Retraite 2003. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
3, rue de la Source
75016 PARIS
06 03 04 22 88
          

CORPS ET ESPRIT.

 


V. L’esprit devenu visible.

Une hypothèse : la matière c’est tout simplement de l’esprit devenu visible.

L’instinct des virtualités, moteur de l’évolution.
Cette retraite s’achève sur une hypothèse : « la matière et l’esprit seraient une même réalité. » Je ne me fais pas d’illusion sur l’audace, certains diraient l’inconscience, dont je fais preuve en vous faisant cette proposition. J’espère que vous me les pardonnerez. Et j’essaye tout de même de m’expliquer.

Ce qui est dit aujourd’hui de la physique quantique me paraît proche de ce que les « spiritualistes » disent de l’esprit (chapitre précédent) ; et étonnamment compatible avec ce que la Bible (chapitre deux) et certains théologiens (chapitre trois) disent de la création. Ces trois chapitres, dans la pluralité de leur langage, n’ont en fait parlé que d’une unique réalité qui est l’esprit. L’esprit, non pas au sens habituel où nous l’entendons aujourd’hui d’ « intelligence pensante », mais plus simplement, au sens d’une « capacité instinctive de jonction ».

Dans cette logique et pour conclure, je voudrais ramasser les acquis de cette retraite et souligner la soufflante simplicité de l’intelligence de l’évolution (et donc de Dieu) qui, d’un matériau unique a tiré l’indescriptible variété du cosmos. Et je voudrais dire que l’homme qui est au sommet de ce cosmos, est simple, lui aussi, comme le reste, au point qu’il est structuré d’un seul élément qui est l’esprit. A l’image de Dieu d’où il vient. Nous allons donc voir, en raccourci, l’homme surgir du seul jeu de l’esprit (ou des virtualités, ce qui revient au même).

Nous avons beaucoup parlé des virtualités, parce que, faisant le jeu de l’Evolution, elles tissent tout ce qui existe. Nous avons aussi souvent parlé de l’esprit. Ce qui pourrait nous faire croire qu’il y a là deux réalités différentes. En fait, virtualités et esprit sont le même « objet ». Simplement, l’esprit est la tendance de base, tandis que les virtualités sont les instruments dont l’esprit dispose pour réaliser sa tendance. Un peu comme on dirait que la tête pense et que les mains réalisent ce que la tête a pensé ; mais tête et mains ne font qu’un seul vivant.

Or « esprit » et « virtualités » émanent de Dieu. Et Dieu désire être en relation. Parce qu’il est amour, en effet, et parce que l’amour est avant tout relation, on peut dire que son « désir fondamental », c’est la relation. Au point que si on voulait « le » réduire (!) à sa structure de base, on pourrait dire qu’il est besoin de relation. Dans ces conditions, puisque les virtualités émanent de Lui, elles doivent avoir la capacité de réaliser Son désir ; et l’esprit, lui, doit avoir la force de faire passer à l’acte leur capacité. L’esprit et ses virtualités, si on les laisse faire, travailleront donc à relier.

Ainsi, l’évolution résulte-t-elle de ce travail : parce qu’elles jouent le jeu de leur esprit, les virtualités cherchent à se lier aux virtualités qui leur sont voisines ou du moins qui leur correspondent. Dès l’origine, et sans doute bien avant le « big-bang », l’évolution a dû fonctionner sur ce schéma. Et ainsi, dès qu’il y eut un lien, y eut-il de l’existant. Si la vie est apparue, c’est donc tout bonnement parce que les virtualités, constituées avant tout du besoin de se lier, cédèrent à leur esprit pour qui il était vital qu’elles y cèdent. Dès que des relations purent s’établir, la vie apparut : l’esprit était à l’œuvre.

L’esprit prend forme visible.
Jusqu’au moment où une virtualité, sous la pression de son esprit, se lie à une autre, elle est totalement libre. Rien ne l’empêche de combiner ses alliances à l’infini. Son « champ d’action » est l’immensité même où tous les possibles sont emmagasinés et disponibles. A ce niveau, donc, l’esprit des virtualités ne se trouve encore assujetti à aucune limite. Il flotte, si j’ose dire, à la recherche des « compagnons » auxquels s’unir.

