aussi le sien. Dieu, en effet, est mieux placé que nous pour apprécier à sa réelle valeur ce que nous construisons. Nous sommes si souvent sceptiques ; et lorsque nous sommes heureux, nous craignons d'être vaniteux. Or quelle que soit notre réaction consciente, il reste au fond de notre Instinct le souhait que, pourtant, ce qui est sorti de notre intelligence et de nos mains, ne disparaisse plus. Même quand nous doutons de nous, nous devinons bien que cela a du prix. Notre sens de la vie sait instinctivement que vivre, c'est grand. Ce n'est pas obligatoirement grand selon les critères de telle ou telle civilisation. Mais c'est grand en soi parce que c'est produit par un homme. Et plus, par un fils de Dieu. Même ceux qui n'ont pas la foi croient en ce prix. Mais à plus forte raison ceux qui savent que l'homme est à l'image de Dieu savent-ils que l'acte qu'ils soupèsent n'était pas, voici un instant, et a maintenant l'existence. Et que le seul fait d'exister, vaut de durer, car un homme libre ne peut pas s'investir dans un acte, sans ennoblir l'acte qu'il a posé. Et c'est pour stabiliser cette noblesse qu'il recourt à Dieu.

Si donc nous venons à la célébration, c'est pour essayer de constater que tout a déjà été conservé et nous entendre dire que tout est si bien conservé que c'est éternel, hors de tout risque de disparition ou d'usure.


2. Rien ne lui échappe de ce que l'univers construit.

Nous verrons plus loin comment, sans doute, Dieu s'y prend pour éterniser nos " biens ". Ici, nous dirons seulement que rien de notre bien, de notre être en fait, ne peut échapper au cœur du Père.

D'abord parce qu'il l'a vu au moment même où cela était inventé. Son regard ne nous surveille pas, il nous admire. Bien sûr, il voit l'échec. Mais ce n'est pas cela qu'il voit d'abord. Il voit d'abord ce qui précède. Ce qui précède le résultat d'un acte, c'est le jeu de l'intelligence qui le pense et qui combine les moyens de le réaliser ; et puis le jeu de la volonté qui donne corps à ce que l'intelligence a pensé. Et ce travail, dont nous savons bien, tout de même, le prix, le Père le voit et le pèse à sa juste valeur. Quant à l'échec, il le connaît aussi mais il sait qu'il n'a pas de poids et n'a donc aucune chance d'être conservé : il n'a pas en soi les qualités qui lui permettraient de supporter l'acte par lequel, lui, le Père, va faire passer dans l'éternité ce qui vient d'être fait dans le temps. Le Père n'attarde donc son regard que sur ce qui est réussi, laissant à l'homme le soin de réparer lui-même ce qu'il a manqué. Son amour du " travail bien fait " est tel, qu'il prend en mains et sans attendre, celui que l'homme vient d'accomplir.

Mais pour qu'il puisse effectuer sur " ce fruit de la terre et du travail des hommes " le traitement de l'Eucharistie, il lui reste à obtenir l'acquiescement " de la terre et de l'homme. " Or, cet acquiescement est acquis d'avance. Avant la moindre de ses actions, l'homme qui va agir n'agit pas pour que ce qu'il va faire soit détruit. Sans discussion antérieure avec lui-même, l'homme veut que son acte soit traité de sorte qu'il tienne. Et le cosmos lui-même qui ne sait pas qu'il veut, veut tout de même, par le seul fait qu'il est. Et qu'il est beau, malgré son inachèvement.

Pourtant, du côté de l'homme, il doit y avoir aussi l'expression explicite de cet accord. Bien sûr, seuls ceux qui savent, ceux " qui ont la foi ", peuvent apporter ce oui. Ils le font, en venant à la messe. Et c'est à l'offertoire que, normalement, ils l'expriment. Les chrétiens savent, plus clairement désormais, que ce n'est pas seulement pour la consécration de leur travail à eux qu'ils viennent dire oui. Ils se savent liés aux vivants contemporains et des autres temps, et c'est aussi en leur nom qu'ils sont là. On leur dit assez aujourd'hui que, d'une certaine manière, ils sont prêtres, eux aussi, pour ceux qui ne savent pas et qui ne sont pas physiquement là. Leur travail est lié, comme les fils d'un tissu, au travail de tous les autres hommes, et aussi au travail de la nature et à la fidélité du cosmos. Ce qui fait que même s'ils ne le savaient pas ou s'ils n'y pensent plus, le seul fait d'être là, devant l'hostie, tire avec eux tous les fils auxquels ils sont attachés. Dans leur oui, chante l'immense attente de la création désireuse de n'avoir pas dit oui inutilement à l'ordre du créateur qui leur indique sans cesse " de croître et de multiplier ".

La Communion des saints. La communion des vivants. C'est là qu'elle joue le plus fort. Les hommes qui n'ont pas la foi n'en désirent pas moins que leur vie réussisse et qu'elle tienne. Ne sachant pas, ou pas clairement, que cela est justement en train de se faire, ils ne peuvent donner explicitement leur accord. C'est pourquoi des frères qui eux, savent, viennent en leur propre nom et au nom de ces frères, dire le oui que le Père sait mais qui doit être dit.

3. Plus qu'un accord, un ébahissement.

En réalité, c'est plus qu'un simple accord qu'ils viennent dire. Quand ils arrivent, le travail est déjà fait pour ce qui vient d'être vécu et se continue pour ce qui est en train de se faire. Et c'est l'éblouissement de deviner que tout cet insondable désir le plus fondamental qui soit, est déjà exaucé, qui fait le comble de leur joie. En même temps qu'ils veulent, ils se savent exaucés. Bien sûr, ils ne voient rien, que l'hostie, et le prêtre qui refait mémoire de la Cène, et les frères qui sont avec eux. Mais ils ne sont pas conviés seulement pour dire oui ou pour dire " que c'est beau ! " Ils vont pouvoir, en se penchant au bord du mystère que la célébration liturgique entrouvre pour eux, pressentir que plus le monde vit, plus il est sauvé. Sauvé du mal, qui aurait été de ne pas exister ou qui serait de ne pas tenir dans l'existence. C'est leur espérance de vivre à jamais, qui est sauvée. Qu'ils regardent bien, de toute leur foi, dans l'entrebâillement de la Consécration : le provisoire est imbibé d'éternité. Le ressourcement de leur espérance et aussi ressourcement de leur goût de vivre. Ressourcement pour eux qui sont là, mais aussi pour tous ceux que la " Communion des saints " assemble mystérieusement autour d'eux.

En fait, ils n'ont sans doute même pas besoin d'apporter ce qu'ils ont vécu : c'est déjà dans les mains de Dieu. Il suffit d'exister, pour être dans les mains de Dieu. Et il suffit de bâtir du positif pour que cela devienne de l'éternel, sous la pression de Dieu. Mais le Père a tout de même besoin que cette autorisation d'éterniser, tacite chez tous les vivants, soit explicitée librement, au moins par quelques-uns qui ont la chance de savoir.

L'offertoire : un apport ? un acquiescement ? Sans doute. Mais plus encore, un ébahissement de voir comment le fragile devient éternel. Des mains tendues. Sans doute. Mais plus encore des mains qui applaudissent. Oui, l'offertoire n'est pas à strictement parler une offrande, mais plutôt un applaudissement, au nom de l'univers.

 

 


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