Retraite 2002. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
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L'EUCHARISTIE


VII . Quelles conséquences pour nos célébrations ?


1. Alliance nouvelle ?

L’expression est habituelle. Et pourtant, dans leur citation des paroles prononcées par Jésus à la Cène seuls Luc 22, 20 ; et Paul 1 Cor. 11, 25, l’utilisent. Sans doute le font-ils en souvenir de la prophétie de Jérémie (31, 31) : « Des jours viennent, oracle du Seigneur, où je conclurai avec la communauté d’Israël et la communauté de Juda, une nouvelle alliance. »

Frappés par leurs infidélités répétées, les Juifs avaient conçu la notion d’ « alliances successives », aucune ne tenant, par la faute des hommes : celle de Noë, celle d’Abraham, celle de Moïse … Les chrétiens conscients de l’importance unique de la démarche faite par le Christ, ont pris l’habitude de la considérer comme l’Alliance nouvelle et définitive. Façon de dire qu’il n’y avait pas mieux ni plus efficace que la démarche faite par le Christ.

Evidemment, cette notion d’alliances successives repose sur la certitude que l’homme n’est pas fiable, et que donc cette non-fiabilité exige une reprise en mains permanente de la part de Dieu. Mais dans la perspective de la « Bonne Nouvelle », nous nous situons différemment : l’homme image de Dieu n’est pas fondamentalement infidèle mais beau. Seulement, comme il est inachevé il éprouve du mal à construire sa fidélité. Il reste pourtant qu’instinctivement il sait que la fidélité est facteur de réussite et donc, bien qu’elle soit difficile, il la veut de toutes ses forces. On insiste, ici, davantage sur la volonté de fidélité de l’homme, que sur sa faiblesse : sa ressemblance à Dieu est fondatrice de la nature humaine, tandis que sa faiblesse n’est qu’accidentelle. Et donc, l’homme étant d’abord fiable et accessoirement fragile, on ne considère pas que Dieu ait dû renouveler ses alliances. D’ailleurs l’acte de Dieu étant éternel il ne peut pas être sujet à reprises. Le geste du Christ manifeste, non pas une nouvelle alliance, mais la permanence de l’alliance éternelle.


2. La Messe est-elle obligatoire ?
Cette question fut majeure au siècle dernier et voici peu de temps encore, pour une bonne part de l’Eglise catholique.

Eh oui, la messe est obligatoire ! Mais en quel sens ? Pour comprendre, il faut accepter de quitter les cadres de la légalité. Nous avons pris l’habitude de vivre, soutenus, sinon engoncés dans des cadres de lois. Pourquoi ces cadres, sinon parce que l’Eglise « notre Mère » ne croyait pas fondamentalement à notre bonne volonté ni au sérieux de nos « déclarations d’amour » envers Dieu. Alors, parce qu’ « ils n’y seraient pas allés, on leur a dit que c’était obligatoire. »

Aujourd’hui, l’obligation vient moins de la contrainte d’une loi que d’une conviction bien établie. Ou d’un besoin inconscient. On comprend mieux que la relation avec Dieu, comme avec nos frères, d’ailleurs, est une nécessité vitale plus qu’une obligation légale. Et parce qu’on sait qu’on ne commande pas l’amour ni ses rites, on ne dit jamais qu’il est obligatoire d’embrasser qui l’on aime. Mais parce qu’on aime, il faut bien embrasser : si l’amour ne se manifeste pas d’une manière sensible, il finit par mourir. Il y a bien obligation d’embrasser, seulement, ce n’est pas une contrainte légale qui la fonde, mais le besoin intérieur de l’amour. Pareil pour la messe : elle est le moyen de deviner à quel point Dieu est Père et à quel point il vit et agit sans cesse avec nous, et à quel point, donc il est « aimable ». Et que faire quand on le sait, sinon y aller voir ? C’est parce que je sais ce que Dieu fait pour moi, et qu’à la messe je vais le voir un peu, que j’y vais. Ma loi c’est mon besoin. La messe, « elle est dans ma peau », pas dans un code extérieur ni dans une Eglise. La messe, un moment d’amour ? De tendresse ? Alors, obligation ? Ou bien nécessité et urgence ?

