Retraite 2002. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10 Avec le P. Collas
L'EUCHARISTIE
VI . « Le Corps du Christ. Amen. » 1. « Prenez et mangez. »
Tout dabord, linvitation que le Christ nous fait au moment de la consécration, explicite le contexte dans lequel la « consécration » - ou la divinisation - seffectue. Vous vous rappelez : le Père consacre le monde dès que lhomme y travaille. Dès que vous campez un acte, sil est positif, Dieu lui donne sa propre consistance. Ce qui fait que tout morceau de notre vie, dès quil est réalisé, est immédiatement « divinisé ». Cela veut dire, entre autres choses, quil a reçu la consistance de lêtre même de Dieu. Il est inusable, éternel, disent les théologiens. Il est établi dans une cohésion parfaite : ses éléments, divers en eux-mêmes, coïncident parfaitement les uns avec les autres, au point que rien ne pourra jamais en provoquer la dislocation. Seulement, cette imbrication ne soude pas seulement entre eux les éléments résultant de mon action dhomme. Elle les soude aussi à Dieu. Elle respecte, bien sûr, loriginalité de chacun, ce qui est de moi et ce qui est de Dieu. Mais lhumain et le divin sont désormais indissociables. Le type dunion ainsi réalisé est unique et puissant. Et pour nous aider à le comprendre ou, du moins, à lexpérimenter, Jésus na rien trouvé de mieux que de nous proposer le geste de la communion. Ce geste est le sommet de lamour. En effet, à quoi lamour aspire-t-il ? Si le baiser avait la capacité daller jusquau terme de ce quinconsciemment il cherche, les deux qui sembrassent entreraient en fait lun dans lautre. Ce qui est visé, cest (pardonnez lexpression bien malheureuse) lingestion de lun dans lautre. Bien sûr, personne ne lexprime, et on senveloppe dindignation lorsquon le dit. Pourtant, que signifie le geste du baiser ? Il signifie tout simplement (!) le désir de communier avec lautre. Evidence. Oui. Mais si on creuse, lévidence devient moins claire et va pourtant plus profond. Tout au fond de ce désir, on devine le besoin irrépressible dêtre proche de lautre ; mais proche absolument. Le baiser, à regarder plus loin que ne le suggèrent certains placards publicitaires, vise donc en réalité à supprimer, non pas les différences, mais toutes les distances. Et quel meilleur moyen que dentrer carrément en lautre ? Navoir même plus besoin dutiliser ces ponts vers lautre que sont les mots ou les gestes ! Je lirais directement son cur même ; et lui lirait tout aussi directement dans mon propre cur. Plus deffets doptique ; vue en direct ! Mais tu ne peux pas. Ton corps ten empêche. Lamour te pousse vers ton semblable mais na pas les moyens de dépasser ses défenses et tu es maintenu loin de celui à qui tu viens pourtant de te « donner ». Chaque fois tu vas plus loin chez lui. Mais tu restes toujours dehors. Souffrance. Ce désir essentiel devra pourtant être un jour satisfait. Tout grand besoin est fait pour être comblé. Toute grande attente sera un jour assouvie, nous lespérons. Cest ce que les chrétiens, maladroitement sans doute, nomment le ciel, où tous les vivants vivront la vie éternelle comme Dieu la vit. En attendant, le besoin dentrer pour supprimer les erreurs de perspective et se comprendre, demeure, insatisfait. Sauf dans la Communion. Là, on va jusquau bout. Là, lentrée en lautre est déjà possible. Pas en mon voisin de « table », bien sûr, mais avec Dieu. Ce quon ne peut pas réaliser avec un être encore en formation, on le peut avec Dieu qui, lui, nest pas en formation. En effet, on ne peut encore entrer dans lautre en raison du risque de mélange et de confusion, notre construction nétant pas encore totalement assurée. Mais avec Dieu il ny a pas de risque. Dieu est tout à fait et définitivement lui : il ne prend aucun risque en entrant en lautre, et ne fait courir aucun danger à celui quil laisse joyeusement entrer en lui. La communion de la Messe est donc le signe que parce que nous sommes divinisés, nous sommes déjà en prise directe sur Dieu. Nous expérimentons ainsi que notre désir le plus fou est en voie de réalisation ; que cette volonté de supprimer toute distance entre celui que nous aimons et nous, est en marche, et quen tout cas, elle est déjà exaucée et parfaite