Mais son besoin de se joindre à « un autre », finalement, le contraint à choisir. Il rétrécit alors son panorama sur une perspective particulière. Pour effectuer ce choix, sans doute se fie-t-il à ses inclinations mais sans doute aussi, aux circonstances qui commencent à s’imposer. Seulement, en s’alliant à l’extérieur de lui, il se trouve affronté à l’originalité de l’autre. Il enrichit sa structure en l’emboîtant dans la structure de l’autre, mais du coup, il prend forme, et plus cette forme s’enrichit et plus elle se charpente, plus il prend une forme distincte. De l’extérieur, on verrait se dessiner quelque chose comme une clôture indiquant une « propriété privée ». Bien sûr, la clôture en question n’est pas là pour emprisonner les virtualités qui se sont jointes, mais pour délimiter ce qu’elles sont en train de construire. Plus elles multiplient leurs liens, plus leur structure devient complexe. Dès lors, on peut voir d’en face ce qu’elles édifient. Du moins, le verrait-on si des yeux se trouvaient là. Mais des yeux ne s’ouvriront que lorsque l’évolution aura réussi à faire venir l’homme.

L’esprit devient Sujet.
Si rien ne fait obstacle à ce travail instinctif de l’esprit et de ses virtualités, nous en arriverons à l’homme, en effet. Mais disons tout de suite, car c’est là que commence à poindre l’hypothèse que je vous annonçais, que, pour parvenir à constituer un être humain, (du moins selon notre hypothèse), le phénomène dans lequel l’esprit et ses virtualités sont engagés, ne change pas de nature ; il reste un phénomène spirituel. En effet, en multipliant leurs alliances les virtualités se nouent les unes aux autres et deviennent « un ensemble » de plus en plus complexe, mais ce sont toujours des virtualités ou, si vous aimez mieux, de l’esprit.

Cet « ensemble » croît comme un tissu que l’on confectionne et qui s’allonge et s’élargit. A la longue ce « tissu » devient supérieurement complexe. Et comme ses facettes se multiplient, il finit par s’y voir comme dans un miroir. Et il s’y voit tellement bien qu’il est désormais conscient d’exister.

L’esprit, impersonnel et vague jusque là, s’est donc condensé et s’est enclos dans des limites. Il s’est comme enserré dans un « périmètre », et, de ce fait, on peut se situer face à lui. La forme que l’on voit de lui, et avec laquelle toutes les relations vont passer désormais, est, dans notre hypothèse, ce que l’on a coutume de nommer : matière. En fait, cette matière est simplement le « bord » de l’être, le bord où l’esprit s’est tellement intensifié et condensé qu’il en est venu à être visible. Par habitude et faute de mieux, on nomme « matière » cette condensation d’esprit. En tout cas, à l’avenir, on ne parlera plus d’un ensemble, mais de quelqu’un. C’est un vivant.

On a maintenant en lui un lieu bien déterminé. On peut se mesurer avec lui. On peut lui parler. On peut bâtir avec lui des choses nouvelles ; on pourra même, au prix d’une communion intense, faire avec lui surgir d’autres vivants. Parce qu’il a su faire converger et s’engrener les unes dans les autres, les possibilités qu’il a assemblées ; parce que c’est lui qui fait cela, on dit, magnifique reconnaissance, qu’il est le sujet de cet assemblage. Il restera le maître de ce qu’il a construit, au point que tout ce qu’il s’est identifié lui sera assujetti, au sens fort du terme. Pour Thomas d’Aquin déjà, l’âme est cette force de cohésion qui, de l’intérieur, maintient ensemble les éléments formant le vivant. Nous reprenons cette vue. Simplement, nous nommons « sujet » ce que Thomas appelait « âme ».