En ce sens, lorsqu’on parle avec des enfants, ne pas leur dire que la messe est facultative. Facultatif : tu peux choisir parce que ça n’a pas d’importance. Que tu y ailles ou que tu restes chez toi, c’est pareil. La messe n’est pas obligatoire, elle n’est pas non plus facultative, c’est trop une affaire d’amour. Mais c’est vrai tu choisis. Personne ne peut te contraindre à aimer. Et pourtant, on ne peut vivre sans aimer.


3. La demande de pardon à l’entrée de la célébration.

La présence du péché est quasi permanente dans nos célébrations. En tout cas, la Messe commence par une demande de pardon. Dans une perspective où l’on considère qu’étant image de Dieu, l’homme a d’abord bonne volonté et qu’il ne fait pas le mal par plaisir, le péché prend une moindre importance. Il est un dérapage mais pas un système.

Or l’Eucharistie entrouvre le mystère. Elle nous aide à deviner la grandeur du geste que Dieu fait sur la grandeur de la vie que l’homme vient de vivre. Elle se trouverait donc beaucoup mieux perçue si elle commençait par une action de grâces. Notre attitude première n’est pas celle de pécheurs, mais de collaborateurs de Dieu. Voir l’attitude du Père du prodigue. Le « Je confesse » pourrait être avantageusement remplacé par un temps bref de réflexion sur la manière dont nous nous y prendrons, tout à l’heure, à la sortie, pour réparer ce que nous avons raté. Une manière de mettre la notion de responsabilité à la place de la notion de culpabilité.

Une manière aussi de faire de cette célébration un moment de joie. Et de foi en la fierté du Père face à ce que nous avons fait. Une occasion, trop rare, de nous réjouir à bon escient de ce que nous sommes. Le temps de geindre est dépassé. La nécessité d’agir se retrouve maintenant seule sur le devant de la scène. La meilleure manière d’agir est de croire que nous sommes aimés et appréciés par le Père, et de regarder sereinement ce qui est fait et de décider le reste en fonction de ce qui tient. Et pourquoi ne pas mettre à la place de nos « lamentations » sur nos péchés, une brève réflexion pour voir comment réparer, tout à l’heure, ce que nous avons raté ? Et comment faire la paix ?

4. La communion du « pécheur ».
La communion n’est pas une récompense. C’est une contemplation immédiate du Père et de ce que nous avons bâti. C’est aussi une recharge d’énergie. C’est enfin une reprise de conscience de l’importance du frère. Ce n’est en aucun cas, une récompense. En aucun cas, communier n’exige une autre dignité que d’être fils de Dieu et volontaire pour se construire et pour faire avancer le monde. Si seuls pouvaient communier ceux qui n’ont pas dérapé, personne ne pourrait communier.

Qui parle de dignité ? Laquelle le Père exigerait-il ? S’il en exigeait une, la seule qui lui conviendrait serait-elle que nous n’ayons pas péché ? ou que nous n’ayons plus de péché sur la conscience ? Le Père exigerait-il cela, lui qui se jette au cou du prodigue sans autre attente que de pouvoir le couvrir de baisers ? La dignité que le Père voit en nous est notre bonne volonté. Et la confiance que nous avons en lui, et en nous.

Ce qu’il attend, vraisemblablement , c’est que nous soyons plus frappés par notre ressemblance avec lui que par nos échecs. Si nous sommes conscients de ne rien pouvoir sans lui, ni sans nos frères, et si nous sommes sûrs d’être ses fils et de vouloir vivre en fils, alors communions. Où trouver la force de poursuivre ou de redresser mon existence, sinon dans l’amour ? La communion est un fantastique moyen de ne pas désespérer parce que le Père nous y embrasse, exactement comme il embrasse le fils de retour. Et nous l’y embrassons, et nos frères avec.