en ce qui concerne notre union avec Dieu : dans le geste de la communion, cest cela que jexpérimente, comme pour apaiser mon impatience et assurer mon espérance. Je repars avec la certitude que ce que lhumanité attend par dessus tout, est déjà en voie de réalisation. La communion « dans le temps » que nous faisons à la messe, signifie donc que le terme de lamour est à portée de main. Déjà on en vit quelque chose avec Dieu, dans la foi, en attendant de pouvoir lexpérimenter au même degré avec les frères, quand nous aurons débouché dans le climat déternité. La communion dalors, gardera le goût particulier des relations que nous aurons vécues sur terre, mais sera absolue. La communion, un avant-goût du climat éternel 2. Communion ? Fusion ? Supprimez lamour et ce que nous venons de dire sur la « communion » retrouve les risques de la « fusion ». Vu de façon courante, le geste de communion pourrait sembler signifier labsorption de lhumain par le divin. Le « communiant » ingèrerait le divin, mais étant donnée la fondamentale disproportion entre la consistance de Dieu et la fragilité de lhomme, la rencontre se ferait au détriment du plus faible : ce dernier serait assimilé. Si on sen tient, en effet, à ce genre déquivalence qui consiste, chez nous, parfois, à juger des résultats dune opération dassemblage daprès la force mise en jeu, cest évidemment Dieu qui lemporte. Dieu est seul parfait face à lhomme qui est loin de lêtre. Dieu est éternel et aucune fin ne le menace, et nous, tout nous dit que nous devons mourir. Ses qualités sont sans proportion avec les nôtres, même si lon admet quelles sont de même nature. Et dans ces conditions, sil y a rencontre, il y aura fusion, le plus fort englobant le plus chétif. Si Dieu est considéré, comme souvent dans le Premier Testament, comme le maître et la source de lorage, sil rencontre lhomme et « entre » en lui, il devrait le volatiliser. Selon limage classique, si vous branchez une lampe de 75 volts sur une ligne de 300 000 volts, cette dernière pulvérise votre lampe et sans doute, vous avec. Vous avez bien compris que, visant la communion eucharistique, lobjection est inefficace. Cest lamour qui est à la base de cette rencontre et non pas la force. Ensuite les deux êtres en cause, Dieu et lhomme, sont images lun de lautre et le premier est la source de lautre : ils se prolongent donc, et ne se croisent pas. Tous deux sont équivalents. Et il sagit bien dune rencontre et dune entrée réciproque de deux énergies de même qualité, sinon de même intensité. De plus, lorsquil sagit de lénergie de lamour, la force nest pas destructrice. Il est vrai que si dans la communion, on se plaçait dans cette perspective de force, il y aurait effectivement bien plus quune « très haute tension » : Dieu une énergie infinie ! Quest la force de lhomme face à cet ouragan dont les hébreux ne pouvaient même pas supporter lidée ? Justement, cette force ne sexerce pas dans un sens de destruction, mais dans un sens de communion. Elle ne va pas contre, elle va avec : or « aller avec » suppose deux sujets qui vont de concert. Elle ne soppose pas, elle concourt : concourir, cest courir ensemble et cette course, pour durer, exige la constance de plusieurs coureurs. Elle ne rivalise pas, elle se conjugue : il ny a conjugaison que dans la mesure où plusieurs sont là pour adjoindre leurs originalités et leurs forces. Elle multiplie lun par lautre. Elle multiplie lhomme par Dieu, mais elle multiplie aussi Dieu par lhomme. Une affirmation qui soulèvera sans doute pas mal de questions. Et pourtant sil sagit damour Lamour est réciprocité. Mais la réciprocité est échange, et léchange ne dure quautant que le va et vient. Et rien ne va ni ne vient qui ne soit envoyé, puis reçu : en humanité rien nest envoyé ni reçu si deux libertés nont pas décidé ce geste. La communion na donc de sens quaussi longtemps que deux se font face en se reconnaissant. De plus, la communion de lhomme avec Dieu, au sens où nous venons den parler ne peut pas provoquer de dislocation pour lhomme qui communie, puisque cet homme est une image du Dieu quil reçoit. Autrement dit, les deux énergies qui se trouvent en présence ne sont pas de type différent et circulent sur la même longueur