Il devient une Personne.
Dans le périmètre ainsi dessiné et assumé par l’esprit, se dessine donc peu à peu une originalité. En fait, l’esprit est en train de prendre une autre conscience de sa réalité. Il poursuit ses rencontres, et cet ensemble qui grandit ne pourra plus être confondu avec aucun autre assemblage : il accroît ses dimensions et, ce faisant, il élargit la conscience qu’il a d’exister. Il constate aussi que ses décisions produisent un effet en dehors de lui-même, et que cet effet lui est attribué par son environnement. Il expérimente alors qu’il est responsable de l’impact qu’il produit. Et la conscience qu’il acquiert ainsi d’être le sujet et le terme d’un ensemble de relations, l’assure qu’il est autre que l’autre. On nomme « personne » le sujet qui se sait irréductiblement original.

A la longue, il se découvrira autonome, quand il aura compris que sa propre volonté décide sans avoir besoin d’autorisation ni de signature venant de Dieu. Il ne fera qu’expérimenter ce qui était dit plus haut des virtualités « émergeant de Dieu » : elles viennent de Dieu, mais Dieu les donne. Il en fait total abandon à ce qui germe pour que « ce qui germe » puisse s’en structurer. Don sans retour qui crée l’autonomie de l’évolution elle-même. Et du sujet personnel qui seul peut le savoir et en vivre.

Et parce qu’il le sait, au moins instinctivement, il arrive à se distinguer de Dieu : à ce niveau, il expérimente la source absolue de son altérité. Dans son inconscient sans aucun doute, parfois lucidement et « par éclairs », il réalise que cette relation-type le met en face de son Origine première, dans l’absolu, et qu’il est donc une Personne autre que Dieu : expérience essentielle pour savoir qu’il est « soi ». Et que, tel quel, il est unique.

Sa conscience lui permettra, normalement, au moins de pressentir qu’il est à l’image de sa Source : il entreverra alors, que, comme Dieu, s’il est sujet de lui-même, c’est que personne ne l’a fabriqué. Et si sa découverte de lui-même n’est pas arrêtée, il ira jusqu’à se deviner indestructible comme Dieu. Sans doute, pas un homme n’est-il Homme sans acquérir cette certitude, peut-être pour certains seulement inconsciente mais réelle et efficiente tout de même, qu’il est impérissable : et c’est pour aller jusque là qu’il poursuit, que tous poursuivent de vivre jusqu’au-delà du désespoir.

C’est à cette personnalisation progressive que travaille l’esprit quand il entoure d’une « paroi » infranchissable l’unité qu’il construit. La matière ? La visibilisation de l’esprit ; la concentration progressive des gestes et des positions de l’esprit ; une concentration telle qu’elle finit par rendre sensible sa présence. Un peu comme une plaque de verre, invisible quand elle est seule, finit par devenir visible quand on pose d’autres lames au-dessus de sa transparence. Cet « entassement » de l’esprit qui crée le périmètre inconfusible de la « personne », on l’appelle « matière ». Mais c’est toujours l’esprit. A l’image de Dieu.

Pas plus dans ce travail d’ « hominisation » que dans cet état où l’esprit est parvenu, la matière n’a été une autre réalité que l’esprit lui-même : elle a été la succession des modalités par lesquelles l’esprit est passé : elle a été successivement l’épaississement, l’intensification, la fixation du dessin de l’esprit, et tout cela, au point que l’esprit est devenu visible. Elle est le tracé définitif des limites au-delà desquelles l’esprit n’est plus. Grand dessin, dessin douloureux, qui fait que « la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement… attendant la délivrance pour notre corps … » (Rom. 8, 22).

Sans attendre le bout de l’Histoire, la Matière inscrit déjà dans l’Eternité et en lettres sacrées, les états successifs que l’esprit aura franchis pour devenir sujet et personne et se discerner fils chéri de Dieu. La matière : l’état du vivant achevé et en attente du temps où il sera capable de voir son Père, et dans lequel, sans aucun doute, il conservera à jamais sa forme visible : la résurrection de la Chair.


 

 


        Vous avez des commentaires à faire ou des questions ? Vous pouvez aller à la rubrique « Ecrire » du menu principal.

 

Retour