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L'EUCHARISTIE



V . « Ceci est mon corps. »

En quoi consiste le geste exercé par Dieu sur l’acte humain au moment central de l’Eucharistie ?

Je vous propose deux étapes pour approcher, autant que nous le pouvons, la réalité de la consécration, puisque c’est de ce moment de l’Eucharistie dont il s’agit ici.

- D’abord, nous allons tenter de dire comment l’Eucharistie est, en fait, un moment de l’acte créateur lui-même.

- Ensuite, nous essayerons d’expliquer comment, dans la théologie que nous suivons ici, on conçoit ce qui se passe, sans doute, à ce moment qu’en liturgie chrétienne on nomme la consécration.

Ne vous laissez pas agacer par ces verbes : « essayer, tenter » qui sont souvent utilisés ici. Il n’expriment pas un manque de foi, vous pouvez en être sûr, mais la conscience que nous avons de ce que nos mots, si hardis soient-ils, sont tout de même courts pour approcher ce geste de Dieu et de l’homme. Une chose est sûre, mais est-il besoin de l’affirmer : approcher ces « choses de Dieu » exige de l’audace et de l’humilité. Mais certainement pas de crainte : c’est du Père et de ses enfants et du travail qu’ils font en commun, dont nous parlons. Si jamais nous « dérapions », le Père verrait bien que ce serait par amour et par besoin de comprendre, que nous serions allés jusque là. Et il sourirait avec tendresse pour nous aider à repartir et à aller plus loin encore : la route est infinie, mais la curiosité des fils tâtonnant vers lui, l’est aussi, désormais.

1. L’Eucharistie est un moment de l’acte créateur.

Pour nous mettre sur la voie de ce titre énigmatique, je vous propose une parabole. Je me souviens d’un article de presse relatant qu’une ville, du Japon, je crois, qui ne disposait pas d’un espace suffisant pour construire l’aéroport que sa croissance exigeait, décida de le construire sur la mer. Dieu et l’humain sont un peu dans la même situation.

D’après ce que nous avons compris des deux Testaments, Dieu ne peut supporter d’être « Trois et seul ». Parce qu’il est amour, il veut partager son être avec d’autres êtres. Mais en dehors de lui, il n’y a rien. Il doit donc créer. Or, construire sur « rien » est certainement encore plus complexe que de construire sur la mer, car la mer, ce n’est pas rien. Ce « rien » auquel Dieu se trouve affronté, jadis les philosophes le nommaient : « néant ». Aujourd’hui, ils préfèrent parler de « rien créable ». Entendez par « rien créable » ce qui n’existe pas mais qui est disponible à l’existence sans pour autant être quoi que ce soit. C’est plus positif, mais pas beaucoup plus clair.

De quelque manière qu’on le dise, nous voilà devant le désir de Dieu de faire du vivant. Désir tellement puissant que le seul fait que Dieu le conçoive provoque aussitôt, en face de lui, quelque chose comme un écho : le désir de Dieu provoque dans le rien créable comme un écho, et un désir d’exister se met à frémir dans ce qui n’existe pas encore. Dans la chaleur de l’amour, ce frisson ondule entre le désir d’exister et la difficulté à être ; d’ondes en ondes, il donne naissance à un mouvement qui, en se complexifiant aboutit à produire son sommet actuel d’existence qu’aujourd’hui nous nommons l’homme.

Dès qu’il a conscience d’exister, l’homme découvre au fond de lui cet écho qui vient de loin mais qui prend racine en lui ; sans bien le savoir, il épouse ce désir séculaire et se surprend donc à vouloir non plus exister, puisqu’il est vivant, mais que sa vie soit durable. Désormais, le désir inconscient d’exister qui anime l’évolution et qui est l’écho du désir de Dieu, s’installe dans le cœur de l’homme et peut parvenir à être conscient. Les deux désirs se rejoignent et l’homme et Dieu se retrouvent pour construire de l’être et un monde qui soient du même type que Dieu : « A l’image de Dieu», dit la Genèse.

En réalité, que le créé soit du même type que Dieu, n’a en soi rien d’extraordinaire puisque, quand Dieu crée quelqu’un d’autre que lui, il n’y a pas d’autre vivant que lui et donc pas d’autre type à proposer que le sien. Personne, en tout cas, n’échappe à ce désir instinctif que tout ce que l’on vit et ce que l’on construit de positif soit conservé, et, si possible à jamais.

