Retraite 2005 organisée à Avajan, par les Amis de la Part Dieu. 05 56 48 22 10

Avec le P. Collas
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Le Christ.

 

IV LE CHRIST : NOTRE ANCRE EN DIEU.

Je n’ai fait qu’une fois du « rappel » dans ma vie. Pour ceux d’entre vous qui ne le sauraient pas, faire du « rappel », consiste, pour un montagnard, à descendre le long d’une paroi, suspendu à une corde, sur le vide. Durant quelques secondes, votre existence ne dépend plus que de la solidité de la corde à laquelle vous êtes agrippé, et, bien sûr, de celle du piton auquel la corde est accrochée. J’avoue que le premier (et le seul) jour où j’ai dû descendre ainsi, je ne me suis agrippé à ce « fil » qu’après avoir vu à quoi il tenait. Ce jour-là, j’ai compris la demande de Moïse : « Tu me demandes de me suspendre à toi et de porter à bout de bras le peuple qui est avec moi. Je voudrais savoir si tu es fiable. »

L’évolution nous arrache au vide.
N’importe quel vivant se trouve suspendu dans cette position. Sur du vide. Et du vide qui serait plus vertigineux que celui que domine la plus abrupte muraille des Pyrénées s’il le voyait. Il ne voit que son présent immédiat. Tout le reste est à venir, et donc très imprécis. Parfois, d’ailleurs, lorsque l’imprécis se rapproche et exige une décision immédiate, le vide se resserre mais n’en est pas moins impressionnant. Et puis, même si nous n’avons pas un peuple à porter en direct, comme Moïse, nous avons en plus de la charge de notre propre construction, celle aussi, en partie du moins de notre famille, de nos amis, et plus généralement, de chacun des vivants. Charge que le chrétien nomme « la communion des saints ». Ce Chrétien sait, bien sûr, que dans cette communion, la charge est réversible, et que chacun qui y est inscrit par la vie, est aidé par ceux qu’il aide ; il sait aussi que chacun aide aussi toute la cordée.

Il reste que si le tout premier plongeon dans la vie ne se faisait pas dans l’inconscience du bébé, il serait probablement impossible. Même lorsque cette inconscience lève son voile et que se révèle, au jour le jour heureusement, la responsabilité qui pèsera sur les heures qui viennent, le vertige peut nous saisir. L’angoisse, que notre époque dit connaître plus qu’aucune autre avant elle, est bien réelle ; elle est de tous les temps. Et pourtant, la vie avance. L’angoisse est chaque jour vaincue. Le vide se meuble de nos inventions. Mais il ouvre devant nous de nouveaux abîmes qu’il nous revient encore de combler. L’humanité repart chaque matin à sa tâche, sachant que le travail qui cessera ce soir reprendra demain, et ainsi chaque jour jusqu’au dernier. Et que, même pour ceux qui ont la foi, il y aura toujours un demain à bâtir, un non-sens à dépasser et un amour à satisfaire. L’homme qui ne sait pas, se croit seul devant ce chantier insatiable.

La certitude inconsciente que l’on est aimé.
Or là, il n’y a pas de possibilité de fuir car nous sommes aimés. Je pense que s’il n’y a pas davantage de fuites, dans le suicide en particulier, c’est que l’amour du Père pèse plus que la peur, sur chaque décision, et qu’il adoucit chaque instant. Mais comme son action ne se situe pas au niveau de la sensibilité, nous n’en avons pas conscience. Et pourtant, la tendresse veille chaque jour et chaque nuit et sur chacun. Personne ne la voit, mais ceux qui sont prévenus la devinent au fait qu’il n’y a pas plus de démissions devant la vie. Sans aucun doute, l’amour agit sur nous pour nous aider à nous lancer, même si parfois nous le faisons les yeux fermés. L’amour, cette autre réalité dont certains ne connaissent pas l’existence, mais dont ils profitent tout de même parce que leur inconscient les en assure en secret. D’autres font plus que pressentir cette assurance, ils la connaissent, et ils savent pour l’avoir expérimentée qu’elle est fiable. Si l’humanité est en effet suspendue sur le vide, le vide et le cosmos sont imbibés sans le savoir d’une tendresse porteuse. Porteuse plus qu’aucun amour humain. Si bien porteuse que l’humanité n’a jamais fui devant l’inconnu.

