Retraite 2003. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
06 03 04 22 88
          

CORPS ET ESPRIT.

 

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I. Deux sources pour voir Dieu en relief.
Rapprocher matière et esprit : c’est mieux voir Dieu.

L’expression « Dieu caché », de l’Ancien Testament, n’est pas à prendre au pied de la lettre.
Tout d’abord, si Dieu paraît caché, ce n’est pas qu’il le veuille. L’incarnation de son propre Fils montre au contraire à quel point il désire se montrer à nous puisque, pour ce faire, le Fils, l’Un des Trois, n’a pas hésité à prendre chair. Et quoi d’étonnant ? Nous savons que celui qui aime désire être vu par celui qui est aimé. Et si ce désir est proportionné à la force de l’amour, chez Dieu il est sans bornes. Et pourtant, qui oserait dire qu’il a vu Dieu ? Héritière du Premier Testament, la théologie est formelle sur ce point : « nul ne peut voir Dieu ». Elle se « rattrape » en disant que l’esprit, du moins, a la capacité de l’approcher.

Questions neuves sur la matière.
Mais le corps ? (Notez dès maintenant que dans la suite de cette retraite, nous emploierons l’un pour l’autre et en équivalence, les mots : matière et corps. Ils sont tous les deux de même nature ; et le corps est le produit et l’image les plus achevés de la matière.) Le corps a longtemps été jugé trop court pour pouvoir s’élever jusqu’au visage de Dieu. Sur ce point aussi, la théologie était formelle. Mais aujourd’hui, la prudence est de mise. On commence même à poser à la théologie classique des questions impertinentes. Par exemple : pourquoi le corps ne pourrait-il pas nous ouvrir lui aussi une plongée particulière sur le « Mystère » et apporter du relief à la vision que produit l’esprit ? S’il est vrai que la matière tout comme l’esprit viennent de Dieu, serait-il étonnant que l’une comme l’autre, se souviennent de Lui et sachent nous en donner au moins un aperçu ?

Ces questions sont inaudibles pour qui a été formé à voir dans la matière, et donc dans le corps, le lieu vraisemblable où le Mal a pris naissance. N’a-t-on pas enseigné que la capacité de pécher se situait dans la matière ; entendez : dans le corps ? Comment, dans ces conditions, cette matière pourrait-elle supporter dans sa « bassesse » la moindre idée valable sur Dieu ? Tout juste était-elle capable, dans l’histoire des Juifs, de fournir de quoi sculpter des idoles. Mais des idées sur Dieu … allons donc.

Et si, lorsque nous parlions ainsi de la matière, nous avions mal saisi l’unité du dessein de Dieu ? Et si nous avions eu tort de la diaboliser au point de la rendre en partie responsable du mal de l’esprit, et de nous faire, nous, incapables d’attendre d’elle quoi que ce soit de convenable qui puisse nous donner une idée saine sur Dieu ? Et si cette vision de Dieu jusque là réservée à l’esprit seul, se révélait être une fonction dont le corps aussi aurait la charge ? Aurions-nous eu tort de ne chercher à voir Dieu que par l’intermédiaire de l’esprit et de laisser de côté, dans cette auscultation, le corps et, en un sens plus large, la matière ? Et, ce faisant, aurions-nous stérilisé l’un des deux chemins qui mènent l’homme à la rencontre de Dieu ?

En revanche, serions-nous poussés aujourd’hui à reconnaître un rôle équivalent à ces deux faces de notre personnalité dans la découverte de Dieu ? Serions-nous devenus capables de les prendre ensemble, sans en privilégier aucune, comme on règle à la fois les deux lentilles des « longue-vue » pour voir de plus près et en relief, l’autre côté de la rive ? Et, dans ces conditions, tout en faisant confiance autant à la science qu’à la théologie, serions-nous prêts à rééquilibrer notre appréciation sur l’aide que nous pourrions attendre des deux itinéraires, spirituel et matériel qui mèneraient, d’où nous sommes, directement vers Dieu ? Et puis, en poussant plus loin encore son analyse de la matière, la « science » ne serait-elle pas en train d’y découvrir des caractères qui semblent rapprocher sa structure de l’architecture de l’esprit ?