Nous pressentons bien que ce désir ne peut être en nous que parce qu’il a été conçu avant nous et ailleurs qu’en nous, et qu’il a été conçu pour être exaucé. Si nous désirons tant voir la beauté, c’est qu’elle existe. Si nous voulons tant être heureux, c’est que le bonheur est possible. Il n’est pas dans l’homme de grand désir qui n’y soit pour être réalisé.

En résumé, les chrétiens pensent que le désir qu’a l’homme de voir durer longtemps, très longtemps, toujours, si possible, ce qu’il édifie, doit être exaucé. Ils pensent que ce désir a pour source le désir du Père lui-même, qui veut faire partager son bonheur d’être Dieu. Mais, autour de Dieu, il n’y a rien. Dieu veut donc voir ce vide disponible, changé en vivant capable de goûter la vie. Sa volonté est tellement forte qu’elle est créatrice. Ne dit-on pas de certains que s’il le veulent, il l’auront ?

Ainsi, puisque le vivant s’accroît chaque fois qu’il réalise un acte, chaque fois, il prend la place du vide. Comme les « pelletées » de terre ou de roche prenaient la place de l’eau dans la construction dont nous parlions tout à l’heure. Comme si le « vide » était convié à changer de statut. Il est en tout cas progressivement muté en vivants, et sa frigidité fondamentale est remplacée par l’amour. Car aussi longtemps que Dieu appelle, du fils « prend corps ». Le rien créable cède la place à l’amour. Et quand ils prennent le temps d’aller au bout de leur foi, les chrétiens, encore, disent que c’est l’Eucharistie qui exauce ce désir, et sans doute au-delà de ce que ce désir peut espérer.

En quoi, donc, l’Eucharistie est-elle un moment de l’acte créateur ? En ceci : l’acte créateur parvient à faire exister du vivant, et c’est le premier moment de la création. Mais il ne suffit pas que le vivant apparaisse : encore faut-il qu’il soit aussitôt stabilisé définitivement de sorte qu’il soit aussi éternel que l’est le Dieu qui l’appelle à vivre. Et c’est l’Eucharistie qui effectue cette éternisation du vivant. Le Père, comme les bâtisseurs dont nous parlions tout à l’heure, consolide de façon définitive le vivant que les hommes édifient, et le place aussitôt dans son territoire, (si l’on peut dire) avec une joie et des soins plus minutieux encore que ceux des constructeurs japonais. Et sans doute ne perd-il pas un instant pour « placer » ce travail de ses enfants. Le temps simplement (on nomme cela le pardon) d’épousseter ce qu’ils ont fait sur leur chantier. Et aussitôt il insère cet accroissement de vie à sa place définitive. Et il voit avec joie grandir dans l’aire infinie de son intimité, l’espace où des enfants sans cesse neufs, se mettent à vivre, gourmands de ne plus vivre que d’amour.

Pourquoi le nom d’Eucharistie ? Parce, sans doute, quand les hommes peuvent entrouvrir les bords du mystère en célébrant la messe, ils aperçoivent ce travail ininterrompu depuis que la vie existe, et, émerveillés, ils rendent grâce.

2. C’est parce que le vivant est compatible avec le divin qu’il peut être divinisé.

L’Eucharistie est en effet, le second temps de l’acte créateur dans la mesure où c’est ce geste-là du Père, qui fixe dans l’état éternel le vivant qui vient d’arriver dans l’être. Il l’y fixe en lui faisant prendre corps dans le Fils. C’est que le Fils est lui-même de toute éternité dans cet état. Et donc, permettre au créé de faire corps avec le Christ c’est aussi lui permettre de prendre pied dans l’éternité. Prendre pied dans l’éternité est l’autre façon de dire « diviniser ». Ou de dire (pour curieux que cela paraisse) : « sacrifier ».