Le Christ nous a montré qu’il nous tient, et nous suspend au Père.
Pourtant, quand l’homme tente de voir à quoi se raccrocher, il ne voit rien. Il poursuit néanmoins. « Comme s’il voyait l’invisible. » Comme s’il voyait que lui-même et tout ce qu’il supporte, était tenu, bien en main, quelque part dans l’invisible. Comme si sa corde était, au-delà de toute vue, solidement agrippée sur un rocher. Il ne voit pas, mais il pressent. Ou il croit. Et c’est pourquoi le monde continue son chemin, escarpé et pourtant exaltant pour tous un jour ou l’autre.

Il y a longtemps que vous voyez où je veux en venir. Si j’osais un mauvais jeu de mot, je dirais que ma ficelle est grosse ! Oui, le vertige est toujours surmonté, parce que la corde est bien tenue, là-haut, agrippée au Rocher par une main royale. Une main qui est en même temps celle d’un homme et celle d’un Dieu.

Pour que l’homme ne désespère pas, Dieu, notre Rocher, a voulu nous montrer la Main qui tient le monde. Une Main qui ne fait pas le travail de l’homme mais qui, tout simplement, tient l’homme suspendu à la Roche au-dessus de l’abîme. Et il l’a envoyée sur terre pour que nous puissions bien la voir. Il fallait qu’on la voie, un jour. Dieu lui-même ne pouvait pas suspendre l’histoire à un fil invisible sans devoir, une bonne fois, lui montrer quelle main le tient. Il nous a donc envoyé son Fils. Le Fils, qui tient le monde. D’une main.

De l’autre, il enserre le cou de son Père.

L’assurance de l’inconscient.
Le monde le sait un peu. Un peu seulement : d’abord parce que le Fils n’a été envoyé que voici deux mille ans et que donc beaucoup de temps a passé avant que cela ne soit dit aux hommes. Un peu seulement, aussi, parce que les témoins, éberlués d’avoir à porter cette Bonne Nouvelle autour d’eux, se font timides. Certains ont été éloquents à en mourir. D’autres, tout petitement chantonnent la Nouvelle en filant humblement leur quotidien comme s’ils savaient, et ils savent, qu’il est si bien tenu par le Christ qu’il est d’avance éternel.

Mais même si les porteurs de la Nouvelle ne se trouvent pas assez nombreux, ils la portent tout de même ; et depuis deux mille ans, la nouvelle a filtré et on se le dit, comme on peut. On s’encourage sur le chantier. Et ils appellent cela leur solidarité.

Finalement, plus encore que leur témoignage, l’inconscient sait. L’ancrage est si fort que l’inconscient lui-même le devine et le comprend, avant même que cela ne soit clairement perçu et même si cela peut ne jamais devenir conscient. Et donc, même ceux qui ne croient pas ou ne savent pas, en vivent quand même.

Le Christ nous canalise vers le Père.
Le Christ, notre ancre en Dieu. Le Christ, non pas le chef ni le fondateur d’une religion qui porterait son nom. Son rôle est trop fondamental pour pouvoir être limité au travail d’un fondateur. Le Christ n’a rien fondé dans l’histoire. Mais il ancre la vie en son Père. Ancrer le poids d’une histoire qui se fait, la vie, la recherche, la souffrance et l’amour de milliards de vivants, est bien autre chose que gérer une Eglise.

Il a pourtant dit qu’il la fondait sur Pierre, son Eglise. Oui. Son Eglise. Mais au sens le plus essentiel qui soit, et qui est le « rassemblement provoqué par un appel ». Le rassemblement que le Christ suspend au cou de son Père n’est pas le rassemblement des catholiques, ni des chrétiens. Mais des vivants. Tous les vivants. Tous invités par le Père à partager sa Vie. De tous les temps et pour tous les temps. Et aussi le rassemblement aimé et soigné de tout ce que les invités inventent pour vivre et qu’il faudra conserver éternellement. De tous les gestes d’amour dont le Père aime assurer soigneusement la sauvegarde. De tous les vivants, ceux qu’on nomme les saints et ceux qu’on fuit parce qu’ils ne sont pas fréquentables. Ceux qui croient et ceux qui nient. Pour être suspendu à jamais au cou du Père par les bras du Fils, il suffit d’être vivant.

Vous comprenez bien qu’il ne faut pas, ni dans notre prière ni dans notre action ni dans ce que nous disons de Lui, limiter le Christ a être le fondateur du christianisme, même s’il a su que Paul et les autres voudraient, à juste titre, faire des croyants à venir, une large Communauté de témoins.

Le Christ est universel. Il est le Bien de tous les vivants, de quelque planète qu’ils soient. Quels que soient les temps où ils ont été conçus. Qu’ils soient nés avant sa venue en Palestine ou au tout dernier millénaire. Tous ils sont agrippés au Christ qui les ancre dans son cœur et les enroule autour du cou du Père.

 


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