Retraite 2003. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
06 03 04 22 88
          

CORPS ET ESPRIT.

 

II. Le créateur dans le livre de la Genèse.
Relation aussi respectueuse du Créateur envers la matière qu’envers l’esprit


Parler de l’acte créateur est doublement intéressant pour nous.
D’abord, bien sûr, parce que cela nous permet de deviner comment Dieu s’y prend à l’origine, et il y a peu de sujets qui intriguent autant l’intelligence humaine : nos contemporains, continuateurs en cela des civilisations passées, se soucient de savoir d’où ils viennent et, par le fait même, d’où vient la vie et d’où sort-elle sans cesse. Le cœur que nous pouvons mettre à échafauder aujourd’hui pour assurer demain, tient essentiellement à la connaissance que nous pouvons obtenir sur nos sources. En effet, ce que nous nous proposons pour l’avenir n’a de valeur déterminante que dans la mesure où nous savons cet avenir garanti. Or, comment s’assurer de cette garantie, sinon en remontant la filière de l’évolution pour tenter d’explorer la fiabilité des « fondations » du Cosmos qui nous englobe ?

Parler de l’acte créateur a, pour nous, un autre intérêt. L’avenir n’est pas seul à nous préoccuper. Le présent est plus directement encore concerné par nos choix quotidiens. Les décisions que nous allons prendre aujourd’hui ne reposent pas seulement sur les données que nous avons en mains : elles sont toutes influencées par des courants que nous ne maîtrisons pas, et, en particulier par cette « évolution » qui interfère dans notre travail d’aujourd’hui.

Or chaque fois qu’un homme s’associe au processus de cette évolution, il se trouve par le fait même « épaule contre épaule » avec Celui qui l’a lancée. Et qui l’accompagne. S’il veut être efficace et « coller » de près avec Lui, il doit connaître son « style » et comment il fonctionne. Savoir, autant que possible, comment Dieu s’y prend pour créer, donne à l’homme une idée de ce qu’il peut attendre de Lui, car sa journée d’homme poursuit l’aventure issue de Dieu. Voir comment Dieu fonctionne dans l’acte créateur, nous dit quelque chose de sa « personnalité ». Et essayer de comprendre sa « technique », si peu que ce soit, peut aussi nous révéler, nous le verrons au dernier chapitre, l’ahurissante simplicité de son intelligence, qui fait que le « matériau » de l’univers « corps et esprit » n’est peut-être pas aussi « double » que nous le croyons.
Oui, savoir qui je « hante » me dit mieux qui je suis. Et comment agir.

Voyons donc ce que le livre de la Genèse en racontant la création, nous laisse entrevoir du tempérament de Dieu. Dont nous sommes les plus proches collaborateurs. (Livre de la Genèse, 1, 1-31. voir A. Gesché. « Le Cosmos ». Cerf 1994.)

« La terre était déserte et vide : elle était ‘chaos’.» Le chaos n’est pas le néant ni le désordre. C’est un infini de possibilités. (Dans la prochaine instruction, nous préciserons ce que les théologiens entendent par « infini de possibilités ». Possibilités qu’ils nomment d’ailleurs plutôt « virtualités » pour désigner une capacité qui n’est pas encore passée à l’acte, mais qui le pourra.) « Infini » est à entendre au sens le plus absolu. C’est-à-dire que ces « possibilités » sont en nombre illimité. Que leurs capacités sont elles aussi sans bornes. Qu’elles sont entièrement et toujours immédiatement disponibles. Qu’elles sont indéterminées, c’est-à-dire « aptes à tout ». Qu’elles sont tellement disponibles qu’elles n’ont même pas été mises en ordre. A partir de là, « tout » est donc possible et tout est à faire. C’est dans ce « tout est possible » que se trouve la racine de ce qu’on nommera plus tard la liberté.


La part de potentialités utilisée est plus large que la part actuellement mesurable qui compose le cosmos. Elle est aussi sans commune mesure avec l’infini de ce qui reste disponible. Des essais sans nombre ne risquent donc pas d’entamer la réserve de potentialités disponibles. Dieu, en effet rayonne autant qu’il est. Son rayonnement demeure donc infini. D’où le champ libre et sans extrémités, dont disposent le cosmos, l’homme et toute suite éventuelle.