Sacrifier, en effet, en termes religieux, ne veut pas dire ce que l’on entend en général. On pense que ce qui est sacrifié est détruit ou perdu. Et sans retour. Alors qu’il s’agit d’une éternisation. Nous avons là un étonnant détournement de sens. L’histoire, du Premier Testament mais aussi des religions païennes, explique ce glissement. Les païens mettaient à mort ce qu’ils voulaient offrir à leurs dieux, parfois même des enfants. Les hébreux offraient eux aussi à Dieu, mais des récoltes ou des animaux, jamais d’être humains, pour se faire pardonner ou pour attirer ses bonnes grâces. Dans l’intention et dans les actes, il s’agissait bien de destruction et de privation définitives. Alors que Dieu entendait conserver à jamais les dons qu’on lui faisait pour que ceux qui les avaient faits, puissent un jour les retrouver, constituant leur densité personnelle, et divinisés. Contre-sens donc, qui s’explique par des dérapages de l’histoire, mais qui n’a rien à voir avec l’étymologie : sacrifier signifie « rendre sacré » ou faire « passer du côté de Dieu ». Est sacré ce qui se situe dans le domaine de Dieu.

Dans ces conditions, ce qui est sacrifié est donc par définition sauvé de toute destruction. Puisque cela se trouve placé du côté de Dieu, cela tient de Dieu et tient donc comme Dieu lui-même. Ce qui est sacrifié est rendu éternel. Du côté de Dieu se trouve la stabilité et l’équilibre absolus. S’y trouve, de naissance, si j’ose dire, la divinité elle-même. Mais y parvient, de naissance aussi, tout ce qui naît et dans la mesure où cela se trouve compatible avec le climat divin. Je n’ai pas besoin d’insister beaucoup pour que vous puissiez admettre que tout ce qui est humain, au grand sens du terme est en état de passer du côté de Dieu.

Le second temps de l’acte créateur consiste donc à aller jusqu’au bout de la logique de l’amour : prendre dans ses bras et embrasser. Le geste le plus clair, sans doute, pour exprimer le sacrifice est le baiser : Dieu prend dans ses bras pour l’embrasser et l’admirer, ce que l’homme lui porte et il le place « de son côté » pour qu’il possède définitivement les qualités d’être qui font sa force et sa joie de Dieu. Dès qu’on est « embrassable », on passe du côté de Dieu, puisqu’on est sacrifié. Et on y reste à jamais, on est divinisé.


3. Comment le vivant prend-il corps ?

Ou, si vous aimez mieux, comment est-il sacrifié, consacré ? Comment enfin est-il divinisé ? Pour réaliser cet éternel projet du Père, comment le Fils s’y prend-il ?

Ce que je vais dire ne peut être compris qu’à condition qu’on se souvienne que la réalité dont je vais parler n’est pas en fait réduite au temps de la Messe, mais qu’elle est éternelle et co-extensive à la vie créée. La messe, et le moment de la consécration, ne sont qu’une « prise de vue » momentanée sur l’acte éternel du Père.

Sur l’hostie, donc, symbole de tout le positif construit par l’homme (les hommes) et par la terre (le cosmos), le célébrant, entouré de tous les volontaires réunis ce jour en communauté autour de lui, prononce les paroles mêmes du Christ le soir du Jeudi saint : « Ceci est mon corps. » Aujourd’hui, où l’on goûte le langage concret, on pourrait dire : ce que vous m’apportez est compatible avec moi. La compatibilité de l’humain et du divin. L’homme à l’image de Dieu. (Attention, vous avez lu compatibilité et non pas comptabilité. Pardon pour la trivialité de cette remarque.)
Que le pain que l'on pourra toucher et prendre, ait pu devenir le Fils de Dieu, est la preuve que le passage de l'humain au divin est possible. Et c'est le Père lui-même qui vous démontre « que cela marche ». Vous êtes invités à venir pour assister à votre divinisation : vous pourriez douter que cette manoeuvre réussisse : elle vous paraît tellement étonnante. Pour vous prouver que vous êtes divinisables, je fais, dit le Père, la manoeuvre en sens inverse : je ne fais pas du divin avec de l'humain, mais je fais de l'humain à partir du divin. De mon Fils qui est Dieu, je fais un homme. Vous pouvez constater que la compatibilité dont vous parliez tout à l'heure, n'est pas un rêve. Et vous pouvez repartir en vous disant que Celui qui peut faire passer un vivant divin à l'état de vivant humain, a tout autant le pouvoir inverse d'amener un vivant humain à l'état de vivant divin.
Ce que le Père fait sans cesse pour vous, aujourd'hui, au cours de la Messe, il le fait, en sens inverse, pour son Fils. Et ainsi, l'humanisation de son Fils prouve que votre divinisation est possible. Quand le Christ par la bouche du célébrant dit « Ceci est mon corps », la preuve est faite que si lui peut devenir homme, vous pouvez devenir dieu.


