Retraite 2004. organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
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La Résurrection.

 

V. La Résurrection.

En guise d’introduction
Comment comprendre le Credo parlant de la « Résurrection de la chair » ? Le mot hébreu qui dit « chair », dit aussi « personne ». Le même mot dit donc la chair, au sens où nous l’entendons habituellement, mais aussi la personne. Ce qui veut dire que résurrection de la chair n’est pas à entendre au sens habituel du terme. Cela ne veut pas dire que notre corps ressuscitera tel quel et donc la question de la forme ou de l’âge qu’il aura, n’a pas de sens. Ce corps-là n’était que l’état provisoire de mon être en construction, le contenant, le coffrage, comme nous l’aurons souvent dit. Ce qui ressuscite, en réalité, c’est moi. Moi tel que je me suis construit. Ma vraie réalité, je ne l’ai jamais vue que sous l’aspect provisoire de la matière de mon corps. Ressuscité je me verrai tel que je suis en réalité, et non plus en vision intérimaire. Et pourtant, on me reconnaîtra parce que mon corps de passage, aura tout de même imprimé sa ressemblance à ma personne qui l’habitait. Une ressemblance telle, que je serai parfaitement reconnaissable, même si ma « beauté » sera infiniment plus affinée que celle que mon corps, jadis, affichait. Au lieu de résurrection de la chair, mieux vaudrait donc parler de ma résurrection, tout simplement, pour éviter toute ambiguïté.

Résurrection, donc. Au sens étymologique : seconde surrection. Second surgissement, si vous préférez. Le premier, le jour où nous aurons surgi sur le chantier. Nous ne venions de nulle part. Nous n’étions pas. Notre Source, c’est la tendresse du Père qui nous veut et nous aime déjà alors que nous ne sommes même pas encore un premier amoncellement de cellules. Nous surgissons ainsi dans cet état, sur le chantier. En fait, nous ne sommes même pas encore « nous », ni « je ». Mais il y a nos parents, et le Père qui veille et qui sourit. Et nos parents s’aiment, et nous voilà. Un rien qui surgit sur le chantier de la terre. Nous allons devoir donner corps à cet infini de possibilités que leur amour tirera d’eux et qu’ils nous donneront sous la forme de nos gênes. Mais nous nous construirons dans notre corps. Notre corps est, si j’ose dire, la clôture provisoire que notre esprit aura aménagée. Un peu comme si aux bords de notre être en pleine évolution, notre esprit s’était durci en matière, pour assurer notre étanchéité aussi longtemps que nous ne serions pas achevés. C’est-à-dire jusqu’au moment où le phénomène de la Résurrection nous rendra totalement éternels.

La mort ?
Bien que nous n’en ayons pas l’habitude, c’est à la place de ce que nous nommons la mort, qu’il faut parler de la Résurrection. Là ? Oui. Nous avons presque perverti cet instant ultime, vers lequel, finalement toute notre vie aura tendu. Comment nous y sommes-nous pris pour rendre terrible ce moment où nous serons enfin en état de voir Dieu ? Jour terrible, disait la liturgie de la « Messe des morts » de ma jeunesse. Nous l’aurons tellement mal chanté, ce jour-là, et d’une manière si dramatique, que l’idée s’en est gravée dans notre inconscient, sous la forme d’un presque désespoir, rejoignant, il faut bien le dire, une appréhension compréhensible devant l’inconnu de ce moment. Aucun de ceux qui ont fait cette expérience, n’a jamais pu nous dire ce qui s’était passé pour lui ; et l’humanité, chrétienne pour une part, a parfois changé cette incertitude en angoisse. Ne lui jetons pas la pierre. Essayons plutôt de conclure en nous enfonçant dans l’espérance. Préparons-nous donc à comprendre que la mort, au sens où nous l’entendons d’habitude, cela n’existe pas.

La mort, fin de la vie, séparation d’avec nos parents, nos enfants et nos amis ; éloignement de leur lieu de vie ; impossibilité de continuer les relations d’amour ou de proximité que nous avions nouées avec eux pendant des années ; eux restant dans la vie, nous, nous enfonçant dans des ténèbres pour y attendre, dans une sorte de semi-conscience la fin du monde, à l’occasion de laquelle nous retrouverons notre âme et, du coup, notre conscience, pour être jugés par Dieu, et, si nous ne sommes pas classés bons pour l’enfer, reçus dans le Ciel : cette vision, que défend une théologie, moins classique aujourd’hui, mais encore officielle, n’est pas la seule, ni la plus sûre, ni de la mort, ni de la Résurrection.