Pour assumer ma vie, j’ai plus besoin d’être embrassé que montré du doigt.


5. Logique entre le langage de l’Eglise sur l’Histoire et cette théologie de l’Eucharistie.
Ceux qui ne croient pas et qui, parfois entendent tout de même nous entendent parler, sont surpris par les inconséquences de nos théologies successives. L’important, aujourd’hui, est de viser la logique et le respect de la raison. Pour cela, il est souhaitable que toute théologie prenne un point de départ indiscutable dans l’Ecriture, et, de là tire une ligne droite sous les pieds de ses déductions.

La méthode scientifique a placé la logique au premier rang des exigences de la recherche. De ce fait la moindre incohérence sur un point, entraîne un refus du tout. Nous ne sommes plus aux temps où l’autorité suppléait à la rigueur. C’est pourquoi, sur ce point précis de théologie où se situe l’Eucharistie, la logique s’impose aussi. Puisque pour toute théologie, et donc aussi pour la théologie de l’Eucharistie, nous prenons, dans notre enseignement, comme point de départ l’affirmation biblique de la ressemblance de l’homme et de Dieu, nous devons nous tenir à ne rien admettre qui soit contraire à cette ressemblance. D’où la position adoptée ici qui voit l’Eucharistie comme le geste de Dieu consacrant l’acte humain. Le Père divinise l’acte de l’homme parce que l’acte de l’homme est grand et qu’il n’y a rien de plus urgent et de plus utile pour lui que de le consacrer. Il est grand et beau comme le sien pour la raison très simple que l’homme qui le pose est à l’image de Dieu.

Tout l’enseignement sur l’Eucharistie doit donc consister à établir pourquoi cette célébration ne se nomme que : Eucharistie. Eucharistie signifie : action de grâce. Toute notation qui se trouverait en contradiction avec cette expression, devrait être considérée comme erronée et devrait donc être corrigée. Action de grâce pour cette Histoire que l’homme, en compagnie de Dieu, écrit depuis des siècles, et qui se transcrit immédiatement dans l’éternité par l’acte de la consécration. Le beau doit être divinisé : quoi de plus logique ?


6. La messe et la communauté.
On aura sans doute retenu de cette retraite que les chrétiens ne sont pas les seuls concernés par ce qu’ils célèbrent. A la messe ils sont les représentants de « la foule immense que personne ne peut compter » dont parle l’Apocalypse (7,9). Et si je cite ce texte, ce n’est pas pour faire bien, mais parce qu’il traduit, une réalité de base. Dans la continuité de ce que nous venons de dire sur la « logique », nous croyons que tous les hommes et tous les temps, sont partie prenante de la consécration. La communauté qui est présente exprime son propre accord avec ce qui se passe, mais manifeste aussi l’accord inconscient mais bien réel pourtant, de tous ceux qui ne sont pas là et qui voudraient bien « faire communauté », s’ils savaient. Elle est là aussi pour manifester son enthousiasme et pour exprimer l’amour que l’humanité porte à la vie.

Du fait de sa présence consciente (on l’espère) elle plonge au cœur même de l’amour. Et donc, son propre amour est lui-même revigoré. Et, du coup, la communauté chrétienne en question, rassemblée pour la Messe, reçoit la vigueur dont elle a besoin pour montrer « comme il fait bon » d’être ensemble. Elle ne dit pas : « Voyez comme nous sommes bons. » Elle dit : « Voyez comme il fait bon. » Elle ne le dit pas pour faire sa réclame et augmenter son nombre, mais pour donner une idée de ce que l’on peut trouver comme confort à vivre avec Dieu. Ce n’est pas pour elle que la Communauté « fait de la réclame », mais pour Dieu et pour l’homme et pour la vie. Vous voulez trouver de la chaleur, de la bienveillance, la joie d’être ensemble, une espèce de certitude sur l’avenir ? Alors, venez avec nous ; ou bien allez dans le même sens. Nous, chrétiens nous ne sommes pas arrivés, pas plus que vous, mais on voudrait vous partager ce qui nous donne de la joie et nous aide à avancer. Venez avec nous : on se penche au bord de la terre et vous verrez ce que l’on pressent.