L’utilisation du mot « corps » qui est faite ici, peut s’entendre ici au sens où l’on dit de deux intimes qu’ils font corps. Au moment de la consécration, cela doit vouloir dire que ce que nous bâtissons et qui est devenu nous-même, est tellement beau et tellement au point, et, en définitive, tellement compatible avec le divin, que cela fait corps avec la beauté du Fils, avec son être d’homme et son être de Dieu. « Il n’a pas rougi de les reconnaître pour siens. » dit l’épître aux Hébreux. En « passant du côté de Dieu », cela s’adapte parfaitement à son Etre de Dieu. Cela s’emboîte sans difficulté : l’un dans l’autre. Comme on dit des pierres gigantesques des pyramides, qu’elles sont si parfaitement jointes qu’on ne passerait pas entre elles une feuille de papier. L’humain colle parfaitement au divin. L’un fait corps avec l’autre.

Cela me fait penser, un peu, à ces greffes que pratique la chirurgie. A quelques nuances près, tout de même. Ainsi, dans la consécration, il ne peut pas y avoir de phénomène de rejet - sauf l’échec qui n’entre pas dans la construction puisqu’il ne lui est pas compatible et qui revient donc au point de départ qui est le néant - Pas de rejet donc, puisque l’homme qui est greffé et le Fils sur qui se fait la greffe, sont de même structure. « Ressemblance » de Dieu, dit la Genèse. Un chirurgien dirait que les tissus sont compatibles. Que les vaisseaux sont à bon niveau. Que le sang passe naturellement des uns aux autres. En transposant à l’Eucharistie, on dit que l’énergie qui vient de l’un passe naturellement dans l’autre. Ce qui vient de Dieu est chez lui dans l’humain, et l’humain est de plain-pied dans le mystère de Dieu. L’humain colle parfaitement avec le divin. L’un fait corps avec l’autre : la conséquence la plus forte, sans doute, de l’affirmation de la Genèse selon laquelle l’homme est « à l’image de Dieu ». Pousser la notion d’Eucharistie jusque là est en cohérence avec ce texte fondateur.


4. « C’est moi », dit Dieu.

Le mot « corps » employé par Jésus, possède, en langage biblique, une autre signification que celle qu’on lui reconnaît habituellement. Dans ce langage, « corps » ou « chair » ne signifie pas seulement ce que nous entendons par là : les atomes qui font notre chair. L’hébreu ne possède pas, en effet, l’ équivalent de notre mot « corps » pour la raison qu’il ignore la dualité corps-âme. En langage biblique, cette expression désigne la personne elle-même tout entière dont il est question : le « moi » dont on parle. En ce sens, il faudrait dire, comme le fit Jean, au bord du lac : « C’est le Seigneur ! » et non point « C’est le corps du Seigneur. » Il faudrait donc traduire l’expression entendue le Jeudi Saint « Ceci est mon corps » par : « C’est moi ! » Autrement dit : « Ce que représente cette hostie qui vient de vous et qui est vous, dans l’état où vous êtes actuellement, cela, désormais, c’est moi. »

Evidemment, cette affirmation est à entendre dans le contexte de l’amour dans lequel se déroule l’acte créateur. Ainsi, le verbe aimer ne peut-il jamais signifier, même s’il arrive que par manque de réflexion on l’entende ainsi : « Cette personne je l’aime tellement que je fusionne avec elle. » Car cela signifierait : « Je me fonds en elle et elle se fond en moi. Ainsi n’y a-t-il plus ni elle ni moi. » Dans l’Eucharistie il n’y a pas de fusion entre la personne du Christ et l’humain qui prend sur lui. Je ne deviens pas la personne du Christ. En réalité, loin d’être absorbé par lui, ce qui prend corps sur lui est confirmé dans son originalité. L’amour au sommet que je rencontre dans la consécration accentue le dessin de ma construction et le rend ineffaçable. La part d’être dont je viens de croître et que je présente au Christ, reçoit de lui sa consistance de Dieu et elle est éternisée. Et donc, plus je fais corps avec le Christ, plus je suis moi-même. Et plus je le suis à jamais. Mais alors, comment entendre ces mots du Christ ?