La Sagesse de Dieu plus forte que la nôtre.
Pour nous, et pour beaucoup de théologiens, désormais, la mort n’est pas cela. Si nous croyons à la Bonne Nouvelle apportée par Jésus, soyons logiques. La logique dont vous allez prendre connaissance, risque de vous prendre de court. Elle ne vous dira pas exactement ce que vous avez l’habitude d’entendre. Mais elle n’est pas fausse pour autant. Elle repose sur l’Evangile. L’Evangile essentiel, celui de la Parabole du fils revenu. Depuis longtemps, elle est pour bien des théologiens, le socle absolu de la Révélation. Comme eux, je pense que Jésus ne s’est « dérangé » du Ciel que pour nous dire une éblouissante nouvelle. De plus, il est impossible de concevoir que le Père ne nous ait pas aimé au-delà de la folie dont nous parle st. Paul. (1 Cor. 1, 25) Je ne puis donc comprendre la Résurrection que sous les formes de l’espérance la plus folle, la plus démesurée qui soit. Vous êtes libre de ne pas les accepter. Mais il me semble que l’on ne peut pas se tromper en pensant que la folie du Père a réalisé plus encore que ce que notre amour pouvait imaginer.

Donc, nous croyons que Jésus n’a pas pu venir chez nous, pour nous dire des banalités. On n’entreprend pas à la légère un déplacement de ce genre en sachant d’avance qu’on le payera de la mort. Il n’a pu venir à ce prix que parce que la nouvelle qu’il portait en valait la peine. J’ai donc pris le parti de croire à la folie de l’amour du Christ, et du Père et de l’Esprit. Mais j’ai dû en tirer les conclusions qui vont suivre. Vous êtes libres de ne pas les partager. Mais avant de les refuser, pensez que si j’ai tant parlé de la tendresse du Père, et si je vais tant en parler encore, ce n’est pas que je l’aie inventé. C’est Jésus qui nous l’a dite et qui est mort pour signer sa parole. Pensez à cela. Et voyez. Je vous donne rendez-vous au jour de votre propre résurrection. Je ne sais pas si j’aurai eu raison. Mais je crois que celui qui aura cru le plus fort à l’amour du Père et qui aura tiré de cette certitude les conclusions les plus logiques, je crois que celui-là aura eu raison. La logique de l’amour de Dieu !

Bien sûr, qui est capable de tirer des conclusions à la hauteur d’une telle passion ? Pas moi, évidemment. Mais ce dont je suis capable, je veux le faire. Comme un pauvre que je suis, je veux croire, autant que je le peux, que l’amour en Dieu, est fou. Fou à nos yeux. Sagesse à ses yeux de Dieu. Comme il serait dommage que nos conclusions soient fausses ! En tout cas, dites-vous que si ce que je vais vous dire n’est pas vrai, ce ne sera faux que pour n’avoir pas été assez fou. La Sagesse de Dieu, folie pour les hommes, a dit st. Paul. En revanche, si la vérité de Dieu va à l’encontre de l’espérance qui nous a menés pendant cette retraite, alors, « nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » (1 Cor. 15, 19)

Le passage.
Dans ce qui va suivre, comme souvent dans ce qui précède, je dis « je ». C’est vous qu’il faut placer dans ce « je », sous peine de perdre le sens du texte.

La mort n’est pas la fin de la vie. C’est la fin du temps de rodage pendant lequel nous devions nous construire. L’être dont nous sommes le sujet, a travaillé à se bâtir. Il a pris son temps. Pendant ce temps, son travail a été constamment décapé par la chaleur de la tendresse du Père et tout aussitôt consolidé, nous venons de le dire, par la même douceur. Au fur et à mesure que le chantier a avancé, nous avons pris conscience de ce que nous étions, nous avons multiplié les relations et nous avons vu naître l’amour. Nos liens nous ont à la fois tissés en nous-mêmes et attachés aux frères qui partageaient notre vie. Et voici que la construction s’achève et que la vie ne va plus être un chantier. Nous allons faire le passage, comme dit la théologie. Pas le passage de la mort à la vie, mais de la vie à la Vie. Nous n’allons pas changer de place. Nous n’avons plus qu’à fermer des yeux trop courts désormais, et nous préparer à voir ce que Dieu voit et à voir Dieu, de face ! Sans avoir à changer de lieu. Un peu, comme tout à l’heure je ne changeais pas de ville quand le brouillard se levait. Je suis dans la même ville, mais maintenant, je la vois.