Deux disciplines sœurs.
Questions difficiles à aborder parce qu’elles convoquent deux disciplines qui n’ont guère coutume de collaborer et dont il faudra pourtant essayer un jour d’ajuster les conclusions, ce que l’on n’a guère, reconnaissons-le, coutume de faire. Peut-on passer par-dessus les murs réputés infranchissables, que l’habitude a élevés entre ceux qui travaillent sur l’esprit et ceux qui dissèquent la matière ? Même si on veut préserver l’originalité de chaque discipline, pourra-t-on mettre au point un langage qu’on puisse parler sur les deux bords ? Sera-t-on conduit à constater que les fossés traditionnellement entretenus entre ces deux domaines sont moins profonds qu’on ne le croyait, et qu’il existe entre eux des passerelles telles qu’il est dorénavant possible de sauter d’un bord sur l’autre ? Trouvera-t-on même que les bords de la « fouille » ne sont que des apparences et qu’on ne sait même plus exactement quand on est d’un côté ou quand on est de l’autre ? Les limites reconnues entre l’esprit et le corps seraient-elles une « vue de l’esprit » ?

Voir Dieu « en relief » exigerait-il qu’il soit perçu autant par les yeux et les mains que par la réflexion ? Ira-t-on jusqu’à dire que la difficulté que nous avons à le pressentir viendrait de ce que nous ne le cherchons qu’avec un seul œil, l’œil de l’esprit, ou de l’âme, comme diraient les chrétiens, mais sans celui du corps ? Dieu serait-il visible alors que nous ne saurions pas le voir ? Le verrions-nous, en fait, sans savoir que nous l’avons vu ? Sans savoir, parce que l’habitude de ne juger de lui que par l’esprit, nous aurait privés d’attendre les données que la matière, pourtant, aurait pu nous fournir, si nous l’avions, elle aussi écoutée ?

Alors, parce qu’aujourd’hui l’esprit pressent qu’il peut s’approcher davantage de ce qui le dépasse, il tâte avec ses mains autour de lui à la recherche de voir plus profond. Et voici qu’il ose scruter autrement la réalité qui l’entoure. Et puisque la part la plus proche de lui est la matière, il s’occupe à la scruter pour discerner si elle ne recèlerait pas une ouverture sur le Dieu qu’elle cherche. Et il découvre que la matière dont on pensait qu’elle était aux antipodes, n’est pas aux antipodes, mais, elle aussi, dans la proximité immédiate de Dieu. Il réalise qu’il est lié à la matière comme la lumière du soleil aux particules qui la portent, et que leur amarrage réciproque explique ce que nous voyons, et explique aussi que nous pouvons voir de plus en plus profond, ce qui existe. Il commence à croire que comme deux mains s’accrochent au bord d’un mur pour voir par dessus, l’esprit s’agrippe avec la matière aux bords du réel, pour voir.

La question d’aujourd’hui : la matière est-elle médiatrice ?
Et peut-être en effet la matière pourra-t-elle nous aider à voir jusqu’à Dieu. Nous en sommes à nous demander pourquoi Dieu ne se glisserait pas autant au travers de la matière que de l’esprit. Pour les artistes et les contemplatifs, cette question est d’ailleurs depuis longtemps dépassée. La théologie, en tout cas, encouragée par les percées de la Recherche, en vient à se dire que le désir qu’a Dieu de se laisser expérimenter, est tel qu’il lui est indispensable de confier à la matière des éléments dont l’esprit a besoin pour achever de Le voir. De Le palper et de Le voir.

Nous avons besoin de voir Dieu ! Et si la science, sans le vouloir disons-le bien, nous dévoilait désormais un instrument aussi ancien que le monde, mais en partie ignoré, de distinguer Dieu, là, à portée de la main ? Tout nous préparait à cette découverte. Ne parlait-on pas depuis bien longtemps, en théologie classique, de la « médiation de la création » ? La médiation de la création : la capacité qu’a la création totale, y compris donc sa matière, de nous mettre en contact avec la divinité dont nous sortons sans cesse, et de nous servir de pont vers elle, ou de « télescope » pour supprimer les distances et mieux la percevoir. « Il est passé en hâte au milieu de ces bois et son seul passage les a laissés revêtus de sa beauté », disait saint Jean de la Croix. Nous ne dirons pas autre chose, encore que nos moyens et notre langage soient différents.

Le corps et l’esprit : les deux moments de l’être, qui permettent à ce qui n’existe pas de se faire exister et de passer du non-être à la divinité. Le corps, l’esprit : non pas deux réalités différentes, mais deux trajets dont il faudra sans doute réaliser l’unité, si nous voulons comprendre et le cosmos et l’homme et Dieu. C’est Jean l’évangéliste, peut-être, qui en a le mieux dit le résultat : « Nous Le verrons tel qu’il est parce que nous lui serons semblables. » (1 Jn. 3, 2) et Dieu est simple. Et un.

 

 

 


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