donde. - Pardon pour ces images qui sentrecroisent et peut-être semmêlent Lénergie de lhomme vient de lénergie de Dieu. Toutes deux sont donc de même nature - nous disions à linstant « de même qualité ». Et, parce que cette énergie est de lamour, du côté de Dieu, elle possède instinctivement la capacité dadapter sa tension à celle quil rencontre. Et, du côté de lhomme et tout aussi instinctivement, elle possède la capacité de désirer recevoir au maximum possible celle quil rencontre. La chose est dailleurs dautant plus aisée et naturelle que, de naissance, lhomme est branché sur lénergie de Dieu et se trouve donc, face à elle, en « terre naturelle » ou en pays connu. En Dieu, lhomme est chez lui, et Dieu est chez lui en lhomme. La communion, sur ce plan précis de la rencontre de deux énergies, nest que lintensification dun état naturel. La communion, pourrait-on dire, porte à lincandescence létat naturel de la créature humaine face à son créateur. En réalité, et pour conclure provisoirement ce point, lorsquun homme communie, il ne crée pas la rencontre entre lénergie-source et la sienne : cette rencontre existe depuis quil vit. Elle est donc pour lui, la plus fondatrice qui soit, et, pour un chrétien, communier nest pas loccasion de créer le contact avec Dieu, mais de lamplifier. Et de le contempler. 3. Le sommet de la compatibilité. Cest loccasion de reconnaître et de chanter avec Dieu ce que lon devine. En se penchant au bord du mystère pour y voir le travail de consécration que Dieu fait sans arrêt sur le travail « de lhomme et de la terre », le chrétien reconnaît aussi le branchement de son être sur lénergie du Père, et essaye den deviner lintensité tout à fait unique. Pendant le temps de son « action de grâce », il se regarde, enveloppé dans la chaleur de cette énergie qui est tendresse. Il sy tient immobile afin de moins risquer loubli, quand il sortira de la messe.
Mais aussi il sengage à continuer, en sortant de la rencontre fraternelle, son travail de construction, et à le poursuivre solidairement, avec ces frères quil vient de deviner faisant davance la fête avec lui autour du Père, et prenant « chair divine » comme lui. Il sait que ces frères, aperçus dans le mystère, sont ceux quil rencontre chaque jour. Il sengage donc, au nom de sa foi en ce quil vient de pressentir, à travailler avec son prochain immédiat et à respecter ses capacités. Il sy engage au titre de sa foi et au titre de lefficacité humaine de sa vie. Lacte de la communion, terme de la célébration de lEucharistie, nest pas un acte inoffensif de piété. Obligatoire une fois par an. A la fois, il ré-inscrit dans notre mémoire le fond réel sur lequel se déroule notre vie, mais aussi et par conséquent la modalité essentielle de ce déroulement qui en est la fraternité. La communion est à la fois contemplation et engagement. Si je ne veux pas me pencher au bord du mystère, si jai peur de sonder le fond même sur lequel javance pourtant, si je nai pas envie de décaper et de laisser réanimer mon sens fraternel, alors, mieux vaut que je naille pas à la Messe. Mais qui donc refuse, clairement, de sonder la solidité et lintelligence de ce qui sous-tend sa vie ? Qui refuse, consciemment, de se reconnaître solidaire ? Qui veut, clairement, marcher tout seul ? Qui préfère la stérilité ? Qui ? Consciemment, intelligemment, en toute liberté, hors de toute idéologie, religieuse ou politique ? Si les chrétiens savaient parler juste, et si ceux qui cherchent parvenaient à sortir de leurs idéologies tout en gardant leurs idées les plus humaines, tout le monde communierait. Qui dit, dailleurs, que cela ne se fait pas déjà et faute de mieux, sous des rites et en des lieux différents ? Si le monde vit, cest que la communion existe. Si je sais que la communion de la célébration eucharistique nest que le signe de celle que Dieu instaure et à laquelle tous les vivants travaillent, alors, je sais aussi que la communion existe et que cest pour cela que le monde vit et ne se décourage pas de ses divisions. Cest dailleurs celle-là que les chrétiens contemplent, sans bien la voir, à la fin de leurs Eucharisties. Car le Père et lhomme travaillent sans cesse.
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