Peut-être comme on dit que « cet enfant c’est tout son père, ou sa mère ». La grand’mère qui dit cela s’extasie devant la beauté de l’un qui la conduit à penser à la beauté de l’autre. Elle ne confond pas. Elle ne compare pas : elle se réjouit parce qu’elle voit deux beautés et qu’elle n’a aucun mal pour passer de l’une à l’autre. Sa joie embrasse d’un même regard deux êtres aimés. La parole de Jésus traduit sans doute d’abord la joie du Père qui voit son Fils et qui, dans un même regard voit l’homme, l’homme immense, de tous les temps. La joie du Père dont le regard extasié peut glisser sans heurts ni déplacements, de la beauté de son Fils à la beauté de ses Fils. De ses deux bras il les embrasse tous dans un même baiser. Et il dit : « Mon Fils ! » sans nous confondre avec Jésus.

Il sait que leur beauté, celle de l’homme et celle du Dieu, sont de même valeur, bien qu’elles soient construites chacune d’une manière unique. Et il sait que sa joie et la leur sont définitives parce que ce qu’ils ont bâti, avec l’aide de l’Esprit, est aussi solide en eux qu’en lui. Il sait et il contemple. Si l’Eucharistie est la divinisation de l’humain, elle est aussi, comme le dit le nom qu’on lui a choisi, une contemplation suscitant l’action de grâce et l’admiration joyeuse du Père et des fils. La joie, la fête : l’hymne composée sur le thème de l’amour qui divinise et qui, chez l’homme est de même nature que chez Dieu.

Mais « Ceci est mon corps » signifie aussi que le Seigneur Jésus est là, réellement, en personne, physiquement « touchable » par nos mains. Cela, les chrétiens l’ont toujours cru. Répondant au besoin instinctif que nous avons de toucher de nos mains, le Christ nous dit : « Prenez ». Il nous dit : « Touchez », comme il l’avait dit aux disciples hésitant à le reconnaître à la sortie du tombeau. Nous avons besoin de prendre dans nos mains ce que nous voulons identifier. La vue ne suffit pas, ni le raisonnement. Nous devons toucher pour savoir non seulement qu’il est là, mais encore pour comprendre qui est là. Pour saisir, aux deux sens du mot : tenir et comprendre. Nous appelons cette réalité le mystère de la « Présence réelle ». Mystère, parce que ce que je touche me paraît être du pain, alors que c’est le « corps » du Fils de Dieu. « Présence réelle » parce que Jésus est réellement là, devant moi, à portée de mes mains. Et, tout à l’heure, à portée de ma bouche.

Pendant que Jésus dit éternellement : « Ce travail des hommes et de la terre, c’est moi », le Père et l’Humanité n’en finissent plus de se contempler réciproquement. La consécration est d’abord un moment où se fait jour l’exultation du Père et de ses fils qui ne font qu’un. Autre traduction de « Ceci est mon corps. »

Conclusion : non seulement l’un est aussi beau que l’autre, mais, bien sûr, l’avenir de l’un est aussi l’avenir de l’autre : l’avenir de l’homme est l’avenir de Dieu. Or Dieu est éternel, donc le vivant est éternel, avec la nuance que nous disions plus haut. Le désir qu’avait l’homme de durer, durer longtemps, durer sans fin, si possible, ce désir était réaliste. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’il en était possédé. Il avait raison : il durera sans fin. Le Père, connaisseur en beauté, sait que l’homme a la même valeur que Dieu et qu’il vaut donc ce que vaut la beauté : de ne jamais flétrir. L’avenir de l’homme est aussi assuré que l’avenir de Dieu.

L’Eucharistie que nous célébrons est une ouverture pratiquée dans l’opacité du temps, pour nous permettre de deviner ce travail de Dieu en train de faire passer la fragile beauté de l’homme du côté de la belle solidité de Dieu. Faire passer du côté de Dieu se dit aussi « rendre sacré, sacrifier, consacrer. »

 

 


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