« Que lumière advienne ». Dans le texte grec le mot « lumière » n’est pas précédé de l’article. On ne dit pas « la lumière » (to (article) phôs). Mais « Lumière » (phôs), sans article. Qu’il n’y ait pas d’article laisse entendre que la chose attendue n’est pas déterminée. Ce n’est que plus tard, selon le texte de la Genèse, qu’elle recevra un nom : « Jour ». L’initiative de libérer ces « forces », vient bien de Dieu, mais elle est indéterminée. Dieu, semble-t-il, libère un mouvement jusque là retenu. Il le « libère », parce que lui seul, pour l’instant est Sujet et que donc seul il peut prendre une décision. Mais une fois prise cette décision, la suite ne relève plus directement de lui. La suite relèvera du jeu totalement libre de ce qui vient d’être « débloqué ».
Le verbe grec dit « Qu’advienne » (genèthèto phôs) et non pas « Que soit ». Le verbe « advenir » peut indiquer une apparition progressive, (l’évolution ?) La « chose » n’est pas posée toute faite, tout existante. Il n’y a donc pas fabrication. En logique grammaticale, il y aurait eu fabrication si Dieu avait dit : « Que soit » : la « chose » serait arrivée « toute faite », déjà faite. Il n’a pas dit : « Qu’elle soit », mais : « Qu’elle advienne. »


« Et lumière fut. » (Kai égéneto phôs) La formulation demeure impersonnelle. Le texte ne dit toujours pas « la lumière », mais, comme au verset précédent : « lumière » (phôs, et non to phôs). Ce qui est inhabituel pour notre logique, pour laquelle un sujet est toujours précédé d’un article qui le distingue de ce qui n’est pas lui. Ce qui vient de se produire n’est pas encore bien situé et n’est donc pas encore « nommé ». D’autant moins, d’ailleurs, que seul un sujet peut nommer une réalité qui n’est pas lui. Or, ici, semble nous dire le texte, il n’y a personne qui puisse assumer. Cela s’est produit. Ce qui a produit, parce que ce n’est pas encore « quelqu’un » ne sait pas ce qu’il a produit. Il n’y a, pour la Genèse, qu’un seul Sujet et c’est Dieu. Mais justement, semble vouloir dire la Bible, ce n’est pas ce sujet-là qui a produit ce qui vient de se produire. L’expression utilisée tout à l’heure : « Cela s’est produit » est exacte. Bien sûr, c’est Dieu qui a mis la chose en branle, mais ce n’est pas lui qui a fait la chose : il a simplement libéré les « virtualités » qui ne cessent de rayonner de lui. Il les a libérées et il les a laissées libres : c’est leur seul jeu qui a provoqué l’explosion lumineuse.

J’utilise volontairement des expressions neutres : « la chose », ou bien « cela », pour rester fidèle au texte biblique. Pris au pied de la lettre, le texte ne donne pas en effet d’autre sujet à ce qui vient d’apparaître que la chose elle-même. On précise tout de même le rôle de Dieu : il lâche les freins et puis il laisse faire les virtualités ainsi libérées. Et cela donne « lumière ».

« Dieu vit que la lumière était bonne. » Dieu ne s’est pas absenté, vous pensez bien. Il n’intervient pas, mais il regarde. Et il est heureux, on n’ose pas dire « ébahi », mais pourquoi pas … de ce qui vient de se produire. C’est bon ! Oui, et c’est bon aussi de savoir que la première réaction du Créateur à la toute première démarche de l’évolution, c’est la joie. Il félicite. La création ne commence pas par un échec. Bien que Dieu n’intervienne pas pour diriger le flux qu’il déclenche, « cela » est bon tout de même car « cela » s’est bien passé. L’évolution n’a pas eu besoin de rodage. Dès sa première manœuvre, elle a réussi. Quoi d’étonnant quand on sait que ce qui manœuvre ce sont des « virtualités » qui rayonnent de Dieu ?

« Dieu nomma la lumière : jour ». Dieu attend que l’évolution ait fait son premier chef-d’œuvre, pour le nommer lui-même. Nommer, c’est être soi-même conscient d’exister et d’être autre que ce que l’on nomme. Or, au moment où Dieu parle, il est seul sujet et donc, maintenant que ça s’est fait, il nomme.

« Que la terre produise … » Décidément, Dieu joue le jeu de la confiance : la responsabilité de ce qui va venir, est remise à la « terre » elle-même, car Dieu le sait bien, elle a les possibilités illimitées qu’il faut pour donner suite.

« Que la terre se couvre d’arbres fruitiers qui, selon leur espèce portent sur terre des fruits ayant en eux-mêmes leur semence. » Le texte biblique insiste : Dieu n’intervient toujours pas dans le déroulement en cours. Les plantes elles-mêmes n’ont pas reçu la semence des mains du Créateur, mais la conçoivent elles-mêmes. On est donc prévenu : même s’il y a des dérapages, - et il y en aura nous disent les chercheurs - Dieu n’interviendra pas : la création est autonome. D’ailleurs, s’il y a eu des dérapages, c’est bien qu’il n’est pas intervenu. Autrement, du moins, qu’en chauffant de son regard ce qui est en train de germer.

« Faisons l’homme à notre image ». Ceci fait, un infini de « virtualités » demeure disponible : l’agencement se poursuit donc et donne la vie, puis l’homme. Il n’y avait pas de virtualité humaine toute faite. L’évolution était donc libre et son jeu a donné l’homme.

