Retraite 2004. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10 Avec le P. Collas La Résurrection.
I. Doù la notion déternité peut-elle bien venir à lhomme ? Une étrangeté. Même si cela put être sous des formes très rudimentaires, il semble bien que lhumanité a toujours véhiculé dans son inconscient, la notion déternité. Lhistoire des idées et des actes religieux aussi loin quon la remonte, tend à le prouver. Pour résumer lhistoire et au risque de la gauchir quelque peu, disons que, pour ce qui est de lAntiquité, la philosophie grecque et la religion égyptienne, sans faire explicitement une théologie de léternité, ont laissé dans leurs textes ou peint et sculpté dans leurs Temples, la pensée que quelque chose de la vie se poursuit après la mort. La pensée occidentale, marquée par la théologie chrétienne, a explicité cette notion en parlant de vie éternelle. Même si pour beaucoup de nos contemporains, lexpression recouvre plus une habitude de parler quune vision claire de ce dont il sagit, lidée déternité est bien une donnée fondamentale, non seulement de la culture occidentale, mais de pratiquement toutes les traditions de pensée de lhumanité parvenues jusquà nous. Le mot « éternité » existe dans tous les dictionnaires. Le bon sens
quotidien nous dit lopposé. Dans ces conditions, doù cette notion déternité peut-elle bien venir dans linconscient de lhomme, sous quelque latitude quil soit né ? Si je sais que le soleil existe, cest parce que je le vois chaque jour se lever et se coucher et je nai pas besoin de me demander sil le fera encore demain. De même, lamour : je sais quil y en a parce que jen bénéficie, ou parce que jen donne. Mais léternité, où en ai-je vu ? Nulle part, et jamais. Alors, doù vient que lhumanité en possède la notion, bien avant que le christianisme ne la développe, et aujourdhui encore où pourtant il a du mal à en parler ? Lidée déternité a tenu la corde avant quon en ait parlé et après que ses défenseurs habituels aient laissé à dautres le soin den parler ou de la nier. Le mot est bien dans nos dictionnaires. Bien sûr, lidée nen a pas toujours été claire. Et aujourdhui encore, selon les cultures qui la véhiculent, elle recouvre bien des nuances. Sans doute chacun sen fait-il une idée, aussi diverse peut-être que nos cultures. Mais enfin, nous sommes tous capables dy penser et den prononcer le nom. Dailleurs, ceux qui disent ne pas y croire, en parlent et la nomment. Et le seul fait que je puisse la nier établit bien que sa notion existe et quelle fait partie du vocabulaire et donc du patrimoine de lhumanité. Alors, doù vient-elle ? Le temps et
la mort aussi la contredisent. La mort men parlerait-elle ? Pas davantage. Au moment où jécris, elle ne ma pas encore touché mais elle fait depuis toujours partie de mon habitude, parce que tout le monde avant moi a fini par mourir. Je parle de la mort parce que je léprouve par dautres que moi. Mais elle aussi ne me parle que de la fin de la vie. Le contraire justement de lidée que je porte. Je puis, me dit-on, par simple réflexion, et à force de refuser la mort, avoir fait naître en moi lidée contraire, que la mort nexiste pas. Lidée déternité ne serait alors que le signe du refus de ma destruction. Mais lhomme aurait-il pu aussi durablement donner corps à un refus au point de lui donner un nom, alors quil le sait radicalement irréalisable ? Il a désiré voler, cest entendu, mais il nest parvenu quà créer lavion et non à se faire pousser des ailes, tandis quil na jamais supprimé la mort, même si, périodiquement, il rêve sans y croire, du remède qui le ferait immortel. Si on me dit que lidée déternité est en moi le résultat, non pas dun refus mais dun désir, là, sans doute ouvre-t-on une porte. Bien sûr, en toute rigueur de terme, je ne puis désirer que ce que jai déjà goûté ; or, me dit-on, je nai jamais goûté léternité. Notez bien : jusquici, je nai pas dit que léternité existe. Je remarque seulement que lidée, elle, existe, alors que dans lhistoire ni dans notre modernité, rien déternel na jamais été expérimenté. Expérimenté ? Pressenti ? La nuance vaut que nous nous y arrêtions. Dans limprécision
de linconscient ? Et comme je ne suis pas le seul à faire cette expérience impartageable, jai fini, lhumanité a fini par lui donner un nom commun qui structure pas mal de nos échanges. Mais les encyclopédies ne me disent pas doù lui viennent le mot ni le sens quon lui prête. Et puisque tout de même, la notion déternité existe bel et bien et quelle nous concerne, nous voici en train de sonder au-delà du domaine de nos sens, les strates imperceptibles dans lesquelles quelque chose, peut-être, peut pousser, pour voir si nous nen trouverions pas là quelque trace. Bien quà laveuglette, nous avons les moyens de descendre prudemment vers ces niveaux inconscients : les chrétiens pensent y avoir trouvé la cote où naît lidée de léternité. Peut-être est-ce là, en effet, quil faut aller pour trouver le puits doù germe en nous lidée de léternel ? Serait-ce la marque immémoriale dun ailleurs « doù je serais tombé » ou la trace immatérielle dun événement que je vivrais ? Un évènement dont je serais le témoin inconscient ne pourrait-il pas aussi laisser une trace dans mon inconscient ? Cette trace, si elle existe, ne sera pas une image puisque je ne vois rien. Mais ne pourrait-elle pas subsister tout de même à la racine de ma conscience, au minimum sous la forme dune impression, comme un souvenir dont je suis incapable de dire doù il vient, et qui vient de si loin que ni sa structure ni sa couleur ne me sont conservées ? Limpression quune chose a lieu, mais trop profond pour que je puisse la discerner, trop impalpable donc pour que je puisse la dessiner, et trop complexe en tout cas pour que je puisse comprendre ce quelle est. Un peu comme si je gardais seulement lidée que cela a bien lieu, mais sans être en mesure den apporter la preuve ni de dire ce que cela peut bien être. Même lorsquil marrive dy penser, je ne sais rien en dire sauf le mot sous lequel, allez savoir pourquoi, je lai classé. Je ne sais pas bien de quoi il sagit, mais je sais - plutôt, je sens - quil y a quelque chose. Cela menveloppe. Cela menserre au-delà de toute profondeur, au point que cela na même pas besoin de la mémoire pour subsister car cela mhabite. Pour les religions,
léternité existe. Entre autres, le judaïsme, le christianisme, lislam, lindouisme - et le bouddhisme à sa manière - pensent ainsi que si dans ses structures essentielles lhomme porte la notion de léternité, cest que léternité est une réalité indépendante de lhistoire. Une réalité, dit-on, qui nous explique. Seulement, plus fondamentale que toute autre, elle échappe à toute mensuration. Pour la bonne raison quelle existe avant toute existence mesurable elle campe en deçà et au-delà de toute sensation ; mais elle néchappe pas à ce type de mémoire qui fait que nous nous souvenons dêtre né. Lenfant sait que sa mère existe avant même de savoir quil le sait. Ces lignes énigmatiques
devraient séclairer dans les instructions qui vont suivre.
Du moins, je lespère.
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