Ceux que j’aime, eux, ne me voient plus. Ils disent que je suis mort. Ils en concluent que je suis parti. Je ne suis pas parti, mais comme tout en restant là, je suis devant Dieu, je suis soudain devenu éblouissant comme Dieu, que je reflète. Dieu, donc, déteint sur moi. Je deviens brillant comme lui. Insupportablement lumineux. De ce fait, mes frères qui sont là, autour de mon lit, tout éblouis ne me voient plus. Leurs yeux restent attachés désespérément et faute de mieux, à mon cadavre parce qu’ils ne peuvent plus me voir en réalité et que mon cadavre reste, pour l’instant, le seul point de visibilité qui ne les dépayse pas. Je ne suis pas parti, j’ai seulement disparu à leurs yeux. Mais si j’ai disparu à leurs yeux, c’est parce que, comme lorsqu’ils regardent le soleil, leurs yeux se sont automatiquement fermés devant l’insupportable luminosité dont la proximité de Dieu m’inonde. Ils ne me voient plus, et ils concluent que je suis parti. Alors que je suis là, plus proche qu’avant, leur parlant, les caressant comme jamais, les enveloppant de sourire, libre enfin de les aimer, ne voyant plus d’eux que leur beauté, parce que mes yeux, désormais sur la même longueur d’onde que ceux de Dieu, ne peuvent plus voir que la part de beauté qu’ils ont déjà construite. Je fais ce que je peux pour les rassurer, mais ma voix n’ayant plus les mêmes sons qu’avant, ils ont du mal à la déchiffrer et concluent qu’ils n’entendent rien. Et que donc, je ne suis plus là. Et pourtant, s’ils peuvent quand même continuer à vivre, c’est bien parce que je suis toujours là et que j’y resterai, près d’eux comme avant. Et plus encore. C’est parce que rien n’est rompu entre nous qu’ils respireront encore. Car la terre où ils sont encore est dans le Ciel où je suis déjà.

La Résurrection.
Tout en restant près d’eux, je suis enfin capable de voir ce que je n’avais jamais encore vu. Au travers du décor de ma chambre mortuaire, mes yeux se dilatent et je vois, large, immense, sans limites. La terre ne me paraît pas petite mais superbe, ma patrie. Je la vois dans un contexte éblouissant. Mais au-delà, que vais-je voir d’autre ?

Sans doute ne verrai-je pas le Père tout de suite. Non pas parce qu’il craindrait de m’éblouir, ni parce qu’il voudrait se faire désirer, mais par délicatesse. Il préfèrera, j’imagine, que je sois accueilli d’abord par ceux avec lesquels j’aurai passé ma vie sur la terre et dont j’ai conservé, profonde en moi, la couleur des yeux. Au-delà des épaules de ceux qui pleurent autour de mon lit, les premiers visages que je distingue dans cette fête organisée pour moi par le Père, sont, sans doute, ceux que j’aurai le plus aimés, quand moi aussi j’étais sur le chantier. Mes parents … mes amis les plus chers : baisers, joie. En cortège avec eux, je m’avancerai en direction du « Sommet de la tendresse » à laquelle j’aurai tellement cru. Chemin faisant, je serai accueilli et applaudi par tous les Saints ; je saluerai Notre Dame ; je verrai le Christ, Celui qui s’est fait homme pour pouvoir mieux, au prix de sa mort, me dire la tendresse du Père, à laquelle j’aurai tant cru.

Et puis je verrai le Père.

« Il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. » Il courra se jeter à mon cou et me couvrira de baisers.

A ce moment, ses baisers ne me cacheront pas vos larmes, vous, les miens ou mes amis, qui serez encore autour de mon lit. Mais vous verrez : vos larmes auront comme une douceur que vous ne vous expliquerez pas. Elles seront imprégnées de ce que je verrai, alors ; la tendresse du baiser du Père se glissera, par dessus moi, et à travers votre peine, jusque vers vous.

Et moi, je me laisserai embrasser sans mesure, par Lui. Ce ne sera pas nouveau, puisque toute ma vie, il aura passé son temps à cela. Mais, là, je verrai. Visage contre visage. Mes bras l’enserreront, sans que je rougisse. Le Ciel dansera. Et je vous entraînerai autant que vous le pourrez, et vous reprendrez votre chantier. Courageux. Jusqu’à ce que vous aussi vous ressuscitiez.

Quand donc nous serons parvenus au terme, nous surgirons une seconde fois, mais cette fois, hors du chantier et de la forme de notre corps, pour sauter dans les bras du Père. La Résurrection. De bras en bras, de bras d’homme et de femme, au travers de bras d’aimés et d’amis, dans les bras de Dieu. Le second surgissement. Le dernier. La Résurrection. La dilatation de l’existence. Plus que de l’amour. Plus que l’infinie compréhension de chacun pour chacun, l’admiration, l’imbrication, du genre de celle qui nous liait, sur terre, aux meilleurs moments de nos échanges, mais sans l’ombre du moindre doute, l’abandon débridé à la confiance, la disponibilité sans reprise à chacun, la confiance, non pas aveugle, mais ouvertement donnée avec la certitude qu’il n’y aura jamais de reprise, la liberté dans tous les sens et aucun sens interdit, plus de limites, plus d’horizon, tout visible pour nos yeux achevés, avec aussi le souvenir actualisé des joies du temps du chantier, et au détour de toutes les allées, un frère qui me sourit, et puis le Père, plus fréquent et plus présent et pourtant me laissant plus libre que je ne puis aujourd’hui rêver. Le Père.

Oubliez ces phrases, balourdes à force d’avoir voulu dire ce qui ne pouvait pas être dit. Et retenez seulement le Père. Et les frères, avec leur joie.


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