Avec l’apparition de l’homme, le « sujet » des verbes utilisés, passe de l’impersonnel : « Qu’advienne », au personnel : « Faisons ». Le respect d’une Personne, celle de Dieu, devant une autre Personne, celle de l’homme qui va paraître. Le respect, mais peut-être aussi, l’indication discrète que Dieu n’agit pas seul : même s’il faut pour faciliter l’apparition de l’homme, une accélération de l’amour qui ne peut venir que de Dieu, l’évolution est toujours sur le chantier. C’est elle qui fonctionne. Dieu, lui, ne fait – peut-on le dire ? – qu’aimer plus fort. La venue d’un sujet, le tout premier de toute l’histoire, a sans doute supposé que Dieu « chauffe à blanc » l’évolution en train d’accoucher de sa merveille. « Faisons ». Un pluriel qui n’est pas de majesté, mais qui est tout simplement un pluriel : l’évolution, et Moi qui l’embrase.

« Dieu les amena à l’homme pour voir comment il les nommerait ». Dieu s’efface : s’il a nommé la lumière « jour », c’est parce qu’il était seul sujet à pouvoir le faire. Mais quand l’homme arrive, c’est à lui désormais que revient la « fonction » de nommer. D’ailleurs l’homme lui-même, l’avez-vous remarqué, ne reçoit pas de nom. On ne parle que de l’« homme ». On ne parle d’ « Adam » qu’après que la femme soit venue : sans doute fallut-il l’attendre car elle seule devait être capable de le nommer. Quand un sujet autre que Dieu apparaît, ce n’est plus le rôle de Dieu de donner un nom ; la chose est trop importante pour qu’il puisse la faire à la place de l’autre qui est là. Et donc, quand il faudra nommer la femme, c’est à l’homme que la charge reviendra : « Voici cette fois l’os de mes os … On l’appellera « femme. » Dès l’affaire lancée, le Créateur laisse donc la place de sujet au premier vivant qui apparaît à son Image. Dieu garde la distance qu’il a choisie dès le tout début. Ce n’est pas lui qui fait : il admire seulement. Et il chauffe la vie pour qu’elle éclose au rythme libre des virtualités qu’il irradie lui-même « autour » de Lui.

« Dieu vit que cela était bon » … « Très bon », même, précisera-t-on quand Dieu se retournera pour un coup d’œil global vers l’ensemble réalisé. Et voyant le travail de l’évolution, il s’extasie.

Quand on laisse entendre que très vite vint la condamnation, on oublie les milliards d’années pendant lesquels « Dieu vit que cela était bon. ». Seulement ça ! Des milliards d’années où l’on ne parlera que d’extase et de beauté. Le péché et ses larmes ne viendront que beaucoup plus tard. Et qui nous dit d’ailleurs, combien de temps Dieu et l’homme passèrent à se réjouir, avant la faute ? Non, au début de la vie ce n’est pas le péché, c’est la joie, l’extase devant la beauté. La beauté du travail de l’évolution et la beauté de l’homme, son chef-d’œuvre. Leur chef-d’œuvre : de Dieu et de l’évolution. Dieu lui-même ébloui en voyant l’efficacité de ces virtualités qui émanaient de lui ! Un Dieu content ! Qu’il manque donc dans nos théologies ! Heureusement la Bible, la Bible pourtant du « Dieu terrible », l’a bien débusqué. Ne l’oublions pas. Dieu est heureux. Pourquoi ne le serait-il pas encore aujourd’hui, où l’homme continue à génialement tâtonner ?

« Par qui il a tout créé. » Ce « par qui », que l’on trouve en Col, 1, 16 et dans le Credo, est sans doute un écho du « Faisons » de la Genèse. Il indique une pluralité en Dieu et donc, une pluralité aussi dans son acte. Dieu crée en fonction de ce qu’il est en lui-même, « à son image », dit la Bible. Or Dieu est pluriel, Il est Trois.

Selon Paul, le Père a tout crée par son Fils. Paul l’a dit. Et nous, aujourd’hui, nous sommes heureux de le croire : la création est une œuvre réalisée à plusieurs. D’abord parce que Dieu est lui-même plusieurs, et que donc, il n’est jamais seul, même quand il est « face à lui-même ». Mais il n’est jamais seul non plus, parce que son amour exige de coopérer avec tout ce qui existe hors de lui : l’évolution, d’abord, l’homme ensuite.

Et c’est ainsi que le cosmos qui naît de cette collaboration est lui-même collaborateur par nature, et lui aussi composé d’éléments divers, et donc, lui aussi pluriel. La terre, point minuscule mais majeur et peut-être éminent de l’évolution, est, elle aussi plurielle, habitée et gérée par des personnes différentes et dans des conditions sans cesse renouvelées. Cette différenciation de tout ce qui compose l’existence est telle que pas une seule des réalités qui la constituent ne peut se confondre avec aucune autre. Si nous avons insisté sur cette « diversité en communion » c’est parce qu’elle est l’un des signes caractéristiques de Dieu. L’un des signes essentiels de l’amour. Et de la « terre ».


 

 


        Vous avez des commentaires à faire ou des questions ? Vous pouvez aller à la rubrique « Ecrire » du menu principal.

 

Retour