7. Eucharistie et charité.
Les chrétiens « qui vont à la messe » sont propulsés, sous anesthésie heureusement, au cœur même de la Trinité. Ils font donc l’expérience, dans la foi, mais aussi, souvent, dans la chaleur de leur célébration, de la force de l’amour. Et ils repartiraient de là avec leurs petites rivalités ou leurs mesquineries ? Bien sûr, les petitesses en question ne sont pas guéries, mais on vient d’expérimenter leur petitesse, justement.

Soyons logiques ; si c’est petit, ça ne doit pas se renouveler et on doit se battre contre « ça », comme contre la peste. Entre autres petitesses graves : on vient de « manger » ensemble et on s’enfermerait ensuite chez soi en verrouillant son porte-feuille ou ce qui en tient lieu, chaque fois qu’on recevrait, par la poste, un appel du Secours catholique, du CCFD, de l’abbé Pierre, de médecins sans frontières, de handicap international, de la Croix Rouge ou d’autres choses qui nous apportent le cri de ceux qui ont faim, dans notre rue ou aux antipodes ? Si l’on vient « manger Dieu » sans vouloir donner à manger à d’autres, dans la mesure de nos moyens, et si on est décidé à en rester là, alors, peut-être vaudrait-il mieux rester chez soi. Je dis « peut-être » parce que je ne crois pas qu’un homme puisse aujourd’hui verrouiller son cœur à ce point. Et parce qu’aussi, je nous sais tous à l’image de Dieu. Alors, allons-y, à la Messe : plus on se rapproche du Père, plus on se rapproche des frères.

8. L’Eucharistie et l’enfer.
Ceux qui connaissent la théologie enseignée ici devaient s’attendre à voir paraître ce titre. Que dire de l’enfer, après ce que nous venons d’apercevoir sur l’Eucharistie ?

Si l’essentiel de l’œuvre et de la vie de tous les hommes est beau et doit être sauvé de l’anéantissement définitif, que reste-t-il pour la gueule de l’enfer ? Rassurez-vous : l’enfer ne mourra pas d’inanition. Dans la mesure du moins où il se nourrit de rien, alors il aura de quoi se mettre sous la dent, aussi longtemps que l’humanité demeurera en chantier. Sur un chantier il y quantité de choses ratées qui justement ne valent rien et qu’on se soucie donc d’expédier par bennes entières vers la décharge. Vous n’irez pas chercher dans la décharge, un meuble de valeur et encore moins un ouvrier du chantier. Le jour de l’inauguration, ce n’est pas la décharge qu’on ira voir. D’autant moins, d’ailleurs, que le chantier étant terminé, la décharge disparaîtra, n’ayant plus de raison d’être.

Vous comprenez ? L’Eucharistie, à la fois a besoin de l’enfer et à la fois annonce sa disparition. Elle en a besoin pour que le travail de l’humanité soit débarrassé de ses échecs. Et, bien sûr, pas pour y mettre les ouvriers. Ensuite, elle n’en aura plus besoin, parce que ce n’est pas là que le « Maître de maison » qui est aussi « Abba », enverra ses Fils, vous vous en doutez. Alors, la décharge finira son existence dans sa propre logique : elle aura, brave fille, passé « son temps » à broyer en néant les échecs de la terre ; et elle s’en ira elle aussi tout entière dans le même néant avec lequel elle aura compagnonné depuis la création du monde. Et il n’y aura plus que le Père et ses fils. Tous ses fils, même Juda, même Hitler. Car le Fils est venu pour tout sauver : vous le chantez, il faut le croire. Vous savez, la logique ! Et en plus, la logique de l’Amour.
Et leur vie à tous sera éternelle.
Rendons grâces. Rendre grâce se dit « eucharistier ». En grec. Et en chrétien.


 

 


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